Zwhatt: la­bo­ra­toire d'­ar­chi­tec­tu­re et de pro­cé­du­re

Pour le futur quartier du Zwhatt, proche de Zurich, développé par le Team Märkli, les architectes Roger Boltshauser, Lütjens Padmanabhan, Alexandre Brodsky et Graser Troxler vont réaliser certains bâtiments prévus par le master plan. Analyse des projets de la tour et du bâtiment longitudinal côtoyant le secteur H.

Publikationsdatum
03-06-2021

Le plan suffit - Boltshauser Architekten

A l'issue du mandat d'études parallèles pour le projet de la tour H, qui forme une figure d'ensemble avec la tour G, de part et d'autre de la Furttalpromenade, le bureau Boltshauser Architekten s'est imposé avec son projet Redwood. Le plan directeur et le concept de Peter Märkli se référant au caractère rural et villageois du contexte (lire l'article: Hel­ve­tic Mid­lands, ex­traits d'une le­çon d'ur­ba­nisme par Stu­dio Märkli), ont sans doute joué un rôle dans la conception de la proposition: une construction hybride en bois et béton, posée sur trois niveaux en construction massive. D’ailleurs, pour Roger Boltshauser, qui fut il y a plus de vingt ans l’assistant de Peter Märkli à l’EPFL et à l’ETHZ, le plan directeur, avec son rez-de-chaussée fluide, ouvert au caractère fondamentalement social et collectif, donne le ton.

Ainsi les étages du socle de Redwood, accompagnés par une arcade sur trois côtés, captent l'espace public et se raccordent au parvis, au pavillon projeté par A. Brodsky et aux groupes d'arbres de la promenade. Au-dessus de cette charnière urbaine offerte à la vie collective est venue se greffer l'idée d'une construction durable, en bois, que l'architecte n’a pas amenée jusqu'au sol, afin d'éviter tout caractère hermétique. Urbanisme, espace public et structure se retrouvent ainsi rassemblés dans la formulation d’une même idée. L'architecte met aussi en avant la vie collective verticale en proposant de généreux espaces communs sur deux niveaux, à mi-hauteur de la construction hybride.

Se superposant encore à l’idée spatiale, Boltshauser marque de manière radicale l'atmosphère intérieure des appartements par la forte présence du bois et de la minéralité. L’idée derrière ce parti pris est d'offrir à la vie suburbaine un attrait inégalé au centre-ville, afin de séduire aussi une clientèle citadine.

Le maître d'ouvrage a reconnu l'intérêt d'un effet de branding, et a su faire confiance à ce geste en acceptant une construction hybride, expérimentale, et d’environ 5% plus coûteuse qu'une construction conventionnelle. En façade, la verticalité de la structure bois imposante se combine – en une tectonique audacieuse – à la légèreté de l’horizontalité des panneaux solaires et à la finesse de leur profilés métalliques. Une esthétique qui rappelle les architectures technologiques françaises dont l’architecte Jean Prouvé (1901-1984) fut l'une des figures de proue, perpétuée jusqu'à ce jour par des architectes comme Nouvel, Bruther ou Lacaton-Vassal.

S, M, L, XL - Lütjens Padmanabhan

Un bâtiment longitudinal s'étire à quelques pas de la tour et complète, avec le corner shop projeté par A. Brodsky, la structure bâtie et la composition spatiale du secteur H. Compressant l'espace de rez-de-chaussée sur le côté Sud-Est de la tour le long de la Neuhardstrasse et s'en éloignant vers le haut suivant un dispositif en terrasses organisé en quatre double niveaux, le bâtiment s'octroie une certaine dignité au pied de sa haute voisine. «Nous voulions créer une relation avec la tour et ne pas être seulement son mur anti-bruit. Nous souhaitions agrandir cette maison. De là l'usage de fenêtres plus généreuses que celles de la tour, englobant les deux niveaux des logements côté rue», racontent Oliver Lütjens et Thomas Padmanabhan.

Cette autonomie d’échelle affirmée au sein du quartier, permet aux architectes d’accentuer encore plus fortement le contraste entre les deux tours en proposant une façade en bois de couleur verte. Ils parlent d'une maison «sans plan» , pour attiser la controverse. Sous des airs de simplicité, les plans, de même que la coupe, dévoilent pourtant la précision du système: le dimensionnement des appartements, leur rythme, la profondeur des terrasses, la position de l'escalier hélicoïdal, des équipements, le luxe mesuré de la double hauteur. Tout est très finement ajusté. Taille S, M, L ou XL, la catégorisation des «maisonnettes-loft» ne s'effectue pas selon le nombre de pièces, mais selon leur taille absolue. Cette infrastructure à habiter est rationalisée et optimisée au maximum.

Sobriété

Les conditions qui ont mené à de telles solutions s'explique en un mot: Sobriété. Favorisant une «procédure compacte aux méthodes de représentation ouvertes mettant l'accent sur une conception efficace et optimisée en termes de coûts», la fondation de placement Adimora de Pensimo innove dans la conception de logements locatifs à bas prix, et cherche les limites du système. L'investisseur veut également anticiper la transformation des processus de planification et les délais de réalisation, affectés entre autres choses par la numérisation et la pression croissante en faveur de l'efficacité.

Fonctionnalité, élégance, usage, flexibilité, bilan énergétique comptaient parmi les principaux critères donnés aux équipes sélectionnées qui devaient comprendre au minimum un bureau d’architecte et une entreprise générale. Le critère économique comptait pour beaucoup. En effet, l’appel d’offres exigeait un prix de 2'500 CHF au mètre carré ; exigence difficile à respecter compte tenu des standards suisses dans la construction et du coût de la main-d’œuvre.

Aujourd'hui encore, au stade du projet de l'ouvrage, les discussions entre Lütjens Padmanabhan et l'entreprise générale Anliker sont purement stratégiques et visent l'optimisation des coûts et le processus de construction. Des rencontres régulières, fascinantes et instructives, guident l’équipe vers la sobriété, concept qui consiste à limiter la consommation des ressources à son minimum.

Pour Lütjens Padmanabhan, cette réduction ne doit pas être comprise comme du minimalisme ou de l'abstraction, mais plutôt même comme un «accroissement de la liberté personnelle. Il s'agit d'un style de vie, et pas seulement d’une question de coût. Nous voulons offrir une expérience spatiale d'une générosité maximale.» Pour eux, les mesures de réduction des coûts signifie aussi une plus grande authenticité: la maison est montrée telle qu’elle est construite.

Dialogue entre experts

Avec les entrées directes des maisonnettes au rez-de-chaussée ou les terrasses communautaires se référant au paysage urbanisé du quartier, le projet de Lütjens Padmanabhan renoue avec des qualités de la vie rurale voulues par le plan directeur de Peter Märkli. Pour ce dernier, les architectes ont maîtrisé la tâche de façon souveraine: «l'espace est parfait. Le mouvement de retrait vers le haut de cette maison en terrasses urbaines est idéal. Il s'agissait d'interpréter les données de base: une certaine surface au sol, une distance minimale à la tour H, et une hauteur déterminée. Pouvoir collaborer avec des partenaires comme Boltshauser et Lütjens Padmanabhan sur le secteur H est formidable. Ils ont respecté le plan urbain, et même si certains éléments changent, ils ont réagi à nos intentions et garder l'esprit du plan directeur.»

Le repositionnement des étages du socle de la tour de Boltshauser Architekten témoigne de cette discipline urbaine et des itérations entre projets. Les étapes de développement des différents projets permettent aux architectes de réagir et d’interagir selon les résultats des procédures lancées en parallèle. Ainsi, Peter Märkli change la couleur de ses façades en cours de projet lorsqu’il prend connaissance du résultat du concours de Roger Boltshauser. Ce dernier consulte à son tour Peter Märkli lorsqu'il décide de placer des panneaux solaires en façade. Leur rabattement horizontal dialogue ainsi avec les toitures en contre-coeur («Brüstungsdächer» en allemand) de la tour G, ou même avec les terrasses de Lütjens Padmanabhan.

«Si nous pouvons réaliser ce centre comme nous l'imaginons, il en émergera quelque chose d'encore inconnu à Zurich. Il ne s'agit pas d'une addition ou d'une collection. Chaque architecture particulière doit se répercuter harmonieusement sur l'ensemble et sur ses voisines et participer ainsi à la construction collective de l'espace public. Je suis complètement satisfait aujourd'hui, et tout à fait optimiste», souligne Märkli. Il faut saluer ici l’engagement et l'ouverture d’esprit des investisseurs qui proposent de nouveaux types de procédures et soutiennent des méthodes expérimentales permettant de découvrir des modes de vie durables; un renouvellement qui débouche sur l'établissement de collaborations fructueuses, résolument tournées vers l'essence sociale de l'urbanisme, et accompagnées  d’un grand potentiel de durabilité.

Texte issu d’entretiens individuels menés avec les architectes Peter Märkli, Roger Boltshauser, Oliver Lütjens et Thomas Padmanabhan en août 2020 à Zurich.

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