«Nous som­mes tous ar­ti­sans de no­tre en­vi­ron­ne­ment con­struit»

La 17e édition de la Biennale d’architecture de Venise a ouvert ses portes le week-end dernier après un report d’une année. Rencontre avec Céline Guibat, architecte et présidente du jury Fondation suisse pour la culture Pro Helvetia, lors de la sélection du pavillon de la Suisse en 2019. Elle raconte ce qui a suscité la curiosité du jury lors de la sélection du projet oræ – Experiences on the Border de l’équipe composée de Vanessa Lacaille, Mounir Ayoub, Pierre Szczepski et Fabrice Aragano.

Espazium: Qu’est-ce qui a fait l’originalité de ce projet lors du processus de sélection? Comment expliquer l’intérêt pour la frontière, un thème qui est régulièrement traité par les pavillons nationaux?
Céline Guibat: Le processus de sélection repose sur la capacité d’un projet à exposer des problématiques actuelles au pavillon de la Suisse. Le thème proposé sur la frontière fait partie de ces questions contemporaines captivantes. Comment une ligne dessinée sur une carte peut-elle avoir un impact sur le territoire ? Qu’est-ce que cela signifie réellement? En effet, une telle ligne a un impact physique, psychologique et spatial. L’angle envisagé par le projet des commissaires était celui de la perception et cela nous a fasciné en terme de potentiel spatial.

Nous avons d’emblée senti le fort potentiel curatorial de ce thème, car la Biennale d’architecture c’est aussi cela : captiver rapidement les visiteurs, se démarquer en suscitant une expérience forte. L’enjeu pour l’équipe est de formaliser en une exposition un concept riche et complexe. En 2018, l’exposition Svizzera240 de Alessandro Bosshard, Li Tavor, Matthew van der Ploeg et Ani Vihervaara était en partie ludique, captait l’attention sous une forme amusante, même si elle portait une critique directe et subtile sur la construction en Suisse. Tout l’enjeu est de communiquer et de trouver la bonne mesure pour rendre le sujet explosif !

Selon les auteurs du projet, «étudier la frontière suisse à notre époque signifie de la percevoir non seulement comme une ligne sur un plan, mais aussi comme un espace à vivre – non seulement comme une limite, mais comme un commencement.1» En quoi ce projet propose-t-il de nouvelles perceptions de la frontière?

oræ — Experiences on the Border parle de l’ensemble du territoire suisse, avec le potentiel d’instaurer un dialogue au cœur de la société civile. C’est la force de leur proposition de créer un espace d’échange sur un aspect métaphysique et de concrétiser une discussion au sein de la société. Les frontières nous affectent tous, de manière concrète et aussi non perceptible. Ce projet, qui porte une sensibilisation à la perception, ouvre une discussion sur l’environnement construit et sur la mémoire collective.

Le défi d’un tel projet est la transcription d’un contenu complexe dans une forme simple, compréhensible et intéressante. Une forme capable de documenter la démarche consistant à aller au contact du terrain, inclure des processus participatifs et créer un laboratoire de maquettes avec les habitants. La récolte des connaissances sur le chemin a été très riche, et la restitution est décisive, car elle est aussi liée à leur ambition cartographique. Le contexte de cette pandémie s’est révélé être une chance, une opportunité car ils ont pu faire un second tour sur le terrain qui a fait évoluer leur projet. Maintenant, c’est la synthèse qui est toute la question. Leur parcours est un sans faute ! Ils ont abordé tous ces aspects et prouvé que leur démarche est complète.

À partir des perceptions culturelles, la frontière devient territoire. Qu’est-ce que l’architecture peut retenir de cette démarche menée par l’équipe de concepteurs auprès des habitants?
À l’échelle locale, les communes sont de plus en plus ouvertes aux processus participatifs. Et en tant que professionnels concernés, nous pouvons tirer quelques leçons sur le format et les expériences menées, car l’équipe a initié les habitants à de nouvelles pratiques. C’est le vrai sujet du pavillon: comment ouvrir une société civile à de nouvelles pratiques, même expérimentales, car nous sommes tous artisans de notre environnement construit. On est invité à le percevoir, à le redécouvrir sous un nouveau jour et à le façonner différemment. C’est en quelque sorte les effets multiplicateurs du dialogue qu’ils ont instauré avec le territoire et qui ouvrent un nouvel horizon.

Pro Helvetia pratique le concours en procédure ouverte dans le processus de sélection, est-ce aussi cela qui fait la qualité des projets présentés à la Biennale d’architecture, la particularité des concours suisses?
Instaurer ce mode de mise au concours permet d’initier un projet d’exposition sur un temps plus long, indépendamment du calendrier de la Biennale d’architecture. Le délai est en effet trop court après l’annonce du thème général pour les commissaires. Dans notre calendrier, le projet gagne en maturité car il a le temps d’être développé et médiatisé. De plus, et cela tient à la procédure ouverte en deux tours – le processus est dynamique et itératif ; il ouvre sur une pluralité de propositions. Le format est léger pour la première phase et digeste pour toutes les tailles de bureaux. C’est agile, adapté à la situation des professionnels et ouvert à la diversité.

Céline Guibat est architecte associée du bureau Mijong Sàrl (Zurich et Sion).

 

Note

 

1. Communiqué de presse, disponible sur prohelvetia.ch/fr/press-release/orae-experiences-on-the-border

Exposition – 22.05-27.11

17e édition de la Biennale d’architecture

OrÆ — Experiences on the Border

Pavillon suisse

Équipe : Vanessa Lacaille (architecte paysagiste), Mounir Ayoub (architecte), Pierre Szczepski (artiste) et Fabrice Aragano (réalisateur)

Magazine

Articoli correlati