L’UIA: actrice incontournable de la régulation des concours internationaux
À la veille du 28e congrès international de l’Union internationale des architectes (UIA) en juillet 2023 à Copenhague (DK), Regina Gonthier, co-directrice de la commission internationale des concours de l’UIA, livre ses réflexions sur les principes fondamentaux du règlement UIA/UNESCO et les actions de promotion et d’accompagnement des concours menées par l’ONG à travers le globe.
TRACÉS: L’UIA a été créée à Lausanne il y a 75 ans. Pouvez-vous nous en dire plus sur sa vision et ses missions?
Regina Gonthier: Depuis sa création1 en 1948 à Lausanne, l’UIA réunit les architectes du monde au-delà des frontières politiques, économiques et esthétiques, sans distinction de nationalité, religion ou doctrine architecturale pour, ensemble, influer sur les politiques publiques et défendre une architecture au service de la société. L’UIA exerce de nombreuses responsabilités: participation à l’organisation de congrès internationaux, établissement de standards pour la formation et l’exercice de la profession. Elle s’engage à renforcer le rôle culturel, professionnel et social de l’architecte et reconnaît rapidement la nécessité de pouvoir conduire des concours internationaux. En 1949, l’Union est déjà sollicitée pour partager son expertise en ingénierie d’organisation de concours dans le contexte de la reconstruction européenne, mais sa mission s’étend également au-delà du Vieux Continent.
Consciente de l’importance d’établir des règles universelles en matière de concours internationaux d’architecture et d’urbanisme, elle adopte en 1955 un règlement type pour les concours2 lors de son assemblée générale, que l’UNESCO ratifie dans la foulée l’année suivante. L’UIA est, depuis 1956, le seul organisme à être mandaté par cette institution pour veiller au respect du règlement et des recommandations UIA/UNESCO. L’ambition de l’UNESCO est de faire en sorte que l’UIA propage la culture internationale du concours à travers le monde, qu’elle soit garante de son application, y compris dans les pays qui ne possèdent pas de tradition, ni même de règles en la matière. Des projets comme l’Opéra de Sydney, le centre Georges Pompidou à Paris, le Forum International à Tokyo et la Bibliothèque d’Alexandrie sont issus de concours UIA. Aujourd’hui, elle organise plusieurs concours prestigieux par an et fonctionne grâce au travail de milice des professionnel·les engagé·es dans ses organes. Comme elle perçoit au maximum 16 000 euros de frais de préparation par concours3, n’importe quel pays peut faire appel à elle!
Quels sont les grands axes du règlement des concours internationaux UIA/UNESCO ? Et quelles différences y a-t-il avec les règlements SIA?
J’ignore qui est derrière la rédaction du premier règlement de concours de l’Union, mais il est évident qu’il y avait des Suisses, des Allemands et des Français qui, à l’époque, partageaient une culture commune du concours. C’est d’ailleurs la même philosophie que l’on retrouve au cœur des règlements SIA depuis les principes de 1877. Le règlement UNESCO de 1956 (révisé en 1978) est un instrument remarquable, d’une validité mondiale. Aujourd’hui, c’est la référence pour les concours internationaux d’architecture et d’urbanisme en termes d’éthique et de prestige. Pour lutter contre la corruption, le règlement de concours prévoit l’anonymat des candidatures, un jury professionnel (avec en pratique l’admission d’un·e ou deux représentant·es du maître d’ouvrage), une évaluation professionnelle, l’équité de traitement, la protection des droits d’auteurs et l’obligation de confier le mandat aux lauréats du concours d’un projet. Dans le cas où le lauréat n’obtiendrait pas le mandat dans un délai de deux ans, une indemnité est accordée.
Tels sont les fondements du règlement actuel. En somme, l’UIA endosse le rôle d’accompagnateur de concours. Enfin, les membres du jury — et c’est peut-être la seule différence de principe avec les règlements de concours en vigueur en Suisse — doivent aussi être de nationalités distinctes. Ce point est généralement perçu favorablement par les maîtres d’ouvrage, dans la mesure où l’internationalité des membres du jury est source de renommée pour leur projet, même s’il arrive que certains pays éprouvent de la crispation à l’idée d’accueillir des «étrangers» parmi le jury. Débute alors un subtil travail de diplomatie pour convaincre l’organisateur du concours du bien-fondé d’un jury international pour garantir l’impartialité du processus. À vrai dire cette crainte n’est pas justifiée, car un jury qualifié est capable d’analyser le lieu et le projet, de percevoir quelle solution est la plus adaptée. Ses membres sont réunis, parce qu’ils et elles possèdent des sensibilités architecturales différentes, ainsi que des affinités particulières avec le thème ou le sujet du concours.
Pouvez-vous nous en dire plus sur votre fonction à l’UIA et les défis que vous avez jusqu’à présent relevés?
Depuis 2006 et jusqu’en juillet 2023, je préside la Conférence suisse des architectes (CSA), la faîtière qui représente les architectes de la SIA, la FAS et la FSAI et qui constitue l’une des sections de l’UIA. En 2015, j’ai été nommée co-directrice de la commission internationale des concours. La première tâche qui m’a été attribuée a été de vérifier la compatibilité du règlement UIA avec la législation de l’UE en matière de marchés publics. Je pouvais compter sur mon expérience d’ancienne vice-présidente de la commission SIA 142/143 lors de la révision de 2009: j’ai initié la séparation des concours et des MEP. J’avais également été membre du groupe de travail «Marchés publics» au Conseil des architectes d’Europe (CAE). J’ai ainsi pu prouver que le règlement et la législation étaient tout à fait conciliables, pas seulement grâce à des analyses, mais aussi en pratique: nous avons contribué à organiser trois concours avec la Commission européenne elle-même, qui ont été validés par l’UIA.
Les juristes du maître d’ouvrage ont mis en évidence un unique problème, qui se résout par la bonne volonté des parties impliquées: dans la législation européenne, il n’y a pas d’obligation que le premier prix reçoive le mandat, parce que le concours est inscrit dans la procédure de négociation. L’UIA a réussi à imposer l’obligation de négocier d’abord avec le premier prix. Par ailleurs, il faut des arguments valables, exposés dans la législation européenne, pour justifier l’échec d’une négociation. En cas de difficultés, l’UIA offre ses bons services. Un autre élément que nous avons réussi à éclaircir est que si un mandat est attribué au second rang, en cas de force majeure, le lauréat du projet demeure toujours celui qui a remporté le concours (premier prix). Le second ne peut pas affirmer qu’il a remporté le concours; il a gagné la négociation et ne peut donc pas mettre en œuvre le projet du lauréat pour des questions de droits d’auteur. Avec un règlement de concours simple qui contient l’essentiel, vous pouvez, avec des représentant·es du maître de l’ouvrage qui comprennent la philosophie du concours, trouver les solutions adéquates.
En tant que fine observatrice des relations internationales en matière de culture du bâti, estimez-vous que les conférences ministérielles de Davos de 2018 et 2023, patronnées par le conseiller fédéral Alain Berset, ont eu des impacts tangibles dans les autres pays européens?
Tout d’abord, je dois dire que j’ai été agréablement surprise de constater qu’un ministre suisse s’empare de cette question pour la traiter avec les autres ministres européens. Par ailleurs, la Déclaration de Davos concorde parfaitement avec les orientations du «Manifeste sur la Culture du bâti», publié en 2011 par la Table ronde Culture du bâti suisse, réunie sur l’initiative de la SIA. Entre 2018 et aujourd’hui, la Déclaration de Davos a servi de catalyseur pour beaucoup de pays en Europe. L’Espagne par exemple a édicté une loi sur l’architecture de qualité («Ley de Calidad de la Arquitectura»), loi qui est d’ailleurs entrée en vigueur en un temps record: en 2022. Je me souviens de l’enthousiasme de nos collègues espagnol·es qui, en avril 2018, trois mois après Davos, ont invité Oliver Martin, chef de la section Culture du bâti de l’Office fédéral de la culture, Lorenz Bräker, membre du comité de la CSA, et moi-même à une table ronde à Madrid, en pensant que la Suisse était beaucoup plus avancée en matière de législation sur la culture du bâti. Je leur ai répondu: «Faites d’abord votre loi, on pourra ensuite le cas échéant l’utiliser comme exemple chez nous.» La Suisse a donc, dans un premier temps, été exportatrice de la culture du bâti. À présent, on peut s’inspirer de ce que les autres pays font en la matière. Les influences sont multiples et vont toujours dans les deux sens: du pays à l’étranger et de l’étranger au pays. Alors certes, le champ d’acteurs, les événements et le discours autour de la culture du bâti se sont structurés et c’est un premier pas. Mais il n’existe pour l’heure aucune transposition légale spécifique à celle-ci. Évidemment, en Suisse, on est par tradition soucieux de garantir cette qualité architecturale, mais je n’ai pas observé de répercussions concrètes à la suite de l’adoption de la Déclaration de Davos en 2018.
Sélection des derniers concours UIA
Concours en procédure ouverte
2022: requalification de l’Acropole de Byrsa et réhabilitation du musée de Carthage (Tunisie)
2021: reconstruction et réhabilitation du complexe de la mosquée Al-Nouri, Mosoul (Iraq); conception des abords du théâtre antique A’ de Larissa (Grèce)
2020: nouveau quartier central des affaires de Thessalonique (Grèce); Europe Square / Piazza Transalpina Gorizia (Slovénie)
2019: centre de connaissances et d’innovation Tripoli (Liban); salle de concert nationale Vilnius (Lituanie)
Concours en procédure sélective
2021: Centre commun de recherche (CCR) de la Commission européenne (Espagne); parc CONFEX de Thessalonique (Grèce)
2020: Parlement européen – bâtiment Paul-Henri SPAAK (Belgique)
2019: nouveau siège pour la Fondation pour l’avancement des sciences (Koweït); projet loi 130, quartier européen de Bruxelles (Belgique); Tuchkov Buyan Park (Russie); Parlement européen (Belgique)
Notes
1 L’UIA résulte de la fusion en 1948 de deux entités internationales: le Comité permanent international des architectes (CPIA) et les Réunions internationales d’architectes (RIA).
2 «UNESCO Regulations for Architecture and Town Planning», 1955
3 À ceci s’ajoutent les frais de déplacement des juré·es (voyage et hôtel)