Ren­force­ment des via­ducs de Chil­lon

Actuellement en travaux, les ouvrages ont déjà connu plusieurs réfections depuis leur réalisation à la fin des années 1960

Publikationsdatum
01-10-2014
Revision
25-10-2015
Hartmut Mühlberg
Ingénieur civil dipl. REG A, chef de projet chez MONOD-PIGUET + ASSOCIÉS Ingénieurs Conseils SA
Jacques Perret
Ingénieur en génie civil EPFL, Dr ès sc. EPFL et correspondant pour TRACÉS.

Les viaducs de Chillon, qui tirent leur nom du château en contrebas, ont été réalisés entre 1966 et 1969. Situés dans les communes de Villeneuve et de Veytaux, ils franchissent un versant très boisé et abrupt qui domine le lac Léman. A l’extrêmité nord du viaduc, l’autoroute s’engouffre dans le tunnel de Glion. L’autre extrêmité se termine sur les hauteurs de Villeneuve. Inscrits à l’Inventaire fédéral des sites construits d’importance nationale, ils comptent parmi les ouvrages d’art les plus spectaculaires du réseau autoroutier helvétique et assurent, dans des conditions géomorphologiques exigeantes, la fluidité du trafic entre la plaine du Rhône et l’Arc lémanique. Avec une fréquentation actuelle d’environ 50000 véhicules par jour, ils accueillent aussi une quantité importante du trafic de loisirs le vendredi soir, le samedi matin et le dimanche. Les pointes atteignent jusqu’à 7300 véhicules par heure.
Lors de sa construction, l’adaptation de l’ouvrage à la topographie du site a nécessité un tracé sinusoïdal et une pente longitudinale variable. Chaque viaduc est constitué de 22 portiques symétriques, formés de deux consoles posées sur les deux palées minces de la pile. Les portées sont de 92, 98 ou 104 m. Chaque pont, d’une longueur totale d’environ 2150 mètres, est divisé en cinq (pont aval) ou six sections (pont amont) séparées par des joints de chaussée. La hauteur du tablier varie entre 5.64m au maximum sur les piles, et 2.20m au milieu des travées. 

Problèmes de géométrie


Les travaux de réfection en cours sur les viaducs de Chillon ne sont pas les premiers en date. Les problèmes initiaux d’entretien qu’ils ont eu à affronter étaient liés à leur géométrie. En effet, lors de la construction, il était déjà apparu que la géométrie générale de l’ouvrage était très sensible à des imprécisions mêmes minimes ; des corrections avaient été apportées pendant la réalisation, d’abord en chargeant les joints, puis en modifiant les cotes d’orientation des voussoirs-moules en fonction des dimensions des pièces précédentes (voir article p. 21).
Avec le temps, ces problèmes de géométrie ont été accentués par les déformations à long terme au droit des joints: liées au fluage du béton, elles se sont révélées bien plus importantes que ce que les connaissances scientifiques des années 1960 laissaient supposer, de sorte que les cassures du profil longitudinal au droit des joints étaient devenues pénibles pour les usagers et susceptibles de générer des phénomènes de fatigue dans les joints et dans les articulations métalliques. C’est pourquoi, il a été décidé, en 1996, de mettre en place une précontrainte additionnelle dans les caissons sur les trois travées les plus critiques (sur un total de neuf) et de recharger les joints avec des matériaux bitumineux. A cette occasion, les joints de chaussée du pont côté lac ont été remplacés par des systèmes à peigne, moins bruyants que les dispositifs à rouleau mis en place lors de la construction.
La recharge bitumeuse sur les joints de dilatation s’élevait à 8 cm au maximum. Sur la base des mesures du profil longitudinal et en admettant une cassure de la pente longitudinale de 2‰ au maximum sur 10m, la masse de recharge a été estimée à environ 30 t par porte-à-faux. Vu le système statique longitudinal en double porte-à-faux, il fallait placer la précontrainte le plus haut possible dans la section transversale. Sur appui, c’est-à-dire près de la pile, cela était possible. Par contre, pour des raisons constructives, l’ancrage au bout du portique à proximité du joint a dû être maintenu à une certaine distance de la dalle supérieure du caisson. Afin de maintenir les câbles le plus haut possible dans les sections, des déviateurs ont été installés.

Signes évidents d’endommagement


Après 45 ans de service, les viaducs de Chillon présentaient plusieurs dégâts. Depuis de nombreuses années, des signes de corrosion ont été observés à divers endroits, notamment sur les bordures creuses préfabriquées, mais aussi sous les dalles inclinées d’appui des porte-à-faux, voire même par endroits sur les âmes des caissons. De façon générale, l’enrobage des armatures est faible. Le revêtement et l’étanchéité présentaient des défectuosités et la dégradation des viaducs s’est accélérée au cours de ces dernières années à la suite d’infiltrations d’eau, principalement le long des bordures. L’OFROU a ainsi pris la décision de procéder à une intervention conséquente susceptible d’améliorer le fonctionnement des viaducs et de garantir leur pérennité. Selon le projet initial, l’intervention comprenait les travaux suivants:

Remplacement des bordures; remplacement des systèmes de retenue de véhicules; remplacement des grilles d’écoulement et des canalisations de liaison au collecteur situé dans le caisson; remplacement de l’étanchéité et du revêtement; sécurisation des joints de chaussée existants du viaduc lac avec mise à niveau; mise à niveau des joints de chaussée existants du viaduc montagne; remise en état du béton et des armatures corrodées du tablier et des palées; mise en place de conduites industrielles (huit PE 120/132) à l’intérieur de chacun des caissons.

Les bordures d’origine étaient préfabriquées et, par souci de poids, creuses. Seules les parties autour des poteaux des glissières étaient bétonnées. L’eau chargée de chlorure s’est infiltrée et a provoqué de la corrosion à l’intrados des porte-à-faux. En 2008, les coulures ont atteint les âmes du caisson et l’OFROU a décidé de remplacer les anciennes bordures par des nouvelles, coulées sur place et conformes aux directives de l’OFROU.
Les viaducs ont d’autre part fait l’objet de mesures de confortation sismique. Trop rigides pour se déformer de manière élastique sous l’action d’un séisme, les piles «courtes» (5, 17 et 117) ont été munies d’appuis parasismiques aux points de contact avec le tablier. La mise en place de ces dispositifs s’est faite à l’aide de 32 vérins par piles pour «décoller» provisoirement le viaduc de ses appuis. Ces travaux se sont déroulés de la façon suivante:

Elargissement des palées existantes pour créer les surfaces nécessaires aux vérins (image). Ces massifs d’appui pour les vérins restent en place en vue d’un changement ultérieur des appuis parasismiques; mise en pression des vérins pour reprendre le poids du tablier; blocage des vérins; sciage de la liaison entre palées et tablier: le pont repose maintenant sur les vérins (image); équilibrage de la pression des vérins pour répartir uniformément le poids du tablier; deuxième blocage des vérins et pose des appuis parasismiques; démontage des vérins et fixation mécanique des appuis parasismiques au tablier.

La pile 05 stabilise longitudinalement le deuxième tronçon du pont lac: un élément en «V» entre les deux palées augmente sa rigidité longitudinale, mais il rend les piles fragiles. Pour augmenter leur ductilité, un chemisage le long des palées a été bétonné et, par sciage, un espace entre l’élément en «V» et les palées a été créé (image). Le chemisage a été ancré dans le massif de fondations alors que, pour des raisons esthétiques et économiques, l’élément en «V» a été laissé en place.
Les fondations des culées n’étaient pas dimensionnées pour reprendre des actions sismiques définies par les normes actuelles. Les appareils d’appui existants ont aussi été remplacés par des appuis parasismiques et, afin de permettre un déplacement relatif entre culée et tablier, un joint de chaussée à peigne a été installé à chacune des quatre culées de l’ouvrage.

Avancement des travaux


Les travaux réalisés en 2012 comportaient la remise en état du béton ainsi que le remplacement des bordures, des glissières, des grilles d’écoulement et des bandes d’étanchéité des parties extérieures sur chacun des deux viaducs (partie amont du viaduc montagne et partie aval du viaduc lac). Les travaux de 2013 portaient sur les mêmes éléments, mais pour les parties intérieures de chacun des deux viaducs (partie aval du viaduc montagne et partie amont du viaduc lac). Ces travaux ont systématiquement pu être exécutés en maintenant deux voies de circulation sur chacun des viaducs.
Le renforcement des piles pour respecter les exigences parasismiques a démarré en 2013 et s’est achevé cette année. En 2012, au cours des travaux de remise en état de l’intrados des porte-à-faux, il était difficile, voire impossible d’obtenir les résistances à l’arrachement requises entre le mortier de ragréage et le béton existant. Les analyses visant à comprendre l’origine de ce manque de résistance ont montré que le béton des viaducs a entamé la phase d’initiation de la RAG. Cette situation, qui ne pouvait être mise en évidence que par des méthodes laboratoires (microscopie), fait qu’il faut s’attendre à une dégradation des propriétés mécaniques du béton au cours des prochaines décennies. C’est elle qui a été à l’origine de la décision de renforcer la dalle de roulement par une couche de BFUP (lire l'artice 2400m2- de BFUP sur un pont autoroutier), prolongeant d’une année les travaux qui ne s’achèveront qu’en 2015.
Les travaux effectués cette année sur le viaduc lac concernaient la sécurisation des joints de chaussée, le changement des appuis aux culées avec la création de joints de chaussée, la pose du BFUP, de l’étanchéité et du nouveau revêtement. Une intervention similaire sera répétée sur le viaduc montagne en 2015. Comme pour l’ensemble du chantier de réfection, quatre voies de circulation sont en permanence maintenues en service, mais, à la différence de ce qui avait été fait en 2012 et 2013, elles sont toutes les quatre rassemblées sur le viaduc où il n’y a pas de travaux.

Hartmut Mühlberg est ingénieur civil REG A et chef de projet au sein du bureau Monod Piguet & Associés IC SA à Lausanne. 
Philippe Schär est ingénieur civil EPF et travaille à l’OFROU comme responsable de projet au sein de la filiale d’Estavayer-le-Lac. 
Stéphane Cuennet est ingénieur civil HES et travaille à l’OFROU comme spécialiste technique Ouvrages d’art au sein de la centrale à Ittigen.

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