«Plus d’espace, plus de vert et plus de lu­miè­re*»

Les Jardins de la Gradelle de LIN.ROBBE.SEILER

Rares sont les occasions où un promoteur privé défie les conventions de l’habitat collectif. C’est pourtant le cas de l’opération de logements locatifs dite «Les Jardins de la Gradelle» à Cologny (GE) où la générosité spatiale du projet est comprise comme une forme de rentabilité à long terme. Présentation du projet imaginé et réalisé par le bureau genevois LIN.ROBBE.SEILER

Publikationsdatum
27-05-2021

Si depuis quelques années la situation sur le marché de l’immobilier de rendement à Genève est inquiétante en raison des constantes pressions politiques et changements normatifs, les trois tourelles plissées bâties à Cologny par le bureau genevois LIN.ROBBE.SEILER sont une bouffée d’oxygène qui vaut le détour.

Implanté sur une parcelle privée d’un hectare en bordure de la ville de Genève et bénéficiant d’une situation urbaine idéale, le projet d’habitations mixtes (HM) et bon marché (HBM) livré début 2020 dans le quartier de La Gradelle est le fruit d’un mandats d’étude parallèles (MEP) sur invitation organisé cinq ans plus tôt par le propriétaire du site pour densifier un quartier fortement urbanisé avec pour seule prémisse: «léguer à ses enfants un fragment de patrimoine immobilier d’une qualité irréprochable».

Vivre à l’angle d’un jardin florissant

La réponse de l’équipe lauréate relève le défi sans réserve. Pour créer une architecture exemplaire au milieu d’un contexte caractérisé par un tissu pavillonnaire et hétéroclite, il faut maximiser les qualités de la parcelle et favoriser son usufruit. En disposant l’entier du programme d’habitation sous la forme de trois pavillons pentagonaux compacts de 6, 8 et 9 étages comprenant au total 99 logements, le projet réduit fortement son empreinte au sol tout en contribuant à l’émergence d’un grand jardin communautaire, ressource première du nouveau quartier.

Cette lecture du périmètre s’érige en fil conducteur du projet. D’abord, les trois bâtiments d’habitations sont enveloppés par des balcons périphériques généreux qui par leur géométrie organique et leur disposition en quinconce favorisent l’ensoleillement des pièces et procurent à l’ensemble urbain un sentiment ludique de légèreté. Ces surfaces extérieures, utilisables par tous les temps, reflètent la générosité spatiale et fonctionnelle qui caractérise dans sa globalité ce complexe urbain. Sur la même lignée, les aménagements paysagers conçus sur mesure par le bureau zurichois Studio Vulkan, à l’issu d’un MEP ultérieur, se caractérise par une promenade en anneau qui encercle les bâtiments et depuis laquelle il est possible de rejoindre le centre du dispositif paysager: une place végétalisée, cœur de l’ensemble résidentiel où se situent les accès principaux aux bâtiments et les locaux communs, qui se dresse en lieu de partage et d’échanges pour tous les habitants.

Dans le projet de la Gradelle, architecture et paysage vont de pair pour renforcer l’idée originale du projet décrite par les architectes comme «une interprétation contemporaine de la Cité-Jardin». Les constructions ont l’air de flotter au milieu d’une prairie fleurie, marquée de sentiers minéraux et ponctuée d’espaces de jeux et de zones de rencontre variées.

Densifier est aussi un acte de générosité

«Ma salle de bain est bien plus grande que les chambres que vous dessinez**»

La générosité qui caractérise les espaces extérieurs se retrouve à l’intérieur. Chaque appartement dispose à l’angle d’une grande loggia de 15 à 35 m2 qui articule l’espace de vie séjour-cuisine et donne une extension spatiale extérieure à toutes les pièces des appartements. Les salles de bains et les espaces de rangement sont aussi dimensionnés suivant les critères du client pour qui les standards dictés par les normes ne sont pas adaptés aux besoins et à la forme de vie d’une famille contemporaine. Tous les espaces de circulation sont marqués de portes et de fenêtres toute hauteur. Des cloisons coulissantes permettent aux locataires une flexibilité d’usage très appréciée en temps de pandémie. Les finitions relèvent aussi de l’exceptionnel: façade en aluminium anodisé, parquet en chêne massif, menuiseries en bois-métal et cuisines entièrement équipées; tous les matériaux s’harmonisent pour créer une atmosphère de vie humaine et conviviale.

Dans son ensemble, les appartements de 1,5 à 6 pièces  distribués à raison de cinq par étage sont disposés de manière à éviter les vis-à-vis entre voisins, se protéger du trafic routier et offrir des percées visuelles sur le grand paysage. Ils sont surtout une manière de diversifier les solutions normatives en matière de logement locatifs pour que la densification du territoire ne soit pas uniquement une question de quantité mais soit aussi perçue comme une opportunité pour promouvoir de nouvelles formes de générosité. La taille d’un logement à la Gradelle -un cinq pièces genevois à 109 m2 sans compter les surfaces extérieures- en est une preuve matérielle.

Pourquoi ne pas encourager davantage les concours sur terrains privés?

Piloté astucieusement dès les premières phases d’étude par la régie Moser Vernet & Cie et exécuté sur toutes ses phases par les auteurs du projet, cette opération est aussi une lueur d’espoir pour les professionnels de l’architecture soumis à la «loi» du marché privé où les préoccupations temporelles et financières des promoteurs l’emportent habituellement sur la qualité des projets. Dans le cas du projet à Cologny, c’est justement une souplesse réglementaire, une dérogation permettant de s’affranchir d’un plan localisé de quartier (PLQ) en zone fortement urbanisée, qui a permis au propriétaire de remplacer la lourdeur administrative et temporelle d’un PLQ par un concours sur invitation portant vers cette réalisation exemplaire. À lui seul, ce projet reste un exemple rare et peu courant. Compte tenu de la part du marché situé sur terrains privés, ne faudrait-il toutefois pas développer d’avantage les mécanismes légaux ou les volontés politiques susceptibles d’encourager aussi la promotion privée de qualité? Pourquoi ne pas concéder plus couramment des avantages règlementaires ou temporels aux propriétaires à condition de les encourager à faire usage des concours comme «assurance qualité»?

À l’heure où les seules opérations d’habitat collectif qui apportent une plus-value au tissu urbain semblent provenir des coopératives d’habitation, le projet de la Gradelle, promu par un propriétaire privé, sans plan localisé de quartier ni démarche participative et exempté de referendum, démontre qu’une architecture de qualité peut aussi surgir spontanément quand un développement immobilier n’est pas gouverné à tout prix par la rentabilité monétaire ou spatiale de l’opération. Espérons que le projet des Jardins de la Gradelle servira d’exemple à d’autres.

Citations

 

* «Plus d’espace, plus de vert et plus de lumière» sont les paroles prononcées par Jean-Philippe Vassal en introduction de sa conférence à l’École nationale d’architecture de Strasbourg en 2015, année de création du projet de La Gradelle. Elles résument à elles seules les principes architecturaux promus par le propriétaire privé à l’origine du projet, auquel cet article est aussi une manière de rendre un hommage posthume.

 

** «…ma salle de bain est bien plus grande que les chambres que vous dessinez. Je me fiche de ce que dit la norme ou le plan financier, ajoutez des mètres carrés…». Extrait de l’une des conversations entre le promoteur privé et les architectes, septembre 2016.

 

 

Les logements des Jardins de La Gradelle à Cologny, Genève

 

  • Lieu :                        Cologny, Genève
  • Maître d’ouvrage :    Privé
  • Date:                        2014- 2020
  • Mandat :                   Concours 1er prix
  • Coût global :             51 mio CHF
  • Surface :                   10 600 m2
  • Prestations:              SIA 102 | 100%

 

Participants au projet

 

 

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