Planifier à partir du paysage agricole
Les cas du Pays de Gex et de Saint-Genis-Pouilly
Dans un contexte général d’instruments législatifs et programmes nationaux qui visent à freiner l’étalement urbain et à reconstruire la ville sur elle-même, le mémoire d’étude présenté par l’architecte-urbaniste Davide Galli, propose d’analyser l’impact des politiques d’aménagement étatiques à l’échelle d’un territoire foncièrement très tendu : les Pays de Gex et plus particulièrement la commune de Saint-Genis-Pouilly.
Après s’être intéressé pendant plusieurs années à l’urbanisation de la frange urbaine genevoise, Davide Galli a fait le choix d’examiner les transformations qui s’opèrent aujourd’hui de l’autre côté de la frontière, mais toujours en lien avec le bassin agricole genevois. L’étude présentée dans le cadre du MAS en Urbanisme EPFL/UNIGE a permis de mettre en lumière des contradictions importantes entre les objectifs d’état en matière de préservation des terres agricoles et leurs applications dans les instruments de planification locaux, notamment dans le cadre de projets d’extension et création de zones commerciales appuyés par les politiques locales.
Dans le cadre du mémoire, le croisement de données relatives à l’occupation des sols et du plan local d'urbanisme intercommunal (PLUi) mené conjointement avec des arpentages sur le terrain ont permis de faire émerger un constat jusqu’ici plutôt offusqué : le Pays de Gex, un étroit lambeau de territoire, entrepris entre la plaine agricole Genevoise et les sommets de la chaîne Jurassienne, s’apprête à urbaniser et défricher plus de 1000Ha dont environ 400Ha accueillent aujourd’hui des activités agricoles. Contrairement à tout objectif de rééquilibrage territorial, les terrains à urbaniser se concentrent encore une fois sur les communes les plus structurées, attractives et proches de la frontière suisse.
Saint-Genis-Pouilly et la perpétuation des vieilles recettes d’urbanisme
Le cas de Saint-Genis-Pouilly est particulièrement emblématique. Cette commune de 14000 habitants située sur la frontière francohelvétique et connue pour accueillir le CERN, a déjà urbanisé environ 38Ha entre 2009 et 2016 et elle prévoit aujourd’hui d’artificialiser 45Ha supplémentaires de terres agricoles alors qu’elle dispose d’un stock très limité de seulement 340 Ha. Les projets prévus sur ces emplacements concernent la création de nouveaux quartiers résidentiels, mais aussi l’agrandissement d’une zone d’activité avec l’urbanisation de 15Ha situés à l’extrémité nord de la rue de la Faucille. L’extension permettra la construction d’un grand centre commercial, le énième sur le territoire des Pays de Gex, à seulement 5km du centre déjà existant du Val-Thoiry.
Le projet de centre commercial dit OPEN, porté par le groupe FREY est largement contesté depuis plusieurs années par des habitants, associations ainsi que des élus locaux de deux côtés de la frontière. Plusieurs manifestations ont eu lieu afin de bloquer l’avancée de ce projet désuet qui porterait atteinte au fonctionnement écosystémique du site : zone humide, proximité avec l’Ouaf et l’Allondon… ainsi qu’au cadre de vie du centre ancien. Malgré les contestations, les travaux de terrassement ont pu démarrer sous les yeux des manifestants. Aujourd’hui le site est un grand terrain vague entouré de palissades annonçant l’arrivée imminente d’un nouveau lieu pour la consommation de masse en dépit de la décision du tribunal administratif de Lyon qui a récemment arrêté les travaux. 1
Le recours au plan-guide pour une planification plus vertueuse
En s’appuyant sur le cas concret de Saint-Genis-Pouilly, le mémoire met en lumière certaines failles de la planification urbaine locale française, qui peine toujours à s’aligner avec les objectifs écologiques d’État pour privilégier des logiques d’intérêts locaux et d’opportunités de développement économique faciles. Au lieu de s’interroger collectivement sur le recyclage et la densification du foncier déjà urbanisé, la tendance à appliquer de vieilles recettes d’aménagement perdure : on étale la ville en déléguant les projets urbains à des promoteurs et aménageurs privés tout en sacrifiant des hectares précieux d’espaces agricoles et naturels.
Sur Saint-Genis-Pouilly, pour atteindre l’objectif d’un projet urbain plus durable et vertueux d’un point de vue de la préservation et valorisation des paysages, le mémoire propose le lancement d’une étude de plan-guide pilotée par la collectivité et menée par des cabinets experts en agronomie, écologie, architecture, paysage, programmation et concertation qui permettra de guider la commune dans une réflexion à long terme pour le devenir de son territoire. Sur un temps relativement court d’environ 8-12 mois, le processus de plan-guide permet à la collectivité de spatialiser ses objectifs d’aménagement tout en s’appuyant sur les envies et les besoins de la population grâce à des ateliers de travail collectif. L’objectif principal du plan-guide doit être de concilier les objectifs environnementaux étatiques avec les ambitions des habitants et élus locaux. S’agissant d’un instrument évolutif, le plan-guide propose une vision de la transformation du territoire sous forme de plan masse et vues aériennes qui permettent un certain degré d’adaptabilité en fonction des changements et aléas. Cet instrument est une véritable feuille de route pour la collectivité qui devient ainsi elle-même aménageur de son territoire : les phasages, les chiffrages, les opérateurs ainsi que les procédures à mobiliser sont précisés dans des documents annexés au plan-guide sous forme de « fiches actions ».
Faire de la préservation et valorisation des sols perméables un outil de projet
À titre d’exemple, comme si l’on simulait un processus de plan-guide, le mémoire propose un contre-projet sur la commune de Saint-Genis-Pouilly qui remet au centre du débat la valorisation des paysages et la préservation des terres agricoles, l’objectif est de s’emparer de ces sujets pour en faire un véritable atout et un point de départ pour l’aménagement durable du territoire. À la place du centre commercial, on propose l’aménagement d’un parc naturel et agricole d’entrée de ville et en lien avec la pleine agricole. Les jardins familiaux de la Jachère aux abords du site du projet OPEN seraient ainsi valorisés grâce à la préservation des terrains agricoles du secteur Pouilly, situés sur la frange urbaine de la commune et destinés eux aussi à être urbanisés. Cet espace agricole laisserait la place à des terrains d’expérimentation pour de jeunes entreprises liées au secteur agroalimentaire en lien avec les nouveaux bâtiments résidentiels, construits sur son périmètre. La zone de l’Allondon participera à la requalification paysagère de l’extrémité nord de la commune grâce au réaménagement des espaces publics et à une programmation mixte qui permettra de recycler du foncier déjà urbanisé : logements, équipements et activité de transformation et production liées aux filières agricoles locales.
Des réflexions croisées pour mieux accompagner les collectivités dans leurs arbitrages
Pour tendre vers une planification territoriale locale qui soit en phase avec les objectifs environnementaux étatiques le mémoire propose des solutions d’accompagnement des collectivités adaptées à tout type de contexte et plus particulièrement aux territoires ruraux, les plus démunis en ingénierie publique. Sans inventer de nouveaux outils de planification en complexifiant et alourdissant ultérieurement la machine des prises de décision locales, il s’agit tout simplement d’activer simultanément les instruments qui existent déjà avec un bon timing et dans une logique d’enrichissement réciproque. Les procédures de PLUi et de SCOT (schéma de cohérence territoriale) devraient être systématiquement accompagnées de réflexions sur les paysages naturels et agricoles du territoire via des études de plans de paysage, un outil méconnu et sous-utilisé en milieu rural. Les orientations d'aménagement et de programmation (OAP) des PLUi insistant sur de larges portions de territoire occupées par des espaces agricoles et naturels ne peuvent pas suffire à elles toutes seules, mais elles doivent être accompagnées d’une réflexion simultanée permettant de spatialiser les futurs aménagements à travers un processus de travail collectif : les plans guides. La prise en compte des activités agricoles d’un territoire ne peut pas se limiter à de simples diagnostics lancés lors des procédures de PLUi, il faut accompagner les instruments de planification par des projets agricoles territoriaux et spatialisés s’intégrant aux plans de paysage. Il est temps que le sujet de la préservation des terres agricoles ne soit plus uniquement perçu sous l’angle de la contrainte et que l’on puisse révéler tout son potentiel en termes d’attractivité, économie locale et amélioration du cadre de vie.
Davide Galli est architecte-urbaniste. Il exerce sa profession en milieu rural, notamment en Normandie et dans les Hauts-de-France.
Note
1. https://www.tdg.ch/les-travaux-du-centre-commercial-de-saint-genis-sont-stoppes-458651691130
«À partir du paysage agricole Méthodes d’aménagement / Le cas de Saint-Genis-Pouilly»
Étude présentée en février 2022 dans le cadre du MAS en Urbanisme offert conjointement par l’Université de Genève (UNIGE) et l’école polytechnique de Lausanne (EPFL) Directeurs de mémoire : Prof. Elena Cogato Lanza (EPFL) et Dr. Marlène Leroux (UNIGE-EPFL). Remerciements aux directeurs de la formation MAS en Urbanisme : Prof. Laurent Matthey et Dr. Jérôme Chenal.
> Télécharger le mémoire complet: MAS Urbanisme UNIGE/EPFL - À partir du paysage agricole © Davide Galli