Le temps des pier­res

Pour le village de Vercorin (VS), degré vert architecture du paysage, en collaboration avec Legros Studio, a réalisé de nouveaux revêtements pour les rues piétonnes du centre-bourg à l’aide de pierres extraites de carrières de la région. Récit d’un chantier inédit, qui relie le paysage bâti à son substrat géologique.

Publikationsdatum
16-09-2021

La localité de Vercorin se situe sur la commune de Chalais entre la réserve naturelle du Vallon de Réchy et le Val d’Anniviers. Ses premières constructions, datées du 13e siècle, sont installées entre un replat et un éperon rocheux bénéficiant d’une orientation particulière sud-ouest. Au cours du 20e siècle, Vercorin a connu une grande transformation structurelle. Le village rural s’est doté progressivement d’infrastructures et services nécessaires au développement de son industrie touristique. L’expansion de son domaine skiable au Crêt du Midi (2336 m) et de ses sentiers estivaux l’ont progressivement transformé en petit centre urbain alpestre. Dans la trame d’origine du village émergent dans les années 1970-1980 des résidences de vacances ; les mazots et maisons se distancient et l‘espace de la rue évolue.

Anciennement lieu de stockage et d’échanges, ce réseau de circulation en terre battue articulait la transition entre les activités agricoles extérieures et le foyer domestique. Après l’arrivée de la voiture parmi ce réseau, une intervention a été nécessaire pour lui rendre sa vocation d’espace public: une hiérarchie des usages qui rendrait le piéton prioritaire. En 2010, l’installation créée par Sabina Lang et Daniel Baumann à l’occasion du festival R & Art questionne l’aménagement de l’espace de la rue, à commencer par son revêtement1: c’est le point de départ de l’expérimentation initiée par Vercorin. En 2019, la Commune confie à l’agence degré vert, en collaboration avec Legros Studio, une étude puis un mandat d’aménagement. La force du projet réside dans la création d’une zone de rencontre à l’échelle du village sans que ne soit supprimée la hiérarchie fonctionnelle des usages. Travaillé d’abord en plan, le projet élabore la trame d’une composition graphique qui rassemble les zones de rencontre, la partition de la circulation et développe les usages et les transitions de l’espace rue, sans pour autant créer des différences de niveaux.

S’inscrire dans le «socle» du paysage

Le «socle», dans le vocabulaire de l’architecte du paysage, est le cadre géographique du site d’intervention. Compris comme le résultat de la combinaison à plus ou moins long terme de facteurs géologiques, hydrologiques et topographiques, il révèle les indices de l’épaisseur du paysage à partir duquel se sont constituées l’empreinte et les activités humaines: le bâti, la trame urbaine et les axes de mobilité. Ainsi le projet de Vercorin transforme le socle en faisant appel au grand paysage et en mobilisant ses matériaux. Les architectes paysagistes ont élaboré une recherche patiente sur le vocabulaire du paysage, composant avec différents revêtements. Ils ont fait leur l’expression que Kenneth Frampton avait utilisée en 1959 pour décrire sa visite de l’Acropole d’Athènes suite à l’intervention de l’architecte Dimitris Pikionis: «un site conçu pour être expérimenté autant par le corps que par les yeux.»2

Dans les grandes villes, l’utilisation de différentes teintes d’enrobé est largement exploitée pour distinguer les voies de circulation sur le réseau viaire. Une telle mise en œuvre à l’échelle des quelques rues exiguës de Vercorin aurait alourdi et cloisonné des cheminements qui ne s’expriment pas selon une linéarité significative. Le choix s’est reporté sur un jeu de matérialité pour créer une expérience physique et visuelle: pavage, enrobé et pierres. Dans ce scénario, la pierre constitue la clef de voûte du principe d’aménagement. Les architectes paysagistes ont joué de ce matériau pour tirer les lignes depuis les façades maçonnées. Ils créent des îlots ou des zones de retrait pavées pour le piéton, soulignent les seuils et orientent les trajectoires. Bien que reposant sur une grammaire commune de lignes brisées, chaque intervention est unique, accentuant le caractère de chaque rue: le rappel de la maçonnerie d’angle d’une façade, la jonction au sol avec le bâti, des seuils, un franchissement ou un rappel des pierres plates servant de dalles circulaires à la jonction de la quille et du mazot.

Dans cette recherche d’équilibre, les pierres se promènent du sol aux façades. On sort du programme de gabarit délimitant l’espace du piéton de la surface de roulement pour s’orienter vers un plan de calepinage audacieux. «Nous avons souhaité compléter ce milieu d’un patrimoine bâti d’exception avec un équilibre entre le pittoresque et un calepinage aux géométries plus tendues et plus complexes», soulignent les architectes paysagistes Arnaud Michelet et Romain Legros. Le projet révèle ainsi le patrimoine, mais aussi la volonté de laisser s’exprimer la contemporanéité de l’aménagement. Le choix de placer au sol ce qui constituait les matériaux utilisés en élévation révèle une lecture fine du paysage et du bâti.

Un puzzle grandeur nature

Du principe à la mise en œuvre, le chantier est passé par des phases délicates pour sélectionner les pierres. Ce sont les contraintes de cet assemblage de chaque motif qui ont guidé le choix des pierres et créé l’équilibre de la composition entre l’enrobé, le pavage et ces dernières. Pour aligner celles-ci avec les pavés, l’entreprise a tracé des lignes de coupe sur trois faces et orienté la surface irrégulière côté pavés. En plan, cette discontinuité crée des chicanes dont la limite n’est pas franche mais simplement suggérée par la pierre au profil plus allongé. Et la face supérieure des pierres conserve sa surface naturelle choisie avec soin pour ne pas gêner un cheminement continu.

Pour effectuer ce jeu de correspondances et composer un pavage aux textures et aux teintes changeantes, près de 200 pierres d’une longueur comprise entre 80 à 180 cm ont été récoltées dans les deux carrières valaisannes de Saxon/Sapinhaut et de Saint-Léonard. La première offre des pierres en feuillet avec des surfaces planes et des teintes bleutées (schistes noirs argileux, phyllithe). Celle de Saint-Léonard mélange calcaire, quartz et schiste noir (quartzite). Elle livre donc des pierres de teintes contrastées, impressionnantes, mais dont il est difficile d’obtenir des pans réguliers. «Nous nous sommes rendu compte qu’il y avait de grandes différences d’une carrière à l’autre. Cela nous a demandé d’étudier de manière détaillée les propriétés des pierres pour orienter le dessin et définir les marges de manœuvres.» Seul le carrier peut «lire» dans les veines et accompagner les concepteurs vers un projet haut en couleurs, qui rappelle la variété de teintes des maisons et des pierres d’angles visibles depuis la rue.

Les pierres, sélectionnées une par une, sont numérotées et transportées vers le site de sciage à proximité du téléphérique de Chalais. Des photos aériennes effectuées par drone ont permis de choisir une face irrégulière et trois autres pour être sciées par la suite. Une fois la découpe effectuée, les pierres sont entreposées sur un terrain communal afin de faciliter les allers-retours de l’entreprise responsable de la maîtrise d’œuvre. Le projet a nécessité de déployer une couche de fondation de 60 cm sous les blocs pour prévenir le risque d’affaissement et assurer une bonne portance. Il se compose de 40 cm de grave, pour permettre l’infiltration des eaux et éviter la déformation de la chaussée lors du gel hivernal. Les pierres ont une épaisseur de 25 cm et leur ancrage a été réalisé à l’aide d’un mortier de pose sur 10 cm renforcé de treillis.

L’aménagement suggère des usages, des hiérarchies à respecter. Désormais, les voitures modifient leur trajectoire. Le projet offre ainsi une réflexion sur les cheminements, mais aussi sur l’histoire matérielle d’un site, qu’il faut aller chercher dans le sol.

Notes

 

1 Lors du festival R & Art de 2010, les artistes Sabina Lang (CH) et Daniel Baumann (US) avaient peint la chaussée des cinq rues principales du vieux village de rubans de couleurs vives définissant un nouvel espace de la rue. Photographies de l’installation artistique.

 

2 Kenneth Frampton, Dimitris Pikionis, Architect 1887–1968: A Sentimental Topography, London, Architectural Association, 1989.

Aménagement et pavage des espaces publics de Vercorin (VS)

 

Procédure: Mandat direct

 

Réalisation: 2019-2021

 

Maître d’ouvrage: Commune de Chalais

 

Maître d’œuvre: degré vert architecture de paysage et Legros Studio

 

Carrière: Saxon / Sapinhaut, Saint-Léonard

 

Sciage: In-Albon

 

Coûts: Env. 1 million CHF

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