L'é­co­le d'Or­son­nens et l'or­ga­ni­ci­té émo­tion­nel­le de TEd'A ar­qui­tec­tes

En harmonisant les exigences modernes d’une école primaire avec l’expression traditionnelle des constructions environnantes, le nouveau centre scolaire d’Orsonnens se porte témoin de l’histoire culturelle et bâtie d’un territoire de campagne tout en participant à la modernisation des centres scolaires régionaux.

Data di pubblicazione
08-02-2018
Revision
14-02-2018

«GRANGECOLE». Telle est l’inscription qui nous reçoit sous le préau d’entrée de l’école d’Orsonnens et qui remémore la devise du projet présenté par la jeune équipe d’architectes majorquins TEd’A arquitectes lors du concours à un degré remporté en février 2014. Gravé sur l’unique parement en béton apparent du projet, ce néologisme préfigure la volonté initiale des architectes de s’inscrire dans ce paysage bâti fribourgeois mais déguise et dissimule les qualités réelles d’une œuvre aux multiples facettes.

Situé à mi-distance entre Romont et Fribourg et installé confortablement sur une topographie sinueuse, ce nouveau volume vient s’accoster à la salle de sport existante en créant un nouvel espace extérieur d’accueil et en reconfigurant l’accès au village depuis son flanc nord. Complété par une zone de stationnement extérieure, ce nouvel équipement public de 25 m de côté se désaligne de son voisin en profitant des légères variations topographiques du terrain pour appréhender indistinctement les quatre orientations cardinales de ce territoire rural.

La tradition comme modèle à revisiter

Inaugurée lors de la dernière rentrée scolaire, cette nouvelle pièce villageoise se caractérise par un volume compact et massif organisé sur %%gallerylink:29749:trois niveaux%% et distribuant neuf salles de classe : deux classes enfantines au rez-de-chaussée et sept classes primaires aux étages supérieurs. Quelques locaux annexes liés aux activités parascolaires et un niveau de sous-sol technique viennent compléter les services de l’école. Un programme à la mesure des besoins de la commune de Villorsonnens développé et exécuté en un peu plus d’un an en collaboration avec le bureau d’architecture veveysan Rapin Saiz Architectes.

De premier abord et malgré sa situation dépourvue d’abri, le projet se présente comme une construction sobre et transporte l’observateur dans un univers naturel et familier : celui des constructions traditionnelles locales. Par sa morphologie, l’école s’inspire des architectures fermières environnantes et propose un volume à l’allure unitaire et robuste. Un bastion sombre au milieu des vergers et des prairies. Par sa matérialité, le bâtiment réinterprète le modèle des maisons paysannes romandes en dissimulant sa structure intérieure en bois derrière une peau organique et vibrante. Un bardage écaillé en épicéa semble vouloir participer à la composition abstraite et rationnelle des murs pignons caractéristiques de cette région. Seules quelques lignes horizontales de façade exécutées en cuivre viennent souligner les ouvertures et renforcer la résistance de cette construction aux variations climatiques de la région.

Au fur et à mesure qu’on se rapproche, l’entrée soigneusement dissimulée et compressée sous une fente horizontale, déséquilibre et interrompt cette homogénéité pour offrir aux usagers un premier espace de rencontre généreux et couvert. Soudain, de ce lieu servant de préau extérieur pendant les heures d’activité, surgissent deux structures-sculptures polymorphes en béton. Deux figures volontairement en déséquilibre qui absorbent le regard des passants et anticipent le déroulement des événements qui s’ensuivent.

Si l’expression extérieure du bâtiment s’inscrit dans un courant physionomique de continuité, l’organisation spatiale intérieure est d’une toute autre nature. À la différence des maisons paysannes habituellement organisées selon une structure tripartite –habitation-grange-étable–, le programme de l’école se distribue suivant une géométrie fonctionnelle et performante : «un carré gammé». Une solution couramment utilisée de nos jours pour ce type de programmes. Ainsi, les salles de classes se soustraient aux angles de cette figure pour libérer un espace cruciforme central noyé dans une ambiance conifère et domestique. Cet espace vertical, amplifié et dynamisé par les découpes circulaires des dalles en béton, transporte l’espace principal de rencontre au centre du bâtiment et offre aux usagers un lieu de rassemblement chaleureux et placide.


Chaque élément de construction comme univers d’épanouissement

La pièce maîtresse du projet se trouve précisément au cœur de cette composition. Une colonne filigrane en bois qui à la fois laisse induire la rigueur structurelle du bâtiment et contraste immanquablement avec les totems massifs et instables de l’entrée. Au sommet, cette sculpture arborée se divise en quatre épingles pour soutenir une lucarne en cuivre. Au passage du soleil, cette dernière devient un point de repère zénithal de couleur dorée. De cette couronne, des poutres en bois généreusement dimensionnées redescendent vers les angles extérieurs du carré. Elles traversent en diagonale chacune des salles de classe et dynamisent à leur tour les espaces qu’elles survolent. Au centre, les baies vitrées nous invitent à parcourir lentement du regard les espaces en double hauteur qu’elles renferment. Ainsi, une série d’opérations et de manipulations de l’espace commence à prendre forme. Les garde-corps métalliques nous proposent de les accompagner dans ce mouvement d’écartement qui les rattache au sol. Les lampadaires suspendus nous suggèrent de nous situer sous l’un des nombreux faisceaux coniques de cet espace. Les situations ne cessent de s’enchaîner vertigineusement et les événements de s’intriquer1 les uns aux autres.

Dans un monde de découvertes individuelles et collectives, un parcours d’épanouissement et de révélations prend progressivement forme. Les points de repère se multiplient d’espace en espace et offrent aux enfants autant d’expériences possibles que d’aventures à imaginer. Tous les éléments et les surfaces du projet brillent d’un même éclat. Seul l’espace de circulation semble s’écarter de ce parcours pour des raisons règlementaires et reste enfermé dans une boîte rigide et fonctionnelle. À l’extérieur, les événements ponctuels tels que les 'pétales' de ventilation en façade, l’assise en béton du préau ou le muret semi-circulaire d’accès, prennent alors un sens organique en s’articulant autour d’une même mise en scène architecturale ludique et sophistiquée.

À tout effet, ce projet prend une autonomie étonnante. Plutôt que de poursuivre l’épurement intellectuel d’un concept théorique préconçu ou songer à la matérialisation d’une atmosphère singulière, cette machine à récits se déploie suivant un enchaînement méticuleux et raisonné de scénarios physiques intérieurs et extérieurs arrangés au rythme des éléments constructifs qui les déterminent. Les rectangles ordonnent. Les cercles rassemblent. Les triangles dominent. Un arbre au centre du système. Un soleil au sommet. Une fleur au pied des façades. Deux colosses à l’entrée. A l’image d’une composition des émotions qui renvoie inexorablement aux intériorités spatiales d’Aldo van Eyck ou à l’inventivité sculpturale de Max Bill2, la fonction cognitive de chacune des parties du projet prend le dessus sur les relations programmatiques du bâtiment.

L’organicité émotionnelle comme principe de composition

Les enfants n’appréhendent pas la cohérence globale d’un objet. Ils expérimentent chaque élément qu’ils croisent comme un monde à part entière et font de cette vision partielle leur propre univers. Un univers d’inventivité qui a priori n’a pas de hiérarchie objective et peut induire des comportements divers et parfois même antagonistes. Le projet d’Orsonnens répond à cet impératif à travers un enrichissement spatial et constructif inusité. Ce n’est pas uniquement un projet d’espaces mais plutôt un projet de situations comme le sous-entend justement Aldo van Eyck dans ses multiples descriptions sur la relation entre «lieu» et «occasion».3

Chaque élément de construction se manifeste formellement et indépendamment du tout. Il propose à ses usagers un parcours d’émotions riche et varié. Dès lors, la relation qui s’établit entre les différents composants de ce système ne conduit pas vers un corps unitaire et rigide mais pousse cet assemblage constructif vers une sorte d’organicité émotionnelle élémentaire. Ce que nous pourrions traduire comme la construction d’un système émotionnel bien précis : celui d’un individu en pleine croissance. Une personne faite d’harmonies et de déséquilibres. D’ordres et d’accidents. D’autonomies et de dépendances. D’ornements et de simplicités. Un ensemble de caractéristiques aussi nécessaire à la construction d’un bâtiment qu’au développement référentiel d’une personne.

Transformer l’organicité constructive d’un bâtiment en organicité émotionnelle des occupants est devenu au fil du temps le sceau d’authenticité des projets conçus par le duo d’architectes Jaume Mayol et Irene Pérez. La maison Can Jordi i n’Àfrica à Montuïri ou la réalisation Can Huguet à Majorque font partie de cette série de projets où la matérialisation d’une idée n’est pas l’ultime étape du processus créatif mais plutôt le décor d’une construction bien plus complexe : la relation homme-espace. À n’en pas douter, le dispositif que les architectes mettent en place à Orsonnens démontre qu’il ne suffit pas de faire de « jolis volumes troués hasardement », et rien de plus, pour s’inscrire dans un courant de renouveau. Mais qu’une idée appliquée avec intensité et cohérence à toutes les échelles du projet, une poignée ou un morceau de bois étant une échelle, peut outrepasser cette circonstance et concevoir autant de scénarios émotionnels que désirés.

Ainsi, participer à la mémoire et à la transformation d’un milieu rural à travers des éléments propres à sa culture permet à Orsonnens et sa collectivité de construire autour d’un même objet une perspective d’avenir généreuse et enthousiaste, tout en offrant à son école l’occasion de se présenter aux générations futures comme le premier enseignant et narrateur de l’histoire d’un territoire et de ses «grangécoles».

 

Notes

  1. Pour Greg Lynn, le terme "intrication" évoque une entité biologique qui évolue globalement. «L’espace dynamique de Greg Lynn», entretien de Greg Lynn avec Eva Kraus et Valentina Sonzogni, l’Architecture d’aujourd’hui n°349 (Questions de forme-Shapping Form »), 2003.
  2. Ces références sont issues d’une discussion téléphonique avec l’architecte Jaume Mayol, dirigeant du bureau TEd’A arquitectes et auteur de la thèse doctorale : «Les architectures scolaires de Guillem Forteza Pinya. Société, culture et politique à Majorque au début du XXe siècle» – Edition : Leonard Muntaner.
  3. Dans l’essai «The child, the city & the artist : an essay on architecture : the in-between realm», Aldo van Eyck établit une relation étroite entre les notions de «lieu» et d’ «occasion» comme concrétisations des concepts théoriques de «temps» et d’«espace».

 

Informations

Ouvrage

  • Dates : 2014 Concours / 2014-2016 Projet / 2016-2017 Réalisation
  • Surface : 2450 m2
  • Volume : 9248 m3
  • Coûts : ~7.75 mio.CHF (CFC 1-4, 9)
  • Label : Minergie®

Intervenants 

  • Maître de l’ouvrage : Commune de Villorsonnens
  • Architecte mandataire : TERS architectes (TEd’A arquitectes et Rapin Saiz architectes)
  • Architecte concours, projet et direction des travaux : TEd’A arquitectes, Majorque ES
  • Architecte de gestion de projet, planification et direction des travaux : Rapin Saiz architectes, Vevey
  • Ingénieur civil (Bois) : Ratio Bois, Ecublens
  • Ingénieur civil (Béton) : 2M ingénierie civile SA, Yverdon-les-Bains
  • Enveloppe et façade : Xmade, Barcelone/Bâle
  • Ingénieur CVS : SACAO SA, Givisiez
  • Ingénieur électricien : Bernard Bersier, Fribourg
  • Ingénieur acoustique : ECOACOUSTIQUE, Lausanne
  • Géomètre : Geosud SA, Romont

Structure

  • Pilier central et piliers intérieurs : lamellé-collé en épicéa
  • Poutres : lamellé-collé en épicéa
  • Solives : lamellé-collé en épicéa

Façade

  • Profils façade : lamellé-collé en épicéa
  • Écailles façade : bois massif 1-pli en épicéa - lames assemblés
  • Menuiserie extérieure : pin massif
  • Portes accès extérieur : panneau + plaquage en pin pour forme type « écaille »

Intérieur

  • Ossatures : bois massif abouté en épicéa
  • Panneaux : panneaux 3-plis en épicéa
  • Couvre-joints : bois massif en épicéa
  • Menuiserie intérieure : bois massif abouté en épicéa
  • Menuiserie intérieure coupe-feu : bois massif abouté en chêne
  • Mobilier : bois massif en épicéa
  • Agencements (tablettes, bancs, armoires) : bois massif abouté 3-plis en épicéa
  • Patères : bois massif en chêne
  • Portes standard : contreplaqués en épicéa
  • Portes EI30 : contreplaqués en chêne
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