Bâ­tis­se Heu­reu­se: ber­mu­da ou le ré­cit d’un chan­tier en au­to­con­struc­tion

Bermuda, c’est d’abord un collectif d’artistes-bâtisseur·euse·s. La structure qu’elles et ils ont érigée en autoconstruction dans le paysage du pays de Gex rassemble des ateliers partagés et autonomes destinés à la recherche, la production et la diffusion en art contemporain. Récit d’une démarche collective de conception d’un lieu artistique riche en enseignements.

Data di pubblicazione
11-11-2021

L’inauguration officielle aura lieu au printemps prochain, mais déjà bermuda vit, mû par son processus de conception en tant que structure culturelle: un processus pensé avec soin, tant dans la dynamique collaborative que dans la réalisation concrète du projet architectural. Le point de départ de cette expérience, c’est la rencontre, lors de résidences dans une ancienne carrière troglodytique de Dampierre-sur-Loire (F), entre les artistes-­plasticien·ne·s, Maxime Bondu, Mathilde Chénin et Guillaume Robert, Julien Griffit, technologiste et programmateur, et Bénédicte le Pimpec, critique d’art et commissaire d’exposition: ensemble, elles et ils formeront le noyau de bâtisseur·euse·s de bermuda, piloté par Thomas Mouillon et Adrien Cuny, les architectes de l’atelier ACTM qui ont conçu le bâtiment.

Des bâtisseur·euse·s au chantier

Située à 5 km de la frontière suisse, à quelques pas du CERN et de l’aéroport de Genève, la parcelle de 4800 m2 est accolée à une voie de chemin de fer désaffectée qui sera prochainement réhabilitée pour devenir une voie verte reliant Bellegarde à Divonne-les-Bains. En 2015, le collectif crée une structure juridique à cheval sur la frontière franco-suisse, composée d’une société civile immobilière et de deux associations, afin d’assurer le cadre légal et les recherches de financement du chantier en autoconstruction. Les études de faisabilité, de conception architecturale et de programmation des espaces ont ensuite été menées en partenariat avec les architectes de l’atelier ACTM et plusieurs entreprises de maîtrise d’œuvre. L’ambition du projet est de «repenser la hiérarchie entre maîtrise d’ouvrage, architecte, entrepreneurs, occupant·e·s et habitant·e·s (…) (C’est) un projet participatif, communautaire et mouvant, où chacun apporte sa pierre à l’édifice et où les futurs usager·ère·s sont partie prenante du projet dès sa fondation.»1.

Le chantier a été organisé par phases par l’atelier ACTM pour offrir des conditions sûres au collectif. Chaque étape offrait un espace habitable et appropriable. Le choix de réaliser la couverture en premier a permis de construire tout le bâtiment en étant au sec. L’équipe de bermuda a fonctionné en binôme avec les entrepreneurs: le chantier est devenu le lieu d’apprentissage des savoir-faire. Les bâtisseur·euse·s ont notamment bénéficié d’un formateur en installation électrique du mouvement Castor, une association qui soutient des expériences d’autoconstruction coopé­ratives en France. Des portiques en béton à la réalisation de la charpente, chaque étape s’est inscrite dans un calendrier de collaboration entre le collectif et les artisans, si bien que chacun connaît désormais le moindre détail constructif et technique du lieu.

Une place couverte pour la création artistique

Le projet est un grand toit à deux pans qui abrite quatre volumes entre lesquels se dessine un espace central ouvert. Sur cette surface de plancher de 1200 m2 s’imbriquent une macrostructure et des microstructures. La macrostructure se développe à partir d’une plateforme rectangulaire en béton d’une dimension de 26 m par 49 m. Sur cette dalle s’élance un double portique en béton qui subdivise l’espace en trois nefs et soutient une charpente, dont les piliers et les poutres carrées sont de profil similaire. La toiture est faite de fermes treillis dont les éléments, en épicéa jurassien, ont été assemblés sur place. Ces fermes légères et serrées rythment et unifient le clos couvert. L’intervention des artistes Les Frères Chapuisat a transformé les pignons de la couverture en fronton subtil et discret. Ainsi la macrostructure, à mi-chemin du temple et du forum, parle un langage classique, tout en instaurant un dialogue avec le paysage ouvert fait de terres agricoles et de cordons boisés.

Entre la dalle et le toit s’agencent les microstructures: quatre volumes qui abritent différents programmes. Le travail sur l’espace entre les volumes mène à ouvrir deux angles aux extrémités du clos couvert, ainsi qu’un espace intérieur généreux, à la fois cour couverte et rue, qui bénéficie de la lumière naturelle grâce à la transparence de la partie centrale de la couverture. Les briques ont été produites dans la région de Roanne et composent la maçonnerie des éléments. Béton, brique, bois: les matériaux sont bruts, à l’état de matière première. «Une sincérité des matériaux et des gestes», précise Maxime Bondu. Les fenêtres sont en double hauteur, la partie fixe dans le plan extérieur du mur de façade les ouvrant dans le plan intérieur.

L’aménagement intérieur des quatre volumes indépendants a été défini par les bâtisseur·euse·s-habitant·e·s. Tous les pavillons sont sur deux niveaux où s’entremêlent les espaces dédiés aux ateliers et au logement – à l’exception de celui qui accueille le grand atelier mutualisé de 127 m2. À terme, le site accueillera trois familles de bâtisseur·euse·s, des artistes en résidence et un logement indépendant.

Créer un jardin et changer un territoire

C’est finalement jusque dans ses plus petits détails que l’on peut lire la relation attentive que le projet noue avec son contexte, comme dans l’absence de chenaux en façade: les eaux de pluie s’écoulent ainsi directement dans un fossé qui deviendra une noue paysagère, clin d’œil intentionnel au travail de l’architecte australien Glen Murcutt. Une petite forêt est également en train de naître sur la parcelle de bermuda avec la plantation d’une cinquantaine d’arbres, du sorbier à l’érable du Japon, et des arbustes de petits fruits. Ce projet d’agroforesterie s’étend aussi sur la parcelle agricole adjacente — dont la commune de Sergy est en voie d’acquérir 6 ha — et renforce ainsi les cordons boisés enveloppant le site: une réflexion sur le patrimoine végétal qui marque l’insertion du site dans le grand paysage de la chaîne du Jura.

Bermuda, ateliers partagés de production artistique, Sergy (F)

 

Maître de l’ouvrage: SCI Bermuda Associés

 

Architecte mandataire: Atelier ACTM

 

Maîtrise d’œuvre: Atelier ACTM, Sécoba, Céna

 

Chantier participatif: bermuda France & Suisse

 

Avec l’expertise et la collaboration de:
Bureau d’études géotechniques: Géolithe

 

Bureau d’études structures: Sécoba

 

Bureau d’études fluides: Céna

 

VRD et gros œuvre: Seca

 

Menuiseries extérieures (fabrication): Philibert

 

Charpente: Abri Bois

 

Fermettes industrielles: Cifc

 

Électricité & plomberie: Astéolélec

 

Réalisation: 2018-2021

 

Surface: 1300 m2

 

Surface de plancher: 820 m2

 

Coût HT: 900 000 euros

Notes

 

1. «bermuda, ateliers partagés et autonomes de recherche, production et diffusion en art contemporain», présentation du 28.03.2018, p. 3, disponible sur bermuda.pm/bermuda.pdf

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