I'AM GEN­TRI­FI­CA­TI­ON. CON­FES­SI­ONS OF A SCOUND­REL

Après «Je suis Charlie» et ses nombreux avatars, «Je suis la gentrification» sera-t-il le cri de ralliement cynique d’une classe moyenne urbaine et décomplexée?

Publikationsdatum
06-02-2018
Revision
28-02-2018

Thomas Hämmerli agace. Il nous agace en dévoilant sa petite vie privée, ses caleçons, l’accouchement de sa femme. Il nous agace quand il étale toute sa biographie, celle, assez banale, d’un jeune homme de bonne famille zurichoise, qui a vécu dans un squat avant d’occuper en colocation une de ces belles demeures délaissées par la crise économique de la fin des années 1980. Il nous agace avec ses discours bien-pensants, lui qui a mené la vie d’artiste entre Paris et São Paolo. Nul ne répond mieux que lui à l’appellation «bourgeois-bohème», nul ne s’en porte aussi bien. Il nous agace, Thomas Hämmerli, et il fait bien.

Figure de proue de la scène artistique zurichoise, auteur de documentaires politiques, Hämmerli s’est spécialisé dans l’analyse des angoisses de la petite bourgeoisie helvétique (l’avenir, le désordre, etc.). Il publie en 2014 un pamphlet intitulé Le train est plein (raillant le mot d’ordre de la Seconde Guerre mondiale «La barque est pleine»), pour comprendre ce syndrome si helvétique de Dichtestress – cette peur irrationnelle de la densité, dont les nationalistes conservateurs font régulièrement un argument de campagne contre l’immigration, qu’ils tiennent pour responsable de la crise immobilière… 

Dans ce film caustique, le journaliste s’attaque cette fois à la gentrification. Pour lui, le terme est également utilisé pour saper les efforts de densification dans un pays qui se méfie de la culture urbaine et voue un culte à la propriété privée. Le documentaire, plutôt drôle, tourne autour de la seule personne du réalisateur, qui aborde, dans le désordre et sous le filtre biographique, des thèmes touchant à la densité, à la surface par habitant, au développement urbain, à la xénophobie. L’artiste zurichois s’en prend aussi bien à la mentalité villageoise de la droite conservatrice qu’à l’idéal gentillet de la gauche bohème et anti-moderne, qui font tous deux obstacle à la densification des villes suisses. Hämmerli finit par acquérir un somptueux appartement au cœur de Zurich: son parcours le mène immanquablement à personnifier le paradoxe même d’une classe moyenne qui aimerait promouvoir à la fois la ville dense et la diversité de ses habitants. Valoriser la culture urbaine, est-ce fatalement devenir l’agent gentrificateur qu’il combattait durant sa jeunesse? La confession de l’artiste ne nous convainc pas vraiment. Mais après un détour par Paris, Mexico City et São Paolo, les parallèles un peu douteux qu’il établit forcent au moins à épouser sa thèse centrale: en matière de densification, les Suisses peuvent mieux faire. Et ce n’est qu’une fois guéris de leur syndrome chronique de Dichtestress qu’ils règleront leurs problèmes de logement et de congestion. Il nous agace, Hämmerli, mais il le fait très bien.


Thomas Haemmerli (2017, Suisse, 1 h 35, doc.). Rencontre avec le réalisateur

Lieu: Cinémathèque, Cinématographe
Horaire: 28.02 à 18h30​​​​​​​