In­si­de Un­der One Roof

Under One Roof, dernier bâtiment livré sur le campus de l’EPFL, porte bien son nom: le principe de rassembler un programme hétéroclite sous un seul toit se trouve décliné jusque dans la qualité inégale des projets abrités dans l’édifice.

Data di pubblicazione
09-11-2016
Revision
15-11-2016

Dans le bâtiment tout en longueur de Kengo Kuma, il semble y avoir de la place pour le meilleur comme pour le pire. Le meilleur, comme l’exposition Soulages, dont le concept de base et la mise en oeuvre préfigurent un projet visionnaire d’une grande finesse. 
Le meilleur, c’est encore le Montreux Jazz Café qui, malgré ses allures d’enseigne de luxe sous franchise, rend accessible une gigantesque banque de données sur l’histoire du festival mythique. 
Ce qui est moins pertinent, c’est probablement le Datasquare, le dispositif permanent consacré aux deux projets phares en matière de big data. Conçu comme la vitrine de l’EPFL dans sa volonté de s’élever au rang de haut lieu de la recherche sur l’intelligence artificielle, il échoue faute d’esprit critique. 
Qu’y a t-il de réussi dans l’un et de manqué dans l’autre ? « Noir c’est noir ? Les outrenoirs de Pierre Soulages, une exposition à la croisée de l’art et de la science » part de l’idée que des savoir-faire scientifiques vont pouvoir être mis à contribution dans une authentique exposition d’art. L’objectif est de valoriser la production de laboratoires qui se situeraient à cheval entre les intérêts d’une école d’art et ceux d’une école polytechnique. Si le projet s’inscrit dans l’esprit de la collaboration entre l’EPFL et l’ECAL, le principe d’un espace d’exposition permanent constitue une intensification de ce partenariat.
S’il n’est pas rare de rencontrer dans le milieu de l’art contemporain des projets reposant sur des savoirs scientifiques de pointe, il n’existe pas d’institution dont le projet curatorial se définisse comme tel. Il ne s’agit pas seulement, comme cela se fait à La Gaîté lyrique à Paris ou au V2 à Rotterdam, d’explorer les croisements entre nouveaux médias et art. L’espace ici préfiguré vise une approche plus pratique, un lieu d’expérimentation sur des nouveaux usages muséographiques développés par des équipes de l’EPFL.
Cinq laboratoires mettent leur savoir-faire à contribution afin d’enrichir la perception et la compréhension d’œuvres issues pour l’essentiel de la galerie lausannoise Alice Pauli. Telle équipe crée un dispositif de mise en lumière capable de donner à voir ce qui n’apparaît pas à l’œil nu1, telle autre travaille sur des dispositifs de numérisation ultrasensibles capables de restituer en ligne la plasticité des monochromes saturés de Soulages2. Telle autre encore invite le visiteur à appréhender le contenu de l’exposition sous une forme immersive et interactive.3
Dans tous les cas, l’exposition est censée fonctionner à double entrée, sans que jamais l’une des deux approches scientifique ou artistique ne soit relayée au rang de prétexte pour mettre en avant l’autre. L’idée étant de pérenniser cette approche, dans un esprit d’innovation et d’expérimentation qui fera, à terme, la renommée de cet espace d’exposition.

Data in a box

Peut-on en dire autant du très coûteux et spectaculaire Datasquare? Le dispositif regroupe toutes les caractéristiques d’une exposition d’aéroport ; un lieu que l’on doit pouvoir visiter en le parcourant, sans jamais ressentir le besoin de revenir sur ses pas.
Certes, graphiquement, la chose en jette plein la vue. Mais ce chantier de prédilection ne méritait-il pas une approche plus intelligente, plus dialectique, voire légèrement plus critique ? 
N’aurait-il pas fallu passer commande à des artistes ou des chercheurs pour penser le contenu de cette boîte de projection ? Au lieu de cela, on se retrouve face à un récit qui frôle le simplisme. On ne quitte jamais les stéréotypes les plus usés sur la réalité virtuelle, sans jamais esquisser la moindre réflexion sur ce que signifie cette nouvelle condition du savoir reposant sur le décuplement des capacités de calcul et de stockage. 
Les big data sont exposés comme une perspective radieuse dans une imagerie mêlant Harry Potter et Star Trek, sans vraiment aborder leur dimension actuelle qui fait que notre quotidien en est déjà façonné. 
Pour dire les choses plus simplement, le récit du dispositif semble désuet avant même d’avoir été inauguré. Pour ne donner qu’un seul exemple de ce qui aurait pu être fait, la cartographie dynamique de Paul Virilio et Diller Scofidio sur l’état des migrations dans le monde (EXIT)4 présentée à la fondation Cartier en 2008, c’est-à-dire il y a bientôt dix ans, paraît encore aujourd’hui nettement plus actuelle.
On répliquera qu’il s’agit d’un dispositif destiné au grand public et aux écoles. Les concepteurs ont fait acte de vulgarisation, essayant de rendre explicites dans un même élan deux projets complexes : Venice Time Machine et Blue Brain Projet. En effet, l’idée d’une analogie entre les deux projets, inscrite dans la scénographie, constitue une ébauche d’analyse. Ça n’ira pas plus loin. La comparaison avec l’excellente installation voisine, ne fait qu’aggraver les carences de cette mise en scène grandiloquente. 

All that jazz…

Le troisième espace de l’ensemble Under One Roof, consacré au Montreux Jazz Festival, rétablit le caractère expérimental du lieu, même s’il le fait dans le contexte un peu trop commercial pour être crédible.
Le festival de jazz ayant le droit de montrer les milliers d’heures d’enregistrements uniquement dans ses propres cafés, il a fallu créer une succursale de la franchise sur le campus pour rendre accessible une base de données publique de tous les concerts de l’histoire du festival. Cela prend la forme d’un espace immersif, version praticable d’un prototype peu maniable conçu à l’Ecal Lab.
Pour résumer la chose, on peut tout simplement naviguer dans l’intégralité de l’histoire du festival, retrouver tel concert et se le rejouer dans un dispositif de sonorisation ajustable.
Seule réserve: le culte du label. Le tout est emballé dans la franchise Montreux Jazz Café, qui se décline d’aéroport en aéroport tel un Starbucks de luxe.
Globalement, si le projet Under One Roof pâtit d’une vision trop commerciale, trop corporate de l’action culturelle, il ne comporte pas moins les germes qui permettent d’en faire un haut lieu de l’interaction entre art et science. Reste à purger tous les faux pas, les impensés néolibéraux et les facilités des partenariats publics-privés, pour permettre au cœur du projet d’apparaître dans ce qu’il a de radicalement innovant.

 


Notes

1. Laboratoire LTS2 Maximilien Cuony, Fabien Willemin, Johan Paratte, Pierre Vandergheynst) ; Fragment.in (Marc Dubois, Laura Perrenoud, Simon de Diesbach)

2. Laboratoire de communications audiovisuelles (LCAV) ; ARTMYN
(Loïc Baboulaz, Julien Lalande, Alexandre Catsicas)

3. EPFL+ECAL Lab (Tommaso Colombo, Joëlle Aeschlimann, Marius Aeberli, Delphine Ribes, Nicolas Le Moigne, Nicolas Henchoz)

4. EXIT - Virilio, Diller Scofidio + Renfro, Hansen, Kurgan, Rubin, Pietrusko, Smith - 2008-2015

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