Les enjeux de la formation continue selon l’ETHZ
Focus formation continue
Pour Lukas Sigrist, directeur de la School for Continuing Education (SCE) de l'ETH de Zurich, l'enseignement postgrade est confronté à divers facteurs de changement, notamment l'émergence des «micro-certifications» et l'auto-financement des programmes, ainsi que l’évolution du cadre normatif ou les nouvelles orientations thématiques.
espazium.ch : quelle est la feuille de route de l'ETHZ en matière de formation continue?
Lukas Sigrist : notre priorité actuelle est d'appliquer la recherche dans le contexte professionnel. Pour y parvenir, nous travaillons activement à la création de formations spécialisées en tirant parti des nombreux départements de recherche de l'ETHZ, tout en nous efforçant d'offrir des programmes répondant à une forte demande et qui sont durables sur le long terme.
Quels sont les critères qui définissent votre catalogue de formations?
Les formations répondent principalement à des besoins issus des milieux professionnels. Les entreprises constatent une évolution rapide dans leur secteur, ce qui les pousse à chercher des formations adaptées. Du côté académique, les enseignant-e-s et les chercheurs-euses ont la capacité de répondre très rapidement à ces demandes et de fournir rapidement les formations les plus adéquates.
Pour ce qui est des thématiques, environ 50 % des programmes introduits récemment ont un fort accent sur la durabilité et la transition écologique. Comme le CAS in Regenerative Systems qui propose une approche holistique de la nature, de l'environnement des bâtiments et de la manière de produire durablement ; Le CAS in Climate Innovation, où nous essayons d'attirer des chefs d’entreprise pour leur enseigner à diriger leurs entreprises vers un avenir plus durable ; Ou le MBA développé avec l'Université de Saint-Gall qui est l’une des rares offres de ce type qui tente de réfléchir à ce que ressemblera l'avenir de la durabilité dans l'éducation.
De quelle manière sont financés actuellement les cours ? Pourquoi l'ETHZ ne soutient plus financièrement la formation continue?
Il s'agit d'un sujet très controversé. D'une part, depuis 2017, et l'entrée en vigueur de la loi fédérale sur la formation continue, les universités sont chargées par le gouvernement fédéral d'assurer la formation continue tout au long de la vie, en précisant que tous les programmes doivent être financièrement autosuffisants. L'ETHZ est un peu plus souple et soutient encore financièrement quelques cours, s'ils revêtent une importance stratégique pour notre école ou s'ils répondent à une demande de la société qui rend un programme particulièrement pertinent. Nous constatons que les programmes que nous avons soutenus dans le passé sont financièrement viables après quelques années si les choses sont faites correctement, notamment en termes de communication et marketing. À ce niveau, nous nous efforçons pour trouver de nouvelles stratégies afin d’attirer davantage de participants. Il est vrai qu’avant 2017, les soutiens financiers étaient parfois plus généreux alors que tous ces efforts pour promouvoir les programmes n’étaient peut-être pas si importants qu’aujourd’hui.
D'autre part, nous sommes confrontés à des restrictions budgétaires, principalement pour des raisons politiques, qui rendent plus difficile le soutien financier à la formation continue. Cela met une certaine pression sur les programmes qui doivent être aussi efficaces que possible sans compromettre la qualité. Dans ce sens, un aspect propre à l'ETHZ est que nous ne cherchons pas de grands bénéfices avec nos programmes de formation continue, tant qu'ils peuvent être proposés de manière autonome. Nous voulons principalement servir la communauté et offrir les cours au prix les plus adapté possible afin de permettre aux personnes intéressées de se former au sein de notre institution.
Pour ce qui est de nouveaux programmes, nous étudions très attentivement le public cible et essayons de réduire les risques sur 1 à 2 ans. Si le succès n’est pas immédiat, mais que le programme démontre son potentiel, nous sommes prêts à le soutenir durant ces premières années d’établissement.
Y a-t-il des différences entre les universités et les hautes écoles spécialisées?
Nous n'avons pas du tout le même modèle économique.
Pour les hautes écoles spécialisées, le facteur économique est beaucoup plus important que pour nous. Les professeurs sont souvent sollicités pour proposer un programme de formation continue. Cela permet aux centres d’enseignement d'élargir leur offre, mais de nombreux programmes ne sont pas réalisés pour des différentes raisons. De notre côté, nous cherchons à couvrir les couts effectifs, avec des marges plutôt faibles. Il faut savoir que le chiffre d'affaires de la formation continue représente moins de 1 % du budget total de l'ETHZ.
Les hautes écoles spécialisées, modulent beaucoup plus leur offre. Un MAS (Master of Advanced Studies) est décomposé en plusieurs CAS (Certificate of Advanced Studies), ce qui permet de les suivre indépendamment. Nous sommes beaucoup plus réticents à suivre cette logique. Si nous proposons un programme modulaire, nous devons vraiment avoir un objectif d'apprentissage clair, décrivant ce que les étudiants seront capables de faire ou d'atteindre à la fin du cursus.
Quels sont les principales évolutions en matière de formation continue?
Il y a quelques années, les programmes postgrade étaient un peu à l'écart des programmes de base, Bachelor et Master. Lorsque nous avons fondé la School for Continuing Education (SCE) en 2018, nous avons envoyé un message institutionnel, aussi bien en interne qu’à l'extérieur, en affirmant que la formation continue est une partie intégrante de l'enseignement. Cette stratégie à portée ses fruits. Depuis la mise en route de la SCE, le nombre d'offres a plus que doublé et nous avons gagné beaucoup de visibilité aussi bien à l’intérieur de l’ETHZ qu’en dehors de notre propre communauté.
Nous constatons aussi que les personnes qui enseignent dans les cours de base sont souvent les mêmes que celles qui dirigent les cours de formation continue. Alors, pourquoi ne pas rapprocher ces deux réalités formatives ? Notre prochaine étape est d’engager une réflexion sur l'apprentissage tout au long de la vie en renforçant cette vision. À nos yeux, les formations initiales sont une base pour accéder à un emploi, alors que la formation continue doit permettre d’identifier et combler des lacunes dans le quotidien professionnel. Au niveau législatif, cette orientation implique que la stricte séparation entre formation initiale et formation continue, imposée jusqu'à présent par la loi, n'est plus possible.
Quels défis attendent la formation continue?
Il y a une tendance à décomposer les programmes en formation plus courtes nommés « micro-certifications ». Ces cours, qui créditent de 1 à 9 ECTS, sont plus flexibles et ciblent des thématiques plus spécifiques, avec de nombreuses applications possibles telles qu’accéder à l'université, approfondir de nouvelles thématiques, ou se réorienter plus rapidement. Sachant qu’en formation continue, les CAS créditent de 10 à 30 ECTS, la difficulté réside dans la définition même de « micro-certifications » et de leur intégration dans le système actuel. Ce phénomène représente un défi majeur pour les universités, car ces microdegrés ne sont pas encore intégrés dans les plans d’étude du système éducatif national
Comment allez-vous mettre en œuvre les «micro-certifications»?
Toutes les universités sont libres de mettre en place leur propre système, mais nous avons une association de prestataires de formation continue universitaire, Swissuni, qui a présenté une première position commune sur les « micro-certifications ». Puis des groupes de travail étudient la manière d’intégrer ces formations dans le système actuel et feront des propositions aux diverses délégations de l’enseignement, pour remonter ensuite ces questions au niveau politique.
Quel bilan pouvez-vous faire en termes de qualité et quantité?
Pour mesurer la portée et la qualité de nos programmes, nous faisons des études de suivi afin de comprendre ce que font les étudiants cinq ans après avoir suivi un programme de formation continue. Par exemple, nous avons constaté que de nombreux professeurs dans le domaine de la culture du bâti sont issus du MAS en Histoire et Théorie de l'Architecture.
Pour ce qui est de la croissance, alors que le nombre de programmes augmente, en particulier les CAS, le nombre de participants n'augmente pas proportionnellement. Nous souhaitons principalement renforcer les formations dispensées en augmentant le nombre de participant-e-s, plutôt que d'ajouter davantage de programmes. Nous continuerons tout de même à lancer des nouvelles offres en fonction des opportunités et des demandes spécifiques. Dans le domaine de la culture du bâti, le Message culture et l’orientation stratégique de la politique culturelle de la Confédération pour la période de financement 2025 à 2028 pourrait être un déclencheur pour proposer de nouvelles offres.
Quel est le poids de la Culture du Bâti dans le catalogue de formations de l'ETHZ?
Le département d'architecture est un important fournisseur de programmes de formation continue, tout comme le thème plus général de la culture du bâti. Environ 7.5% des programmes proposés par l'ETHZ ont des aspects qui touchent entièrement ou partiellement à la Culture du Bâti. Nous sommes par ailleurs en discussion pour proposer une nouvelle offre éducative.
Lukas Sigrist
Lukas Sigrist est le responsable de la School for Continuing Education (SCE) depuis août 2019. Auparavant, il a travaillé en tant que chef de projet en charge de la feuille de route en matière de formation continue. À l'ETH depuis 2007, il est diplômé en chimie et a effectué ses études doctorales en chimie inorganique. Il est aussi vice-président de l’association Swissuni – Formation continue universitaire suisse.
School for Continuing Education
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