Fai­re de la rou­te un pay­sa­ge

Le Canton du Valais est pionnier en matière de réaménagement d’axes de mobilité: au cours des huit dernières années, il a lancé plus de 50 procédures de mandats d’étude parallèles (MEP) ou procédures similaires pour valoriser des traversées de localité et d’autres ouvrages d’art. Zoom sur la requalification de l’avenue de la Gare sud et de l’avenue de Tourbillon ouest, à Sion.

Publikationsdatum
25-09-2023

«À Sion, de la vieille ville au quartier Cour de Gare1, 100 % des espaces publics ont été conquis; d’ici cinq ans, ce lieu sera sans doute entièrement une zone de rencontre»2, affirme l’architecte de la Ville Jean-Paul Chabbey. Il y a dix ans, Sion recevait le Prix Wakker pour avoir amorcé avec succès sa mue urbaine et replacé le paysage au cœur de son développement territorial. On saluait alors une impulsion donnée au début des années 2000 par les autorités communales, qui avaient progressivement changé leur manière de penser et de faire la ville: la volonté d’améliorer la qualité de vie ne se limitait plus au noyau historique, mais s’étendait bien à l’ensemble du ­territoire communal. Cette mise en œuvre se reflétait dans les aménagements, jugés exemplaires, des espaces publics du centre-ville. La reconnaissance de la qualité de ces espaces publics est un processus ininterrompu qui, dès lors, n’a fait que croître.
Les mandats d’étude parallèles pour la requalification de l’avenue de la Gare sud et de l’avenue de Tourbillon ouest cherchent à asseoir la qualité de ceux qui ont permis de récompenser la Ville du Prix Wakker et confirment la démarche cantonale pionnière : au cours des huit dernières années, plus de 50 procédures ont été amorcées pour transformer des traversées de localité en véritables espaces publics. Pour Julie Imholz, architecte-paysagiste et présidente du collège d’expert·es, ces démarches reflètent une des ambitions du Service de mobilité: «La rue n’est plus simplement un espace où l’on roule.»

Le paysage est pluridisciplinaire

L’une des dernières limites à la piétonnisation du centre-ville de Sion est dessinée par l’avenue de la Gare, perpendiculaire à l’axe de la vallée du Rhône et à la voie ferrée, bordant le centre historique à l’ouest. L’objectif des MEP est que cette colonne vertébrale nord-sud, dédiée au trafic individuel motorisé comme à la mobilité piétonne, ne soit plus simplement une route, mais une «avenue vivante», tout comme l’avenue de Tourbillon, perpendiculaire, qui longe quant à elle la nouvelle opération immobilière privée de Cour de Gare.

Les MEP édictaient des conditions exigeantes – de l’aveu de certain·es participant·es – puisque chaque équipe devait rassembler un·e architecte-paysagiste et un·e architecte ayant des références d’aménagements publics similaires, un·e spécialiste mobilité, un·e spécialiste lumière et un·e ingénieur·e civil·e. Un système lourd, reconnaît Julie Imholz, la présidente du jury, mais nécessaire pour ne plus travailler en vase clos et convoquer tous les savoirs autour de la table. «Cette vision à plusieurs regards est indispensable pour aboutir à des projets d’aménagement d’espaces publics de qualité, malgré leur nature complexe. Auparavant, les ingénieur·es civil·es étaient leaders sur ce type de projet. Aujourd’hui, on demande que ce soient les architectes ou les architectes-paysagistes. Cela souligne aussi le changement de posture par rapport aux espaces publics, qui sont désormais considérés comme des espaces qui nécessitent une approche pluridisciplinaire.»

Malgré un cadre contraint, les six équipes sélectionnées ont fait émerger des réflexions et des caractères divers qui ont permis au jury de considérer un panel de solutions exhaustif. Deux éléments clefs ont étayé toutes les propositions pour ces deux tronçons de route d’une longueur d’environ 1 km au total:

  • le besoin de convertir des traversées routières en axes urbains tranquillisés, tout en maintenant l’accessibilité;
  • la prise en compte des enjeux environnementaux auxquels Sion, située dans l’une des régions les plus chaudes de Suisse, est particulièrement exposée, en fournissant une réponse bioclimatique;
  • la question de l’identité de ces axes qui favorisent le partage de l’espace public entre les divers usager·ères et tous les vivants.

Le Funambule: rencontre non linéaire entre adret sec et ubac boisé

Comme sa devise l’indique, le projet lauréat Le funambule de l’Officina del Paesaggio, Bonnard & Woefray, Transitec, Light On et Ingeni propose un nouvel équilibre dans ce contexte marqué par de fortes dynamiques. Les participant·es se distinguent par leur lecture territoriale singulière du périmètre des MEP. Si, comme la plupart des concurrent·es, ils voient l’avenue de la Gare comme une frontière entre les villes ancienne et moderne et comme une coupure dans le tissu urbain, ils vont plus loin en valorisant sa situation à la rencontre de deux grandes figures paysagères bordant la ville de Sion: l’adret au nord, ensoleillé et marqué par un sol sec, et l’ubac, plus boisé et frais au sud. Ces deux ADN se structurent au sein de leur proposition dans le déroulement au sol de la minéralité des coteaux nord viticoles et le croisement de la végétation touffue de l’ubac. «L’avenue de la Gare est une rue de l’adret, donc exposée au soleil, explique Julie Imholz. Il était donc nécessaire d’avoir cette réflexion sur le soleil, sur l’eau, et sur la manière de la retenir.»

En faisant se rencontrer ces deux paysages au sein de l’espace public, le projet Le funambule rompt non seulement la linéarité de la route (ce qui est rendu possible par la réduction de son gabarit), mais fait aussi émerger une morphologie nouvelle, un support des dynamiques d’usage en devenir. De fait, il se distingue des autres propositions qui traitaient de manière parfois trop tranchés les différentes rives de la rue (bucolique du côté de la ville du 20e siècle, marchande sur celle de la ville médiévale) et qui risquaient donc de fragmenter l’espace public, en mettant l’accent sur leur frontière commune: la route.

Là où d’autres concurrent·es déroulaient des propositions plus formelles – comme le projet Arlequin de Forster Paysage, qui développait un système de murets en biais, reflet des lignes de désir des piéton·nes – ou encore très standardisées – Allées et venues de l’Atelier grept, dont la volonté de clarifier la lecture urbaine courait le risque de confiner à la monotonie –, Le funambule a séduit le jury par son balancement subtil et attentif aux situations traversées. En cassant la linéarité, il favorise les liens transversaux et la conception de la rue comme espace public.

Climat: eau et arborisation

Dans le projet lauréat comme dans les autres, la question du climat est prépondérante. «Pour rendre la ville plus résiliente, il y a urgence à désimperméabiliser les sols, à assurer une bonne gestion de l’eau afin que celle-ci nourrisse les plantes et n’envahisse pas le bâti en cas de forte pluies et à végétaliser les sols pour accueillir tous les vivants», dit Julie Imholz. De multiples systèmes sont proposés: des noues, des fosses de Stockholm, etc... Les lauréat·es ont choisi ce dernier dispositif qui combine arborisation et gestion des eaux pluviales par rétention. Dans Le funambule, l’eau rafraîchit et nourrit et, ce faisant, dicte les choix de traitement du sol des espaces non circulés: des pierres issues de roches magmatiques ou métamorphiques sont utilisées pour les surfaces minérales perméables en raison de leurs qualités mécaniques et afin de garantir une bonne performance de l’ouvrage dans le temps vis-à-vis des utilisations attendues (accès PMR, lames de chasse-neige).

Les alignements de micocouliers (celtis australis) existants sont complétés par des arbres de grand développement comme des pins (pinus pinea) qui formeront, à terme, une nouvelle strate rythmant l’avenue. Localement, Le funambule propose de participer à l’arborisation existante et de l’amplifier: par une strate arbusive de chênes verts (quercus ilex); par une strate de couvre-sols persistants. Ce travail en coupe de la végétation, pensé sur une quinzaine d’années, répond à la nécessité d’adaptation face aux évolutions du climat. Il s’ancre aussi néanmoins dans la tradition locale des conifères isolés: l’hiver, certains arbres conserveront leurs épines et habilleront l’avenue.

Reconquérir la ville step by step

Si l’on ne peut que saluer la finesse et la précision technique de la proposition Le funambule, la future transformation de l’avenue de la Gare et de l’avenue de Tourbillon ne se déploie pas dans un contexte aussi serein et optimiste que ce que raconte le rapport de jury. En 2022, Sion mettait à l’enquête la limitation de l’entier de son centre-ville à 30 km/h. Une motion taclée à la séance du Grand Conseil valaisan en novembre de la même année: la limitation de vitesse à 30 km/h s’étendrait, selon certains député·es de droite et du centre, «d’une manière chaotique dans de nombreuses villes et communes, y compris sur les routes affectées à la circulation générale»3. Il a donc été décidé que la limitation ne s’appliquerait qu’aux routes d’intérêt local, non dédiées à la circulation générale à l’intérieur des localités, qui doivent rester à 50 km/h. C’est le cas par exemple de la portion est de l’avenue de Tourbillon, qui borde pourtant le centre historique. Sur cette question, Julie Imholz souligne que, s’il s’agit de la même route, ce n’est toutefois pas la même séquence: le début de l’avenue étant en relation directe avec la gare, il faut donc à tout prix la tranquilliser.

Concernant la tranquilisation des axes de mobilité, l’une des équipes (Déambule à Sion, In Situ) avait même proposé d’interrompre le trafic sur l’avenue de la Gare à l’approche des voies, afin d’en faire une véritable place – un choix cependant trop ambitieux et contraire aux exigences énoncées dans le cahier des charges: «Le concept des mobilités a fait l’objet de discussions antérieures aux MEP entre les différents acteurs concernés dont les mesures consolidées ont été entérinées in fine dans le cahier des charges. Dans ce contexte, il n’était pas envisageable de remettre en question le concept des mobilités sans prendre  le risque de faire marche arrière», alerte Julie Imholz. Elle souligne aussi l’importance de ces procédures: auparavant, on effectuait une mise en concurrence uniquement sur les espaces publics majeurs. Aujourd’hui, on comprend que la rue est elle aussi un espace public d’importance et plus un espace de service. Il est donc nécessaire d’investir dans ces MEP, non seulement pour améliorer la qualité des projets, mais aussi pour rémunérer correctement les équipes qui prennent part à ces réflexions.

Notes

 

1 Cour de Gare: nouveau quartier en cours de réalisation situé au nord de la gare, entre l’avenue de Tourbillon et la voie ferrée, à l’angle droit de l’avenue de la Gare

 

2 Propos tenus lors d’une table ronde organisée par Patrimoine Suisse en 2021

 

3 Le Nouvelliste, 17.11.2022

MEP pour la requalification des Avenues de la Gare sud et de Tourbillon ouest, Sion (VS)

 

Maîtrise d’ouvrage
Canton du Valais (Service de la mobilité) et Ville de Sion (Service de l’urba­nisme et de la mobilité et Service des travaux publics et de l’environnement)

 

Procédure
Mandats d’étude parallèles à un degré en procédure sélective

 

Présidente du jury
Julie Imholz, architecte-paysagiste, Paysagestion

 

Projet lauréat

 

Le funambule, Officina del Paesaggio, Bonnard & Woeffray, Transitec, Light On, Ingeni

 

Projets retenus

 

Allées et venues, Atelier grept, Nomas architectes, CITEC ingénieurs conseils, Schlaepfer-Capt, Moret & Associés

 

Entre vous et noues, Pass-age, O&C architectes, C&G ingénieurs conseils, Thol Concept, ARC génie civil

 

Projets participants

 

Arlequin, Forster Paysage, dvarchitectes & associés, Transportplan Sion, LUCE-ms, Editech

 

Déambule à Sion, In Situ, Game architectes, RGR, Concepto, Wili, Hintermann & Weber, Les FMR

 

Liens, en-dehors, évéquoz ferreira, bfn architectes, team+mobilité/rr&a, aebischer & bovigny, sd ingénierie

Rapport du jury sur competitions.espazium.ch

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