Concours d’architecture: maquette physique ou numérique?
Le premier concours évalué entièrement en version numérique en Suisse romande, pour la future Cité du vin à Rolle (VD) fascine autant qu’il questionne. Plutôt que de rendre une maquette en plâtre, emblème des concours suisses, les participants ont livré son «jumeau» numérique: une maquette en BIM. Retour sur une procédure innovante qui défie les conventions.
Des concours d’architecture, nous en avons vu et publié des centaines, mais la procédure sur invitation pour la Cité du Vin à Rolle (VD) pourrait bien préfigurer un tournant. Pour la première fois en Suisse romande1, les participant·es ont remplacé la traditionnelle maquette blanche en plâtre par une maquette numérique en BIM, bien plus riche en informations. Trop riche? Cette singularité ouvre le débat sur l’utilisation des maquettes numériques dès les premières phases de conception et de jugement d’un projet.
Une procédure innovante pour un quartier hors pair
Le choix d’une telle procédure, un «concours digital» d’architecture et de paysage sur invitation, comme l’ont défini le mandant et les organisateurs, n’est pas le fruit d’un caprice. La future Cité du Vin, implantée au nord de la gare de Rolle, dans la partie sud du site de production de vin de Schenk SA2, est une opération inscrite dans le périmètre d’un plan de quartier en vigueur répondant au concept de société à 2000 watts3. Ce concept prévoit la construction d’un quartier mixte de près de 43 000 m2 (SPd), composé d’environ 350 appartements, de diverses surfaces commerciales, artisanales et administratives, ainsi que d’une école primaire et d’un grand parc public. À cette échelle urbaine, et pour satisfaire une telle ambition politique, la maquette BIM est une option très performante qui permet d’extraire des informations précises sur chaque bâtiment, de juger sa performance environnementale, de vérifier sa validité règlementaire, de comparer la distribution des droits à bâtir ou d’étudier le coût de l’opération. Une série d’avantages à laquelle il faut ajouter les diverses fonctions interactives offertes par la numérisation, qui permettent de comparer l’implantation et les gabarits des projets et d’évaluer leur impact sur les espaces extérieurs à travers une série de points de vue fixes imposés aux six participants.
Pour une entreprise comme Halter SA (prestataire global), habituée aux planifications d’envergure, les avantages que présente la mise en œuvre d’un concours BIM justifient l’investissement humain, technique et économique qui va de pair. Toutefois, ce choix implique forcément quelques compromis. Afin de compenser, partiellement, la charge de travail supplémentaire des participants, l’organisateur confirme avoir élaboré un cahier des charges plus synthétique et a supprimé la fameuse maquette en plâtre blanche, qui n’avait apparemment plus lieu d’être. La charge de travail a-t-elle vraiment diminué? Ou la procédure a-t-elle contraint les participants à orienter leurs efforts autrement?
Un «concours numérique», c’est quoi?
À l’exception du BIM, les documents soumis par les participants sont identiques à ceux d’un concours traditionnel, à savoir des planches au format A0 composées de plans, coupes et divers schémas, embellis d’images de synthèse séduisantes. Les principales différences émergent lors du jugement des projets. Les planches sont affichées sur des écrans grand format d’une soixantaine de pouces, l’équivalent d’un A0. Chacune des six propositions est affichée sur un écran individuel afin que tous les projets puissent être parcourus en simultané. Quant au modèle BIM conçu sur la base d’une charte commune transmise aux participants et vérifié par un BIM manager, celui-ci est projeté sur un écran tactile géant équipé de diverses fonctions interactives et paramétrables.
Pour le collège d’expert·es amené à juger les propositions, une toute autre dynamique de groupe doit opérer. Les projets sont évalués à l’unisson en visualisant en même temps les mêmes images à l’écran. Une nouvelle routine collective remplace les pratiques habituelles, telles que l’évaluation des projets par groupes réduits, les annotations manuelles et les croquis, ou les déambulations libres et spontanées. Le tout, sans un repère difficilement remplaçable comme celui de la maquette au 1:500, observée avec la perspective de l’oiseau. La visualisation des projets en réalité virtuelle, lunettes 3D aux yeux, est également absente pour des raisons logistiques.
Avec ou sans réalité virtuelle, les qualités du projet lauréat «un pour tous et tous dans le parc» conçu par Studio Vulkan, pilote du projet en collaboration avec LRS Architectes et LVPH Architectes, sont indiscutables. Plans et visualisations en main, l’identité et le caractère de la future Cité du Vin laissent entrevoir un fragment de ville d’une grande générosité spatiale où le paysage et la nature s’érigent en facteurs prépondérants. D’autres solutions devraient rendre ce quartier particulièrement durable, telles que le réemploi des matériaux issus des futures démolitions, l’implantation des nouveaux parkings sur les traces des existants, la récupération de chaleur d’une station de pompage d’eau du lac voisin et l’absence d’utilisation d’énergies fossiles pour chauffer l’ensemble des surfaces grâce à l’installation de 2500 panneaux photovoltaïques. Pouvons-nous conclure à ce stade que les «concours numériques» sont garants d’une haute qualité architecturale et paysagère? Ou ces solutions auraient-elles émergé également dans un concours traditionnel?
Article en lien: L’information augmente, le volume de travail explose, Marko Sauer dans TEC21 2022/21-22
Les data ont-ils plus de poids que le plâtre?
Le plâtre et les data sont les instruments phares de deux méthodes d’évaluation bien distinctes. Si la première répond à des logiques d’intuition et implique un investissement humain et matériel éprouvé, certes de nos jours questionnables, la deuxième nécessite une infrastructure technologique et des ressources humaines bien plus importantes. Limités actuellement à une poignée de participants, ce n’est probablement qu’une question de temps, et d’avancées technologiques, avant que ces concours numériques ne deviennent la norme. Mais avant que cette formule ne se généralise, il est pertinent de s’interroger sur ce bouleversement à venir: les critères de durabilité justifient-ils l’emploi d’une maquette numérique si précise au stade d’un concours? S’agit-il d’une astuce pour réduire la phase d’avant-projet et accélérer la demande d’autorisation de permis de construire? Les participants sont-ils suffisamment indemnisés pour l’investissement supplémentaire requis? Faut-il formuler un protocole d’évaluation partagé entre promoteurs et concepteurs, afin d’éviter que les paramètres physiques, économiques ou normatifs n’engloutissent les facteurs qualitatifs? Est-il possible d’instaurer le BIM pour un concours ouvert, sans indemnités, sans exclure les équipes de taille modeste ou les jeunes bureaux, tout en respectant une charte commune? Et pour finir avec une question cruciale: au stade d’un concours, l’élaboration de ces maquettes intangibles apporte-elle une plus-value réelle pour les concepteurs ? Nous tenterons d’élucider cette question ultérieurement en interrogeant les participants.
Pour de nombreuses raisons, le modèle BIM semble être un recours approprié pour garantir différents objectifs en matière de durabilité et de faisabilité pour une opération immobilière de cette envergure. Toutefois, il ne limitera pas tous les risques et créera, paradoxalement, une forte dépendance aux dernières technologies et le recours à des experts, architectes ou ingénieurs, formés en la matière. Quoi qu’il advienne, cette procédure, unique en Romandie, instaure un précédent qui fera couler de l’encre et... bouger de nombreuses data.
Ce texte est le fruit d’un dialogue avec Christian Bridel, architecte et membre du jury, Mathilde Moos, représentante d’Helvetia Assurances, et Guillaume Bourchet, chef de projet technique chez Halter SA, que nous avons rencontrés le 22 mars 2023 au siège d’Halter SA à Lausanne.
Les résultats et le rapport du jury du concours sont consultables sur competitions.espazium.ch
Concours «Cité du Vin, Gare Nord – Schenk», Rolle (VD)
Prestataire global
Halter SA
Investisseurs
Helvetia Assurances, Previs Prévoyance, Raiffeisen Caisse de retraite
Lauréats du concours
Studio Vulkan Landschaftsarchitektur, Zurich (Pilote) / LRS Architectes, Genève / LVPH Architectes, Pampigny
Autres participants au concours
- Burckhardt+Partner, Lausanne (pilote) / Atelier Descombes Rampini, Genève
- Harry Gugger Studio, Bâle (pilote) / Westpol Landschaftsarchitektur, Bâle
- Itten+Brechbühl, Lausanne (pilote) / Argemí Bufano Architectes, Genève / MAP Architecture du Paysage, Lausanne
- RDR architectes, Lausanne (pilote) / Forster Paysage, Prilly
- Verzone Woods Architectes, Vevey (Pilote) / Magizan, Lausanne / emf paysagistes, Girona
Demande de permis de construire
Automne 2023
Début de la construction
Deuxième semestre 2024
Livraison
À partir de mi-2027
Notes
1 Cette thématique a fait l’objet d’un numéro publié par TEC21 en 2022, concernant le premier concours numérique pour le centre de la haute école spécialisée des Grisons. Voir TEC21 2022/21-22
Un concours du même genre a été organisé en 2019 pour le Lokstadt-Hallen à Winterthur – un nouveau quartier urbain sur le site de l’ancienne usine suisse de locomotives et de machines SLM.
2 Voir le plan de quartier – Gare Nord – Schenk
3 Fin 2022, la Commune de Rolle a obtenu le label «Cité de l’énergie» avec un résultat de 57.8 %. Dans ce cadre, Rolle s’est dotée d’un nouveau programme de politique énergétique et climatique 2022-2026 qui présente les engagements de la Municipalité en la matière et qui définit les objectifs à atteindre afin de garantir un développement durable de la commune.