Une fu­rieu­se en­vie de den­si­fier. D'­ac­cord, mais où?

Dichtelust – formes de cohabitation urbaine en Suisse au Musée suisse d’architecture, jusqu’au 05.05.2019

Publikationsdatum
07-03-2019
Revision
07-03-2019

Encore visible jusqu’en début mai à Bâle, Dichtelust offre un panorama assez hétéroclite d’opérations de densification actuelles en Suisse. Organisée avec le soutien du Département de la construction et des transports du canton de Bâle-Ville, une grande partie de l’exposition est dédiée aux importants projets de reconversion des aires industrielles et ferroviaires de Bâle (Nauentor, Bâloise Park, Tour Meret Oppenheim), mais aussi aux volumes imposants que l’industrie pharmaceutique s’apprête à réaliser. L’exposition s’assimile donc prioritairement à une opération de communication auprès de la population locale, maquettes à l’appui.
Mais elle va plus loin: il s’agit de renouveler de manière générale l’argumentaire de la densification, que nous ne cessons de rabâcher depuis des décennies. Le message est contenu dans le titre: densifier ne doit plus seulement relever d’une obligation, mais bien d’une envie. Une thérapie pour combattre une maladie mentale typiquement helvétique, le Dichtestress. Le terme, inconnu dans d’autres pays germanophones, est utilisé simultanément dans les campagnes politiques visant l’immigration étrangère et l’urbanisation du territoire suisse, parce qu’il crée une causalité immédiate entre l’étroitesse de l’espace partagé et certains syndromes nerveux.1 Or, une densification des territoires déjà bâtis est «sans alternative pour accompagner le développement du pays», rappelle Andreas Ruby, co-commissaire de l’exposition. Et de reprendre ce constat, maintes fois établi: les citoyens suisses admirent les grandes villes comme New York, Paris ou Milan, mais se montrent bien frileux à concrétiser une véritable culture urbaine dans leur propre pays. Aussi, au lieu de continuer à parler de densité en termes statistiques, il faut désormais discuter la densification non plus en termes de quantités mais de qualités: mixités, mutualisations des équipements, lieux de rencontre, cohabitations, etc.

La densité, partout

S’il est encore nécessaire de tenir ce discours dans un musée dédié au grand public, il ne faudrait pas que celui mène à confondre densité avec urbanité – à réserver la Dichtelust à une certaine population, celle des villes, et donc à condamner explicitement une certaine mentalité antiurbaine qui serait l’apanage des populations de la périphérie, des vallées et des campagnes, quand c’est en réalité celle-ci qu’il faudrait amener dans le débat.
Rats des villes contre rats des champs? Nous savons que cette opposition discursive (qui n’est pas explicite dans l’exposition) ne reflète pas la réalité vécue, l’étalement urbain étant un phénomène graduel. Dès lors, malgré elle, l’exposition semble poursuivre une opposition binaire qui exclut de la problématique les aires périphériques, l’agglomération, mais aussi les aires villageoises, c’est-à-dire le gros des territoires bâtis de ce pays. Parmi les 25 projets présentés dans l’exposition, la grande majorité sont de grosses opérations situées dans les villes de Bâle et Zurich – c’est-à-dire sur des territoires déjà bien urbanisés, qui se trouvent évidemment être également les plus attractifs de Suisse. Or, la réflexion sur une densification de qualité doit obligatoirement se décliner à l’échelle du territoire tout entier.
Dans ce panorama, il y a bien évidemment quelques exceptions, que nous nous empressons de mettre en lumière. Celle de la villa multifamiliale «Ballet Mécanique» (Manuel Herz, Zurich – Seefeld, 2017), qui entrerait parfaitement dans la thématique du présent numéro. Puis il y a celles des quelques Romands représentés: le plan projeté par GayMenzel pour Savièse (VS), qui ambitionne de remplacer le terrain de foot de la commune par un véritable nouveau centre, avec commerces, supermarché, restaurants, logements, bureaux et même une petite clinique. Du côté de la campagne fribourgeoise,la Maison du Gruyère à Pringy (FR) de frundgallina réunira dans un ensemble compact de cinq volumes des espaces de production et de mise en valeur du fromage éponyme. Enfin, sur la Riviera lémanique, on ne manquera pas l’immeuble de huit étages et de près de 300 m de long que Made In a projeté sur la commune de Clarens (VD). Quant au Tessin, il est absent. Est-ce un statement? Lust, c’est le désir – c’est aussi le plaisir. Jouissons donc de la densité, dans tous les recoins du territoire. 

 

Notes

1. Ce sont les propos de Thomas Haemmerli, cet agitateur public dont nous avons déjà parlé (à propos de son film I am Gentrification, voir TRACÉS no 4/2018) 

Informations

DICHTELUST – formes de cohabitation urbaine en Suisse 
Jusqu’au 05.05, S AM Musée suisse d’architecture, Bâle sam-basel.org 

Catalogue: Dichtelust – Formen des urbanen Zusammenlebens in der Schweiz
Bâle, S AM/Christoph Merian Verlag, 2018 / 34 fr.

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