«Si on par­le de l’au­tre ur­gen­ce, le cli­mat, l’ar­chi­tec­te a un rô­le fort à jouer»

Si, pour les bureaux d’architecture plus solides, la crise a mis en péril plusieurs de leurs points d’appui, pour les structures qui ne s’en tiennent qu’à quelques mandats, les conséquences sont implacables. C’est le cas du bureau BBH architectes, créé il y a trois ans à Lausanne. Au milieu du désarroi général, l’un des trois associés répond à nos questions avec l’inquiétude d’un futur incertain mais l'avantage de ne dépendre que d’eux-mêmes pour construire un avenir différent.

Data di pubblicazione
23-04-2020

La culture du bâti face à l’urgence du Covid-19. La parole à Alexandre Berset, associé du bureau lausannois berset bruggisser hasani architectes:

espazium: Quelles mesures avez-vous mises en place au sein de votre bureau pour poursuivre votre activité?

Dès la création de notre atelier en juillet 2017, nous avons mis en place un système de connexion à distance au serveur (vpn). Je dirais donc que l’arrivée de la pandémie ne nous a pas impactés, à ce niveau-là en tout cas.

Quelles sont les conséquences de ce ralentissement pour vos mandats et/ou études en cours?

Ce n’est pas un secret, la vie, ou la survie si je puis dire, d’une jeune structure comme la nôtre est très délicate surtout dans les premières années d’exercice. Nous accusons des retards sur le chantier et les entreprises tournent au ralenti. Les séances sont modifiées, annulées et tout le monde doit s’adapter à ces nouvelles contraintes. Ce n’est pas du tout évident mais nous relativisons et savons que d’autres secteurs sont nettement plus touchés que le nôtre.

Plusieurs activités courantes de la profession ont été suspendues, notamment l'activité des chantiers. Sur quels aspects du métier concentrez-vous le travail de votre bureau en ce moment?

Nous avons créé notre atelier à l’issue d’un concours et cet aspect est fondamental dans la vie de notre bureau. Nous cultivons cette pensée, le projet tout comme la construction étant deux éléments intrinsèquement liés et indissociables du métier de l’architecte. Étant donné les retards, arrêts liés à la pandémie, nous orientons notre activité vers l’anticipation des phases de chantier à venir ainsi que la finalisation de notre site internet, qui a été un travail conséquent sur la rétrospective du travail effectué pendant presque 3 ans. Nous sommes aussi impliqués dans la vie académique à la Haute école d’ingénierie et d’architecture de Fribourg, nous continuons donc l’enseignement à distance.

Vous venez de démarrer votre activité dans le monde de l'architecture. Qu'elle était votre impression du métier avant la crise? Et est-ce que ce ralentissement est une opportunité pour amener des changements dans la profession?

Je vais être très transparent et répondre à cette question le plus objectivement possible sans trop me disperser, car il est vrai que cette période est propice à l’introspection. On le sait, l’architecture plus qu’une profession est une passion, une manière de vivre. Bien souvent la limite entre la vie privée et professionnelle est peu perceptible et la passion peut vite tourner à l’obsession. La question est de savoir pourquoi? Est-ce un trait de personnalité que l’on retrouve chez l’architecte? Est-ce une sorte de besoin de contrôle qui nous pousse à un excès de zèle? Dans tous les cas, l’évolution de la profession, la complexité sans cesse accrue et la vérité des marchés publics tend à aggraver ou mettre cette tendance en exergue et place l’architecte dans cet état de contrôle absolu et d’urgence constante. Tout porte à croire que les nouvelles technologies ou méthodes de travail tendent à une sorte de standardisation. Quelle est la place de l’architecte dans tout cela? Et où se trouve la pensée créative déliée de toutes les contraintes du capitalisme? C’est tous les secteurs qui sont touchés par cette problématique. Le début de la pandémie qui avait occasionné cette pause forcée a eu l’effet d’un réveil brutal qui nous a permis de prendre conscience de cette réalité.

La manière de consommer l’information et de consommer dans tous les domaines et dans tous les sens du terme est devenue indigeste et mécanique. Nous sommes au quotidien accablé d’images, de publicités, constamment jugés sur ce que l’on fait ou ne fait pas, ce que l’on dit et ne dit pas. De plus, notre profession est hautement exposée aux critiques et nous place progressivement dans une forme de dépendance. L’envie de bien faire se transforme en besoin de bien faire.

Le concours quant à lui nous expose à une grande concurrence que j’estime être saine et participe à une certaine qualité architecturale. Je ne dis pas qu’il génère forcément un urbanisme de qualité, mais peut générer de beaux objets. Cependant, on constate que les procédures ouvertes deviennent de plus en plus saturées vu le nombre de participants toujours en hausse. Cette démarche devient une contrainte pour le maître de l’ouvrage en terme d’organisation. L’après pandémie risque de voir le phénomène s’aggraver avec une ruée aux inscriptions. Phénomène que l’on a pu récemment constater concernant les inscriptions aux prochaines compétitions sportives de l’après confinement. Résultat : serveurs saturés, inscriptions bloquées après quelques minutes.

Pour revenir à la discussion, nous devons prendre cette période comme une sorte de chance ou de message si nous pouvons utiliser le terme, pour se poser les bonnes questions sur la suite à donner à cet événement majeur. Consommer différemment, prendre le temps de réfléchir, de lire, de s’interroger sur nos valeurs non seulement en tant qu’architecte mais surtout en tant qu’humain. Il faut aussi miser sur l’intelligence collective et espérer que l’ensemble de la population mondiale ouvrira les yeux sur les problèmes environnementaux qui sont, selon plusieurs d’entre nous, le prochain gros bouleversement que l’on vivra et qui nous poussera à modifier l’ensemble de nos paradigmes. Il est regrettable que la réflexion ne soit possible que dans des situations d’urgence, la faute à une société valorisant l’égo et la réussite plutôt que l’être, l’humain. Je finirai sur une citation de Claude Lévi-Strauss: «Le monde a commencé sans l’homme et il s’achèvera sans lui».

Comme spécialistes de l'espace, est-ce que cette période d’adaptation vous amène à repenser la notion d'espace et/ou d'habitat?

Il est vrai que cette période de confinement nous invite à nous questionner sur la notion d’espace et son utilisation. Nous passons beaucoup plus de temps à domicile qu’à l’ordinaire et notre utilisation de l’espace s’en voit profondément changé. Les séquences quotidiennes que nous avions dès le réveil jusqu’au travail n’existent plus pour le moment. C’est précisément dans ces moments-là que l’on se rend compte de la qualité de ces séquences du quotidien devenues banales en temps normal. La différenciation des espaces au sein d’un logement devient donc vitale. Il est important que l’on puisse mentalement faire la part des choses en attribuant des fonctions très claires aux espaces qui composent notre logement; se lever, se doucher, prendre son petit-déjeuner et travailler nécessite une succession de séquences et d’espaces savamment distillés, qu’il est primordial d’offrir à un habitat. Je suis donc convaincu de la qualité amenée par les typologies de type cellulaire comme le bâtiment Torres Blancas (1964-68) de Francisco Javier Sainz De Oizà ou, plus proche de chez nous, les belles typologies du Square Montchoisy (1926-31) de Maurice Braillard dans le quartier des Eaux-Vives à Genève.

Quelles réponses peut donner l'architecture à cette urgence internationale ? Et comment voyez-vous l’avenir de la profession?

C’est une question pertinente à laquelle il n’est pas évident de répondre par manque de recul. Le sentiment est que nous paraissons relativement désarmés dans notre rôle d’architecte par rapport à la pandémie en cours. Maintenant si on parle de l’autre urgence internationale, à savoir le climat, l’architecte a sans aucun doute un rôle fort à jouer, loin de l’architecture de publication. Il faut se demander si l’acte de construire dans un pays riche comme la Suisse est nécessaire et écologique. Est-ce un besoin de confort ou un besoin d’urgence (vital)? Il est clair que notre profession est exposée à ces interrogations et je pense que nous nous posons tous la question en cette période. Nous allons forcément traverser une crise qui a sans doute déjà commencé et il est peut-être nécessaire de reconsidérer le rôle que l’architecte a à jouer au niveau de la société.

 

 

À propos

 

Alexandre Berset obtient en 2015 son master en architecture à la Haute école d’ingénierie et d’architecture de Fribourg (HEIA-Fribourg). En 2017, après avoir remporté le concours pour l’agrandissement du centre scolaire à Ardon (VS) avec ses deux associés Julien Bruggisser et Argjend Hasani, l'atelier Berset Bruggisser Hasani architectes (BBH) est fondé à Lausanne. Depuis 2018, il partage son activité professionnelle avec son engagement comme professeur à la HEIA de Fribourg. Actuellement, l'atelier BBH architectes compte trois employés et poursuit également la réalisation du centre scolaire de Cordé.

 

Dossier COVID-19 - Liste des témoignages:

 

La culture du bâti face à l’urgence du Covid-19 - La parole aux professionnels

La crise sanitaire et économique que nous traversons actuellement frappe l'ensemble des secteurs professionnels et notamment celui du bâti. Pour évaluer l'impact de cette urgence dans le domaine de l'architecture, Espazium donne la parole aux professionnels du domaine afin qu’ils témoignent de manière personnelle de leur nouvelle organisation, de leur difficulté et – puisque toute crise révèle les forces mais également les failles des systèmes – qu’ils nous fassent part de leurs réflexions sur leur métier. Pour ne pas oublier, et dans l’espoir que ces témoignages aideront à mener une véritable réflexion de fond afin que tout ne redevienne pas comme avant une fois que le virus aura été vaincu.

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