«Tout a de la valeur!»

À l’EPFZ, Silke Langenberg propose un cours de réparation. Les étudiant·es amènent un objet endommagé et doivent le remettre en état. Une manière de les emmener dans les problématiques complexes du projet de sauvegarde.

Publikationsdatum
03-05-2023

TRACÉS: Votre chaire à l’EPFZ est consacrée à la gestion du patrimoine bâti, à l’inventaire et l’évaluation des monuments historiques, ainsi qu’à la théorie et l’histoire. Dans ce cadre, vous proposez un cours pratique qui consiste à réparer des objets. D’où vient cette idée?

Silke Langenberg: La réparation est un concept courant dans la conservation du patrimoine bâti; il n’est pas contesté, car il aide à préserver la substance originale – contrairement à la restauration ou à la reconstruction, qui impliquent naturellement des remplacements ou des modifications. Nous avons remarqué en revanche que la réparabilité jouait un rôle de moins en moins important dans la construction. Les architectes conçoivent des objets, sans prendre en compte leur entretien à long terme. Autrefois, le bâtiment était réalisé et, après une première phase d’usage, il devait être rénové, réparé, avant de passer à la phase suivante. De nos jours, un bâtiment est trop souvent démoli après cette première phase. L’idée du cours est d’amener à la phase suivante: former les étudiant·es à penser à plus long terme, à la manière de remettre en état, voire de déconstruire. En réparant soi-même un objet, on se rend compte à quel point il est difficile de réparer quelque chose supposé être immuable.

Comment fonctionne le cours et quel est le but que vous recherchez?

Les étudiant·es apportent un objet endommagé et doivent développer un concept: la réparation doit-elle être visible ou non? Doit-elle être particulièrement mise en valeur? L’objet sera-t-il perçu différemment? Ils et elles apprennent ainsi comment les choses sont faites, découvrent des matériaux historiques et des techniques de production. Selon les objets, nous avons recours au savoir-faire d’artisan·es ou de technicien·nes en matériaux, parfois de designers, d’entreprises de meubles, etc. Nous faisons aussi des partenariats avec des fablab, quand il nous faut fabriquer des pièces de rechange. Mais le cours ne porte pas sur l’objet à proprement parler, plutôt sur quelque chose d’immatériel: il s’agit surtout d’apprécier, de reconnaître des valeurs, de les identifier et d’y réagir de manière appropriée. L’objectif est d’une part d’acquérir une certaine expérience concrète dans le domaine de la réparation, et, d’autre part, de permettre le transfert vers l’architecture, vers l’activité professionnelle.

Comment s’opère, justement, ce transfert?

Si je vous apprends à dessiner maintenant, je suppose que vous saurez le faire au semestre suivant, non? Une fois que vous avez effectué cet exercice, j’espère que vous comprendrez l’idée et que vous la transférerez dans l’architecture. J’ai déjà donné ce cours à Munich au niveau Bachelor et je pouvais vérifier dans les projets d’atelier des étudiant·es en Master s’ils et elles appliquaient ou non ce qui avait été enseigné. Cela a bien fonctionné. Il faut savoir qu’ici les étudiant·es sont très critiques, posent des questions sur la durabilité, refusent la démolition, etc. Dès lors, beaucoup participent au cours parce qu’ils et elles comprennent que les méthodes de conservation du patrimoine sont tout aussi adaptées aux objets non protégés. Si l’on traitait chaque objet comme s’il s’agissait d’un monument, alors il ne serait probablement pas démoli.

Je ne comprends pas très bien comment vous établissez le lien entre cet exercice et l’évaluation patrimoniale. Où commence et où s’arrête le patrimoine?

Si nous partons de cette position, il ne nous reste plus qu’à juger quelles valeurs sont déterminantes pour la préservation d’un objet. Selon la raison, je peux traiter un bâtiment très différemment: s’il n’est protégé que pour des raisons urbanistiques, je peux le vider de l’intérieur. S’il est protégé parce qu’il présente un mode de construction particulier, c’est plutôt sa conception qui m’importe. On ne devrait pas interdire de transformer un objet uniquement parce qu’il est inscrit au patrimoine: de nombreux bâtiments récents ont été conçus pour être transformés et doivent rester flexibles. Et puis, bien sûr, il y a aussi des objets qu’il faut absolument conserver tels quels, parce qu’ils ont une valeur de mémoire ou culturelle particulière.

Ce sont ces questions que nous discutons avec les étudiant·es dans le séminaire. Selon les objets qu’ils apportent, et leur valeur, nous leur disons: «laisse faire un professionnel » (c’est de la restauration), ou «c’est magnifique, fais-en le moins possible, essaie de conserver le maximum», ou encore «il y a beaucoup de matière, beaucoup de travail, qu’il ne faut pas jeter. Mais, au fond, tu peux le transformer complètement.» D’autres objets ont peu de valeur matérielle, mais un bon design, dont il faut garder l’esprit. Il est donc important de développer un concept en fonction de l’objet et de sa valeur. Et cela nous amène précisément aux questions patrimoniales ou à la construction dans l’existant.

Comptez-vous faire un cours de réparation similaire, mais qui porterait sur l’architecture?

C’est idée qu’il est pour le moment trop difficile à mettre en place. Mais dans un autre cours nous pratiquons la réparation sur site : au semestre d’automne prochain, nous partons à l’hôtel Schatzalp de Davos, et nous réparerons avec les étudiants·es une chambre ainsi que son mobilier, afin d’apprendre in situ ce que l’on fait habituellement en atelier. Le cours s’intitule Keep in place – parce qu’on ne veut pas faire de réemploi. Il s’agit de démonter un objet – fenêtres, portes, etc. –, le réparer et le remonter sur place. Le réemploi est très à la mode en ce moment et je suis parfois critique. Notre principe est toujours d’abord reduce, puis seulement reuse et enfin recycle.

Qu’est-ce qui devrait être enseigné dans une école d’architecture?

Ces derniers temps, je constate que, parmi les étudiant·es, certain·es refusent de participer à des tâches qui n’ont aucun sens à leurs yeux. S’il est prévu de faire un concours pour un édifice qui remplace un autre (Ersatzneubau), ils planifient simplement dans l’existant et disent: «Détruire n’est pas une option.» Et ils le font avec énormément d’assurance. Cet esprit critique est selon moi une qualité importante à développer.

Ce qui m’importe, c’est d’enseigner à reconnaître quand on ne peut pas faire quelque chose soi-même, quand on a besoin d’aide. Bien sûr, il faut développer certaines compétences manuelles – dessiner, construire des maquettes, etc. – et notre spécialité consiste évidemment à appliquer des principes et des textes sur la protection du patrimoine, à maîtriser les règlements en vigueur. Mais ça, tout le monde peut l’apprendre très vite, il suffit de lire les Principes pour la conservation du patrimoine culturel bâti en Suisse. Dans notre enseignement, il s’agit de questionner les objets, de les comprendre. Non pas de lire un livre, mais de le lire de manière critique.

Estimez-vous que l’enseignement actuel dispensé dans les écoles répond aux besoins actuels et futurs?

Je pense que ce serait plus intéressant si on demandait toujours aux étudiant·es de concevoir dans l’existant. Beaucoup de professeur·es d’atelier à l’EPFZ proposent du projet dans l’existant (Entwurf im Bau). C’est bien, mais à l’avenir, si nous voulons moins démolir, il faudra davantage de construction dans l’existant (Konstruktion im Bau). C’est beaucoup plus difficile, mais c’est plus important, car cela fait partie des tâches d’aujourd’hui et de demain. Je ne parle pas de statique ou autre, mais bien de construction – comment les choses sont fabriquées, quels sont leurs principes d’assemblage. Désormais, la construction devrait avoir un impact plus important que la conception. La recherche dans ce domaine va jouer un rôle fondamental.

Pouvez-vous donner un exemple de recherche en réparation?

L’un de nos doctorant·es s’intéresse aux façades high-tech. Il se demande comment fabriquer des pièces de rechange pour ce type de façades, en consultant des ingénieur·es en mécanique, car souvent les entreprises n’existent plus. Donc, très souvent, des façades entières sont remplacées parce que les pièces de rechange se sont plus produites, ou introuvables. Or, il suffit parfois de changer cinq pièces.

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