Du chan­vre pour pré­ser­ver le bâ­ti ru­ral va­lai­san

Une matière naturelle et respirante, le chanvre, habille désormais les murs d’un rural réhabilité en résidence principale. Bastien Thorel saisit l’occasion pour confronter ses connaissances nouvellement acquises d’architecte à une vieille bâtisse construite empiriquement, témoignage d’une culture constructive traditionnelle.

Data di pubblicazione
16-11-2021

Chandonne, hameau du val d’Entremont situé à 1450 m d’altitude, est installé sur une terrasse ensoleillée. Au plus fort de son activité agricole, vers 1850, le village comptait une cinquantaine de foyers organisés en une structure serrée de maisons contiguës. La population paysanne y vivait modestement de son labeur, en quasi-autarcie, malgré la proximité de la route menant au col du Grand-Saint-Bernard. Dès le 20e siècle et le lancement des grands chantiers alpins, la généralisation du transport automobile et le développement du tourisme ont durablement modifié l’organisation du hameau, avec une paysannerie devenue marginale et un exode qui a fait chuter sa population de moitié. La particularité du val d’Entremont est son architecture de pierre, l’expression d’une prospérité issue du flux incessant des commerçants. Le savoir-faire pour monter des murs en pierre locale serait venu d’Italie semble-t-il, plus précisément d’Aoste, qui a d’ailleurs gardé sa tradition vivante dans l’extraction et le façonnage de la pierre.

Architecture vernaculaire

La maison de Chandonne réunissait autrefois bêtes et hommes sous un seul toit. Au rez-de-chaussée se trouvait l’étable, à moitié enterrée dans la pente du terrain, une manière efficace de protéger les animaux des grands froids. Au-dessus, l’étage comportait deux chambres ouvertes sur la vallée, côté sud, des pièces chauffées par un fourneau et dont les murs maçonnés étaient habillés de boiseries, afin de garantir le confort thermique de l’espace où l’on se tenait la journée et où l’on dormait la nuit. Les combles au troisième niveau servaient de grange pour le fourrage. Accessoirement, on y trouvait parfois une chambre supplémentaire, sans chauffage.

Tout comme les paysans qui avaient érigé la maison de leurs mains, l’architecte, décidé à s’y établir, a pris part au chantier après en avoir dressé les plans. Le projet devenait l’occasion pour lui de s’approcher plus intimement de l’acte de bâtir et de questionner l’héritage des ancêtres. Il a opté comme eux pour un ­langage simple et évident, fuyant l’expressivité bruyante d’une architecture contemporaine ostentatoire.

Chantier expérimental

Les façades avaient reçu un crépi à base de ciment qui empêchait l’humidité de migrer vers l’extérieur. Celui-ci a été piqué et remplacé par un mélange projeté à la lance, à base de chaux et de chanvre, et dont l’épaisseur finale dépendait de l’orientation des parois, 12-15 centimètres sur les façades nord et ouest, 7-10 centimètres sur les façades sud et est. Le soubassement est constitué de grandes dalles en pierre qui protègent du rejaillissement de l’eau. En finition, un crépi à la chaux contenant du sable et du plâtre forme une couche protectrice, ouverte à la diffusion. L’irrégularité de la maçonnerie en pierre est lissée, la matière s’adaptant facilement aux géométries et autres particularités du support. Autour des fenêtres, de nouveaux encadrements sont taillés dans du mélèze; les tablettes en serpentine proviennent du val d’Aoste. Le chanvre est également présent à l’intérieur du logement, servant d’isolant thermique ou de masse phonique, entre étages ou entre chambres. Intéressé par l’autoconstruction, Bastien Thorel a dressé une paroi intérieure, versant couche après couche et compactant le béton de chanvre à la manière d’un mur en pisé. L’enduit en argile qu’il appose ensuite en fond et en finition prolonge la réflexion vis-à-vis de l’architecture vernaculaire puisqu’il est issu d’une recette à base de terre prélevée sur place. Le «beudron» (coffrage perdu du mur en pierre) est quant à lui transposé en une ossature rigidifiée par des panneaux trois plis.

Le chanvre, une plante écologique

Le chanvre, originaire d’Asie centrale, est l’une des premières plantes domestiquées. Indispensable à la marine, pour les cordages et les voiles, elle était également utilisée pour la confection de textiles et de papier. Sa culture était largement présente en Europe, avant d’être interdite en 1961 en raison de ses propriétés psychotropes. Aujourd’hui, le chanvre industriel (Cannabis sativa), qui contient moins de 0,2% de THC, est cultivé pour ses graines, ses fibres et sa chènevotte. La plante atteint 2 mètres de haut et produit jusqu’à 10 tonnes de matière par hectare en quatre mois1. C’est une tête d’assolement qui n’a pas besoin d’irrigation, résiste naturellement et ne requiert donc pas de traitement phytosanitaire et peu d’intrants. La plante est transformée dans une chanvrière qui sépare les constituants, graines et tiges. Si les fibres sont utilisées en papeterie, la chènevotte est employée dans le béton de chanvre ou pour des litières animales. Ses cavités naturelles lui confèrent des propriétés hygrothermiques qui améliorent le confort dans la construction. À l’heure où il conviendrait de planifier des constructions bas carbone, le chanvre, qui connaît une croissance rapide, stocke entre 14 et 35 kilos de CO2 par hectare cultivé.

Pittet artisans

Issue d’une tradition d’artisans plâtriers, l’entreprise familiale Pittet artisans s’est diversifiée depuis plus de vingt ans, dépoussiérant au passage des techniques oubliées, comme la voûte sarrasine en briques de terre cuite. Leur intérêt s’est peu à peu recentré sur l’emploi de matériaux naturels dans la construction, comme le chanvre ou la terre crue, faisant parfois office de pionniers en la matière2, améliorant les connaissances et perfectionnant les techniques de pose de ces matériaux marginaux sous nos latitudes. Les premiers bétons de chanvre ont été mis en œuvre à la fin des années 1980 en Bretagne, où des cultures ont persisté malgré une interdiction généralisée en Europe. Des filières comprenant agriculteurs, transformateurs, applicateurs, détaillants et artisans se sont constituées et des initiatives locales de développement ont vu le jour. C’est pour cette fiabilité dans la qualité et l’approvisionnement que Pittet artisans utilisent des produits français, quand bien même la Suisse affiche un intérêt nouveau pour la culture du chanvre, dont les surfaces ouvertes sont passées de 10 ha en 2014 à 126 ha en 20183, grâce au commerce à usage thérapeutique. Quid d’une filière biosourcée en circuits courts? Ce serait le prochain pas attendu.

Transformation d’un habitat rural, Chandonne (VS)

 

Maîtrise d’ouvrage: Privé

 

Architecture: Bastien Thorel, architecture et construction, Lausanne

 

Maîtrise d’œuvre: Pittet artisans, Chavannes-sur-Moudon

Conférence

Pour plus d’information concernant le chanvre et son application, une conférence tenue au F’AR par Bastien Thorel et Pittet artisans sur ce projet est disponible en vidéo sur le site de la matériauthèque Matilda.

Notes

 

1 Nicolas Le Duin et al., Bâtir en chanvre, chantiers et filières en Europe, Constructys Bretagne, Landerneau, 2018.

 

2 Lire également l’article de Stéphanie Sonnette, «L’alternative Pittet», Tracés 04/2020.

 

3 Niklaus Ramseyer pour l’Union suisse des paysans, Position de l’USP concernant le chanvre dans l’agriculture, juillet 2020.

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