Ex­ten­sion nord de l’EP­FL: mi­se en scè­ne ur­bai­ne

Situé au nord-ouest du campus de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, le projet réalisé par le bureau d’architecture Richter-Dahl Rocha & Associés constitue bien plus qu’une simple extension. L’ensemble qui se dessine progressivement opère sur deux fronts: il reconsidère le principe du campus en renégociant certains de ses a priori historiques et tente à la fois de constituer une réponse, certes symbolique mais non moins pertinente, à la question du mitage du territoire

Data di pubblicazione
15-07-2013
Revision
23-10-2015

Le campus, partie intégrante de l’entité urbaine


Jouxtant la station du métro qui relie Renens à Lausanne, le nouveau quartier de 30 000 m2 1 comprend un centre de congrès avec une salle principale d’une capacité de 3000 places, 516 logements étudiants et une piazza ouverte. On y trouvera aussi des commerces, des espaces administratifs et de services, ainsi qu’un parking souterrain de 275 places. Le projet est issu d'un partenariat public-privé entre la Confédération, l'EPFL, HRS Real Estate SA et deux fonds immobiliers du Crédit Suisse.
Cela tient de l’évidence: le projet dans son ensemble cherche à créer une brèche afin d’introduire la ville dans le campus. Un peu comme une greffe qui, une fois qu’elle aurait pris, viendrait renforcer le devenir urbain de cette portion de l’agglomération lausannoise. C’est à cette échelle que le projet semble avoir été pensé. Il inscrit le développement du campus dans celui plus large du Schéma directeur de l’Ouest lausannois, ce plan d’envergure qui s’efforce de constituer un nouveau pôle urbain pour l’agglomération2. Cela signifie que, sans nécessairement rompre avec sa raison d’être, le campus serait en train d’évoluer vers quelque chose de différent de ce pour quoi il a été conçu. 
Doit-on rappeler le préalable négatif des campus en général, dans leur rapport aux villes dont ils émanent? Souvent décrits comme des entités anti-urbaines, ils sont nés, en Europe tout du moins, dans un esprit de dispersion fonctionnelle des éléments constituant la ville historique. Le campus fait partie de la stratégie moderne de zonage qui vise la stricte séparation des lieux d’habitat et de travail. Certains vont même jusqu’à y voir (notamment en France) un moyen d’affaiblir le rôle des étudiants dans la vie politique en les tenant à l’écart des centres-villes. 
Après 1968, plusieurs grandes villes européennes vont s’engager dans la création de campus universitaires en périphérie. Le besoin d’éloigner leurs étudiants des centres administratifs est un des arguments mis en avant. Si Lausanne ne rentre pas nécessairement dans ce cas de figure, son campus prend forme lui aussi dans les années 1960. Le départ des facultés du centre vers Dorigny va s’échelonner sur plusieurs décennies et s’inscrit dans la vision urbaine d’une ville étendue, radicalement fonctionnelle, où toute activité peut se développer à sa guise sur un territoire qui lui est propre. Les facultés ont besoin de place: c’est loin du centre qu’elles vont la trouver. Même si Guido Cocchi, l’architecte responsable de la conception de l’UNIL, affirme que le choix des matériaux dans les premiers bâtiments était en partie conditionné par la crainte d’émeutes (pas de pavés pour les trottoirs, ni de pommiers autour des bâtiments), nous sommes loin d’une réflexion d’ordre sécuritaire. C’est une vision strictement pratique, qui préfigure l’exode des facultés de Lausanne. L’université, originellement vouée à l’enseignement, va ainsi se transformer en aménageur de territoire. En effet, le nouveau campus occupe une superficie qui correspond à peu de choses près au centre historique de la ville. L’ambition initiale du projet n’est pourtant pas de refaire la ville à côté de son centre; juste d’assurer assez de place au pôle universitaire pour qu’il puisse se développer sans entrave. 
Au fil des ans, l’UNIL et l’EPFL vont progressivement s’implanter : l’UNIL en prenant soin de préserver les caractéristiques paysagères de son site boisé, l’EPFL en proposant des bâtiments interconnectés et standardisés, avec une forte occupation du sol. Le résultat donne une image assez urbaine pour l’EPFL, plus en harmonie avec son environnement pour l’UNIL. Dans les deux cas, et pour garder entière cette liberté de s’accroître, le campus va défendre son intégrité: sur son territoire, on travaille mais on ne réside pas.
A Lausanne comme dans d’autres villes qui ont éloigné leurs facultés3, on regrette la vitalité qu’apportait leur présence au centre. Le cas de Zurich, qui a su maintenir ses étudiants au cœur de la ville, est souvent cité en contre-exemple. Comme un retour des facultés en ville semble difficile à concevoir , on préfère envisager la lente mutation du campus en quartier de la ville dont il s’est détaché. C’est ainsi que vont apparaître progressivement différentes stratégies pour briser le zonage strict et retisser le lien entre les cités universitaires et leurs environs. Un hôtel et des logements étudiants en 2010 ont initié le changement d’attitude concernant la planification du développement du campus. Le pôle universitaire de Lausanne semble s’engager sur cette voie qui vise à refaire des campus des lieux de vie à part entière. 
Pour cela, il faut tout d’abord pouvoir y habiter. L’activité ne doit plus s’arrêter avec la fin des cours. Il faut aussi, et c’est peut-être plus important encore, que le campus devienne un lieu qui ne concerne plus seulement les étudiants, mais aussi les habitants des environs. 
L’articulation du Swiss Tech Convention Center et des logements, autour d’une place publique dotée de commerces, semble aller dans ce sens. Le campus essaye d’introduire sur son territoire les éléments qui constituent la matière urbaine. Il la recrée, non par mimétisme mais dans un esprit d’ouverture: il se fait ville. Situé dans une partie en plein essor, il s’apprête à rendre à la ville ce qu’il lui a emprunté en termes de vitalité. Ce projet, plus encore que le Learning Center, entreprend le démantèlement des frontières du campus. Il n’est pas faux d’espérer que dans vingt ans, elles auront complètement disparu. 

Le Swiss Tech Convention Center, porte symbolique du campus


Le «devenir ville» serait l’un des deux grands vecteurs conceptuels qui conditionnent le projet. Le centre de congrès semble cependant se positionner sur une autre frontière, tout aussi importante. Non plus celle de plus en plus poreuse qui sépare la ville du campus, mais celle qui délimite la ville de la campagne. A la lisière du campus, l’édifice aux allures de pierre taillée constitue sans aucun doute un signe dans le paysage. L’aspect compact du bâtiment principal joue admirablement avec les restants de prairies qui lui font face. On pourrait même croire qu’il a tout spécialement été conçu pour souligner l’effet de contraste entre l’aspect paisible des champs et celui dense et animé du nouveau quartier. En venant de Renens, le m1 vire à gauche pour rentrer dans le campus. Il quitte un axe sans identité particulière (l’avenue du Tir-Fédéral) pour pénétrer un espace densément bâti, clairement identifiable. Loin de chercher à estomper la transition (du plein au vide), le centre de congrès l’exacerbe. Son auvent aux angles saillants décuple l’effet de passage d’un territoire à un autre. Sur la question du rapport au paysage, l’aménagement ne recherche donc pas la porosité mais bel et bien le clivage. La frontière symbolique entre un milieu hybride, peu dense, et un ensemble qui se veut urbain, doit être nette, tranchante. A l’arrêt EPFL, l’usager pénètre la cité estudiantine en atterrissant au cœur d’un archétype urbain: une place publique ouverte, bordée de commerces. L’ouverture de la station du m1 sur la piazza rend possible une véritable mise en scène de cette nouvelle vision du campus. Le m1, ce tram train sans prétentions qui pensait pouvoir faire l’économie d’une double voie sur toute sa longueur, est littéralement pris en étau par les nouveaux bâtiments qui le bordent. D’axe sous-exploité traversant paisiblement la périphérie lausannoise, il prend soudain l’allure d’un axe de l’hypercentre. Ce télescopage a un double effet: il se sert à la fois du campus pour constituer un spectacle urbain à l’intention des usagers des TL, et du m1 pour renforcer le caractère urbain de cette partie du campus. Cette juxtaposition parvient finalement à créer un pôle symbolique de densité. C’est précisément ce qui en fait une porte d’entrée, pas seulement du campus, mais assurément de cette partie de la ville. L’architecture surprenante du centre de congrès vient de sa disposition à fonctionner sur deux registres, pour deux effets contradictoires : augmenter la porosité entre la ville et le campus, et lutter contre cette autre forme de porosité que nous appelons le mitage du territoire. 

Centre de congrès: pièce maîtresse dans une collection d’architectures 


Le bâtiment principal, dont la forme est issue d’une optimisation de la volumétrie intérieure, disposera de gradins modulaires pouvant être configurés selon l’occasion. A l’ouest, une large baie vitrée constituera la première utilisation à une aussi grande échelle des cellules photovoltaïques Graetzel4. Malgré une grande disparité formelle, le bâtiment principal et les logements adjacents font preuve d’une certaine cohérence stylistique grâce à l’emploi de matériaux qui dialoguent entre eux. On retrouvera les mêmes tonalités sur les parois inclinées du centre de congrès et sur les façades rectilignes des bâtiments de logement. Cette cohérence risque par contre de manquer au projet global de développement de l’EPFL: celui qui concerne les trois grands chantiers simultanés (Richter - Dahl Rocha, Dominique Perrault, Kengo Kuma) qui vont radicalement transformer le campus dans les années à venir. 
Comment expliquer les divergences notoires entre ces différents projets, sinon en évoquant encore une fois l’idée du campus en quête d’urbanité5? Les trois réalisations et leurs divergences accentuent la pluralité stylistique du campus. Sans aller jusqu’à juxtaposer des architectures sans rapport les unes avec les autres, nous avons affaire à un choix manifeste de faire dialoguer des langages hétérogènes. De moderne et radicalement fonctionnel, le campus mise donc sur la polyphonie en espérant y trouver les attributs de son «devenir ville». En jugeant de la qualité des projets sollicités, il est très probable que l’entreprise soit une réussite. Reste à inscrire cette pluralité dans l’ADN du campus, son modus operandi, et ne pas se contenter d’un décor urbain. Cela passera par l’ouverture effective du campus à des acteurs associatifs, culturels, voire même économiques, n’ayant pas nécessairement un lien direct avec la vie estudiantine. Si le centre de congrès et l’aménagement de ses environs laissent préfigurer une évolution dans ce sens, l’inversion du raisonnement qui a produit ce pôle universitaire n’est pas à l’ordre du jour. Le «devenir ville» du campus reste bien plus de l’ordre de la rhétorique liée au développement, que du véritable changement de cap. 

 

Notes

1 Surface utile de plancher: 48 700 m2 dont 14 165 m2 pour le centre de congrès. 
2 Les services concernés de l’EPFL et l’UNIL font partie des groupes de travail du Schéma directeur de l’Ouest lausannois (SDOL, chantier 1).
3 Plusieurs agglomérations en France (Amiens, Bordeaux) sont engagées dans des projets de réinsertion des universités excentrées dans la ville.
4 Cette façade fait partie du volet R&D du parc solaire Romande Energie – EPFL, en construction.
5 La volonté d’avoir un « campus vivant » est en effet clairement affichée par l’EPFL. Cela passe non seulement par la création de chambres d’étudiants, mais aussi par la réalisation de nouveaux projets conçus dans une optique d’ouverture vers la ville et ses habitants, tels que l’espace d’expérimentation muséal et le Montreux Jazz Café du projet de pavillons de Kengo Kuma, dont la construction va démarrer sous peu. 

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