La Fer­me du Rail: un lieu de bien vi­v­re et de mieux pro­dui­re

Premier projet du très médiatique «Réinventer Paris» à sortir de terre, la Ferme du rail à Paris est un lieu de production agricole et de réinsertion sociale. En deux années d’exploitation, elle a produit plus de 4 tonnes de légumes, traité 20 tonnes de déchets au compost et emploie, restaurant compris, 23 personnes dont 15 qui vivent sur le site. Visite guidée.

Publikationsdatum
12-08-2021

Passer sous le tunnel qui soutient l’ancienne petite ceinture parisienne au 2 bis rue de l’Ourcq dans le 19e arrondissement de Paris, c’est tomber sur un incroyable et luxuriant potager. D’autant plus surprenant qu’il est entouré de hauts mais légers bâtiments en structure bois qui confirment une enclave maraichère singulière en pleine ville. 

Nous sommes à la Ferme du Rail, lieu où se mêlent production, formation, réinsertion et hébergement. Un endroit discret, non visible depuis la rue, accueillant et vivant, tant pour les visiteurs que pour ses résidents. 

C’est également au sein d’une AMAP (Association pour le Maintien de l'Agriculture Paysanne) installé à proximité du site que Mélanie Drevet (paysagiste), Clara Simay (architecte) et Yves Raynaud (Travail & Vie) se sont rencontrés et ont décidé de réfléchir ensemble à ce qui deviendra la Ferme du rail. 

Projet lauréat de «Réinventer Paris»1, La Ferme du rail est le premier sorti de terre. En fonctionnement depuis bientôt deux ans, elle s’articule autour de jardins en polyculture et vise l’insertion de personnes précarisées: un espace agri-urbain ouvert à tous pour accueillir, former et insérer durablement les personnes les plus fragiles.

Lire également: Réin­ven­ter Pa­ris: mar­ke­ting ur­bain ou réels pro­jets?

Dans cette parcelle enclavée, l’implantation des deux bâtiments qui compose la ferme favorise une surface de pleine terre sur la partie la mieux exposée où se développe le potager. Les cultures sur le toit permettent de maximiser les surfaces dédiées à la production et la serre allonge la période de culture. Un verger en agro-foresterie est planté sur le talus de la Petite Ceinture et une champignonnière est installé dans le bâtiment d’activité. Enfin, les escaliers et coursives des logements sont à la fois des espaces de circulation, des espaces d’agrément et, à terme, aussi d’aquaponie avec des tomates qui pousseront en façade. Car c’est bien l’optimisation de la production qui détermine l’architecture et l’organisation de cet endroit atypique. 

Le premier bâtiment de quatre niveaux héberge 15 personnes en insertion et cinq étudiants en horticulture. Le second bâtiment comprend l’exploitation d’insertion au rez-de-chaussée (atelier, salle commune, champignonnière), le restaurant à l’étage et en toiture la grande serre. 

Réalisés entièrement en ossature et charpente bois, ils sont isolés en paille (murs et toiture) et couvert d’un bardage en châtaigner pour le bâtiment de logements, le tout effectué par des entreprises de réinsertion. Ainsi le chantier a également favorisé l’aspect social du projet et a impliqué les futurs acteurs du site. 

Pour les éléments de second oeuvre, l’utilisation des matériaux de réemploi a été favorisée: carrelages pour les salle de bains, mobilier des chambres, fenêtres en bois pour réaliser la marqueterie du sol de la salle commune et les jardinières. Enfin, les murs de soutènement des jardins sur talus sont mis en oeuvre à partir de bordures en granit et pierres de voirie.

Les bâtiments interagissent entre eux et se complètent pour le fonctionnement humaniste du site. Il y a par exemple un accord contractuel inscrit dans le bail du restaurateur: il sert le menu du jour aux habitants. Ils sont donc chez eux au restaurant et se mêlent aux clients.

Le «jardin» qui se veut d’abord productif est pensé comme un projet de paysage et contribue à la biodiversité du site et des ses alentours. Il propose ainsi une «mosaïque de milieux» qui se répartissent en suivant la topographie, l’état des sols (certains sont pollués) mais également le fonctionnement de la ferme. 

Le verger en agro-foresterie complété de vivaces s’implante sur les talus en terrasse qui mènent les visiteurs au restaurant. Les différents flux de personnes (visiteurs/habitants) sont ainsi séparés pour préserver l’intimité des résidents et limiter l’accès à l’exploitation. Ainsi, le cheminement public traverse un premier jardin qui surplombe le potager central. 

L’eau, indispensable au bon fonctionnement du lieu, est valorisée de son point de captage jusqu'à sa réutilisation et le long bassin de filtration qui accompagne le côté Est du potager permet d’augmenter le stockage tout en animant l’espace. Ainsi, la totalité des eaux de pluie est utilisable pour l’irrigation. 

Sans oublier, l’aire de compostage, mise en service en amont du chantier pour enclencher le plus tôt possible les contacts avec les habitants voisins et les restaurateurs. Les premiers terreaux de compost ont nourri les sols et favorisé leur dépollution. L’équipe démontre ainsi qu’un dispositif de collecte de déchets et de qualification d’un compost avec un suivi rigoureux permet de restituer des sols, même en milieu urbain. 

« Réinventer Paris » a généré une émulation pour un nouveau type de projets. Il peut apparaitre finalement comme une action de marketing urbain afin de montrer et promouvoir des projets hors d’échelle produisant des images fortes. C’est aussi une procédure très lourde (un an d’études et de consultation avant validation). La Ferme du rail se distingue par son échelle et son inscription locale. Le programme, ou plutôt « le manifeste», de la Ferme du rail est né d’une vision commune et sa concrétisation réussie en fait un exemple pour une autre façon de voir, de concevoir et de réaliser une architecture inscrite dans son époque et accompagnatrice de ses utilisateurs: comment vivre autrement dans la ville en donnant une place à des personnes en grande précarité et en prêtant attention à notre environnement immédiat; un lieu où s’associent l’intérêt personnel et l’intérêt pour le bien commun.

Il s’agit bien d’une ferme, les chiffres et la variété de la production le prouvent. Et elle est bien urbaine. Implantée dans un quartier dense de Paris son architecture contemporaine issue d'une implantation optimale pour le jardin en fait déjà un modèle. Ici plus qu’ailleurs, les espaces extérieurs ne sont pas que productifs. Ils sont le socle fertile d’une nouvelle manière d’être en ville. 

Note

 

1. Lancé en novembre 2003, l’appel à «projets urbains et innovants» portait sur 23 sites aux profils très différents et répartis sur l’ensemble du territoire intra-muros de la capitale. L’objectif de cet appel était double: donner une «seconde vie» à ces bâtiments par l’innovation et, plus généralement, placer Paris «à la pointe» des métropoles où l’on fabrique la ville différemment. Opération très critiquée dans la presse francophone, notamment par espazium.ch, car «Réinventer Paris» ressemblait au mieux à une opération de marketing urbain et au pire pour la grande majorité des projets à une consultation de valorisation foncière menés par des promoteurs privés. (Ndlr)

Informations

 

Maitrise d’ouvrage: Réhabail foncière sociale

 

Maitrise d’oeuvre: Clara Simay et Julia Turpin Grand Huit Architecte ; Mélanie Drevet Paysagiste ; Yves Raynaud Travail et vie 

 

Bureaux d’études: Pouget Consultants thermicien, Julien Virgili BE tout corps d’état, Frédéric Cousin BET Etanchéité à l’air et paille, Philippe Peiger agro écologue, Albert et compagnie OPC et AMO, Ecole du compost.

 

Usagers: Associations Atoll 75, Travail et Vie,Bail Pour Tous, Passage à niveau (restaurant)

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