L’art de la sim­pli­ci­té

Le futur bâtiment de Kengo Kuma, dont la construction devrait être terminée courant 2015, s’inscrit dans la stratégie d’aménagement du plan de développement de l’EPFL «Campus 2020». En offrant des espaces publics d’animation, de rencontre, d’exposition et de présentation, il sera le symbole de l’ouverture du campus sur la cité.

Data di pubblicazione
15-07-2013
Revision
23-10-2015
Cedric van der Poel
Codirecteur d'espazium.ch, espace numérique des éditions pour la culture du bâti

Le projet des bureaux Kengo Kuma & Associates et Holzer Kobler Architekturen promet d’être un geste architectural d’une très grande simplicité. Issu d’un concours pour un mandat d’architecture et de direction des travaux en deux phases lancé en 20111, le projet, choisi à l’unanimité par le jury, regroupe sous un seul toit (Under One Roof) les trois «programmes pavillonnaires», objets de la commande. 
Pour Luc Meier, en charge des programmes interdisciplinaires des pavillons pour l’EPFL, le bâtiment Under One Roof va témoigner «de la diversification de la culture de l’ingénieur en explorant les liens entre musique, arts visuels, sciences et technologies. Il doit permettre d’appliquer les recherches développées par l’école dans de nouveaux contextes». 
Le pavillon Welkom, situé au nord, présentera l’institution sur un espace de 1000 m2. Une exposition permanente soulignera les grandes étapes de l’école et sera enrichie par des interventions plus ponctuelles et ancrées dans l’actualité de l’institution. Il sera complété par un espace de réunion protocolaire permettant l’accueil de délégations. 
Sur la base d’une collection d’art mise à la disposition de l’EPFL par la Fondation Gandur pour l’Art, le pavillon central arts-sciences sera un espace de rencontre entre les arts visuels et les technologies développées sur le campus. L’objectif est de reconsidérer, sur 2145 m2, quelques principes muséographiques et de dépasser l’utilisation actuelle des nouvelles technologies qui, toujours selon Luc Meier, «segmentent plus qu’elles n’augmentent» l’expérience du visiteur. Les expositions seront thématiques et pourront également présenter des interventions extérieures issues de l’art contemporain et de l’art-tech/media art (image 1 et 2).
A l’extrémité sud, le troisième et dernier pavillon, le Montreux Jazz Cafe at EPFL, présentera les archives du festival de musique. Un travail de conservation par digitalisation de plus de 5000 heures d’enregistrement de concerts est entrepris depuis deux ans par le Meta Media Center de l’EPFL. Cet espace, qui comprend entre autres un restaurant et une salle de concert, proposera sur environ 2000 m2 plusieurs modules technologiques (cloches sonores localisées, interfaces interactives et displays audiovisuels immersifs) qui mettront en valeur l’immense librairie audiovisuelle constituée par Claude Nobs depuis la première édition du festival (image). 

Un toit pour symbole

Le bâtiment regroupe les trois programmes le long d’une structure de 260 mètres, dont la largeur varie entre sept mètres au nord et 14 mètres au sud. «Le concept de design du bâtiment a été déterminé principalement par deux facteurs: l’aménagement du campus et la relation aux autres objets architecturaux», souligne Javier Villar Ruiz, partenaire du bureau japonais. En d’autres termes, il s’agit, sans entrer en confrontation directe avec le Rolex Learning Center de SANAA ou la réhabilitation de halles mécaniques menée par Dominique Perrault Architecture (lire l'article La diversité architecturale comme stratégie urbaine), de simplifier, de structurer et de caractériser la place Cosenday, un espace aujourd’hui flou et pourtant central dans les circulations de l’EPFL (image).
A l’étalement de SANAA, Kengo Kuma oppose une ligne étroite, profilée, presque discrète fuyant ainsi la comparaison avec le Rolex Learning Center. Jouant avec la topographie du site, le projet s’efface du côté de l’Esplanade pour s’élargir au fil des 260 mètres et offrir au sud une façade et un front de rue à l’une des principales entrées du campus (image). Malgré cette forme, le bâtiment présente des façades longitudinales régulières, en verre ou en bois, grâce à la structure formée de près de 65 cadres situés tous les 3.80 mètres (image). En longeant l’allée de Savoie et en minimisant son emprise au sol, Under One Roof  laisse la place Cosenday gérer la relation entre les œuvres nipponnes. Deux larges porches, l’un au niveau de la route des Noyerettes, l’autre au niveau de la route d’accès au parking du Rolex Learning Center, assureront et souligneront les continuités entre les quartiers est et ouest du campus tout en délimitant les programmes pavillonnaires.
A l’instar de sa récente réalisation à Tokyo, la Teikyo University Elementary School, l’architecte japonais donne à la toiture un rôle primordial, tant symbolique que formel. Comme un clin d’œil au toit du stade de Tokyo réalisé par Kenzo Tange pour les Jeux olympiques de 1964 – dont la première partie de l’œuvre a fortement influencé Kengo Kuma2 –, le toit du projet de l’EPFL se veut une réinterprétation en pierre de la toiture traditionnelle du chalet suisse. Grand élément du projet, il réunira les trois programmes. Classique sur toute sa longueur, il se plie aux extrémités pour offrir des espaces protégés ouverts au paysage au sud et au cœur du campus au nord. 
Dans un article présentant l’une de ces œuvres, The Great Wall Guest House à Pékin, Kengo Kuma écrivait: «Je crois que les structures et les bâtiments doivent avoir une peau, et pas uniquement une surface extérieure. Sans peau, l’âme de la structure n’a pas d’endroit où résider. La peau n’est pas uniquement le dehors de quelque chose ; c’est un organe vivant. Et le rôle de cet organe délicat et hautement fonctionnel est de faciliter l’interaction entre le monde naturel intérieur et le monde naturel extérieur. La peau est interaction et non blocage ou isolation. A travers la peau, le monde naturel extérieur filtre à l’intérieur et inversement»3
Dans le projet Under One Roof , l’architecte veut utiliser les matériaux de la peau du bâtiment pour brouiller les frontières entre intérieur et extérieur. Ainsi, le bois du plafond émerge à l’extérieur et utilise la désarticulation de la toiture pour venir flirter avec le sol. Alors que la pierre des aménagements extérieurs pénètre la structure au niveau de la mezzanine du Montreux Jazz Café.
A la simplicité formelle répond une complexité des aménagements intérieurs: même s’il est pensé comme un bâtiment rue, le projet parvient à éviter le simple couloir. Un travail topographique jouant avec les niveaux a été effectué afin de bannir les impasses et offrir aux visiteurs de nombreuses relations visuelles, des boucles de circulation et une multitude de chemins et d’expériences. 
L’image est séduisante. L’approche est sobre, presque humble et, comme souvent chez Kengo Kuma, sensible au contexte et aux matériaux traditionnels. Pensé comme un hub pour piéton, il devrait pouvoir jouer le rôle d’interface entre les différents quartiers de l’EPFL et renforcer la mue du campus en lui offrant un prolongement de son axe nord-sud.

 

Notes

1 52 dossiers ont été remis pour la phase de sélection et 12 dossiers ont été retenus dont ceux de 6 jeunes bureaux. 
2 Kengo Kuma, «les matérialités d’une tradition réinterprétée», entretien réalisé par Jean-Philippe Hugron, in Le Courrier de l’architecte, 2010, www.lecourrierdelarchitecte.com/article_242
3 Kengo Kuma, «Great (bamboo) Wall guest house, Great Wall of China, Beijing, China», in UME15, 2002, pp. 30-39, traduit par la rédaction.

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