«Beau­coup se bat­tront pour re­ve­nir à l’état d’avant la cri­se»

Pour le jeune architecte lausannois Nicolas de Courten, le défi majeur se situe dans l’après-crise pour que les velléités de changements qui s’affichent aujourd’hui ne soient pas une nouvelle fois «sacrifiées sur l’autel de la croissance».

Data di pubblicazione
07-04-2020
Cedric van der Poel
Codirecteur d'espazium.ch, espace numérique des éditions pour la culture du bâti

Quelles mesures avez-vous mises en place au sein de votre bureau pour poursuivre votre activité?
Dans un premier temps, nous avons distancé les places de travail et pris des dispositions concernant la fréquence du lavage de mains et l’utilisation des objets «non individualisables», telle que notre précieuse machine à café. A ce moment-là, nous ne réalisions pas à quel point les choses allaient se gâter. Suite à l’évolution de la situation et aux décisions prises par les autorités, nous avons instauré le télétravail et organisons les quelques séances maintenues, à distance. Nous faisons une séance interne zoom le matin et utilisons les différents outils informatiques disponibles pour continuer nos tâches de manière coordonnée et dans la léthargie imposée par la situation.

Les nouvelles technologies permettent cette flexibilité, même si elles montrent aussi leurs limites. Avec les vitesses de connexion actuelles, il parait difficile de travailler à distance sur la maquette partagée d’un grand projet…

Quelles sont les conséquences pour vos mandats et/ou études en cours?
Actuellement, nous travaillons principalement sur des projets en phase de planification et d’appels d’offres, ainsi que sur deux mandats d’études parallèles. Les conséquences sur ces mandats en cours ont été immédiates. La majorité des séances tout comme les prises de décisions sont ajournées, les publications d’appels d’offre mises en pause et les rendus et présentations des MEP reportés à des dates non communiquées. Parallèlement, tout échange et toute coordination avec les différents services et entreprises sont fortement altérés et réduits. Nous nous retrouvons en «veille» sans savoir combien de temps l’interruption va durer.

Selon vous, cette crise va-t-elle amener des changements profonds dans l'organisation du métier?
Difficile à dire. L’arrêt sur image imposé par la propagation du virus peut nous donner l’impression d’avoir un certain temps pour réfléchir, à moins que ce ne soit qu’une illusion.
Comme beaucoup, j’aimerais voir dans cette période étrange l’occasion de prendre du recul nous permettant une réflexion en profondeur sur la société. Le ralentissement soudain et prolongé du système économique à l’échelle mondiale aidera peut-être un certain nombre de personnes à réaliser à quel point notre société moderne est dans le mur. En basant notre économie sur une nature réduite à une simple ressource, nous écrivons l’histoire impossible d’une croissance matérielle infinie dans un monde fini. On peut lire dans la situation actuelle le rappel de cette incompatibilité et l’occasion de changer certaines choses.
Je redoute malheureusement que cet espoir ne soit que de courte durée, qu’une fois la machine relancée, tout désir de changement soit instantanément sacrifié sur l’autel de la relance économique. Pire encore, le risque de voir les mesures pour lutter contre la récession attendue aller à l’encontre des problématiques majeures comme la lutte contre le réchauffement climatique et la chute de la biodiversité est préoccupant. Beaucoup se battront pour revenir à l’état d’avant la crise. C’est eux qu’il faudra convaincre. Si nous ne reconsidérons pas notre rapport au vivant dans sa globalité, tout porte à croire que l’anthropocène sera accompagné d’un cycle de crises sanitaires et sociales dont la crise actuelle n’est autre que la bande annonce.
La pandémie de coronavirus paraît surmontable, et comme toutes les crises majeures de notre époque, c’est à l’échelle de la planète qu’il faudra la régler. Les uns avec les autres. Espérons que cette crise agisse comme un signal d’alarme planétaire et qu’elle contribue à amorcer la révolution écologique prônée par la science. Cette même science qu’on a essayé de taire en début d’épidémie.

Profitez-vous de ce temps de dilatation indéterminé pour aborder la profession autrement?
La période actuelle nous donne l’occasion de prendre de la distance sur nos derniers projets de concours et sur la posture du bureau. Elle nous donne l’occasion de relire les projets et de les comprendre en dehors du prisme de la production «automatique». Toute période d’accalmie est évidemment propice à la cette réflexion. C’est un moment contradictoire, nous profitons du calme imposé par l’urgence.

À propos de

NICOLAS DE COURTEN architectes EPF SIA

Originaire de Sion en Valais, Nicolas de Courten a obtenu son Bachelor of Science en architecture à l’EPF de Lausanne en 2009 avec un échange à la Royal Danish Academy of Fine Arts, School of Architecture de Copenhague. Après des stages à Zurich et à New York, il obtient son diplôme à l’EPFZ en 2012 et travaille jusqu’en 2017 comme architecte dans le bureau Esch Sintzel Architekten à Zurich. Il fonde son bureau à Lausanne la même année. Le bureau compte actuellement 4 collaborateurs et 1 collaboratrice.

Dossier COVID-19 - Liste des témoignages:

La culture du bâti face à l’urgence du Covid-19 - La parole aux professionnels

 

La crise sanitaire et économique que nous traversons actuellement frappe l'ensemble des secteurs professionnels et notamment celui du bâti. Pour évaluer l'impact de cette urgence dans le domaine de l'architecture, Espazium donne la parole aux professionnels du domaine afin qu’ils témoignent de manière personnelle de leur nouvelle organisation, de leur difficulté et – puisque toute crise révèle les forces mais également les failles des systèmes – qu’ils nous fassent part de leurs réflexions sur leur métier. Pour ne pas oublier, et dans l’espoir que ces témoignages aideront à mener une véritable réflexion de fond afin que tout ne redevienne pas comme avant une fois que le virus aura été vaincu.

 

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