Helvetic Midlands, extraits d'une leçon d'urbanisme par Studio Märkli
Situé aux portes de Zurich, entre Regensdorf et Watt, le nouveau quartier de Zwhatt, du groupe Pensimo, est le résultat d’une innovation urbaine appelée «la charrette». Retour sur expérience mené par Peter Märkli, lauréat d’un concours, qui illustre et donne le ton du futur développement de cette «portion de ville périurbaine».
En 1993, dans leur série de photographies regroupées sous le titre de Siedlungen, Agglomerationen, Peter Fischli et David Weiss illustraient leur goût pour l'usuel et le banal en montrant, sans détour et sans distorsion culturelles, les qualités physiques de la banlieue suisse. Ils documentaient ainsi les caractéristiques de ces paysages suburbains: le développement immobilier des années 1960/70, les façades arides en béton, les aménagements extérieurs peu inspirés, la présence forte d’infrastructures viaires et les zones commerciales. La région de Regensdorf est un exemple de ce collage périurbain où les clubs de fitness côtoient les salons de beauté, où les chaînes de commerce de détails jouxtent les concessionnaires de poids lourds d’occasion, où les stations essence succèdent aux petites structures de services ou aux fast-foods. Cet environnement hyper hétéroclite est parcouru de pavillons ou de lotissements, de jardins ou de terrains agricoles, de zones industrielles ou de bureaux.
Transformer l'héritage des régions périurbaines? Pour Peter Märkli, il faut d’abord prendre en compte le contexte rural.
Pour la charrette (lire encadré ci-dessous), au vu de la situation spécifique du secteur mis à l'étude au sein du site Zukunft Bahnhof Nord, l'architecte Märkli a choisi de définir les caractéristiques d'une nouvelle centralité, capable d'offrir les qualités urbaines et collectives suffisantes, à partir de laquelle les secteurs suivants pourraient se déployer. Pour trouver l'essence du projet de développement du secteur central du futur Zwhatt, l'architecte ne tient pas compte du contexte industriel et artisanal. Il définit le lieu en se référant aux paysages composés de villages anciens d'origine paysanne, de forêts, de grandes fermes et de la campagne de la vallée de la Furt. Ainsi, dans un contexte résolument campagnard et rural, l’une des grandes difficultés a été de trouver une expression adaptée pour les deux tours prévues par le plan d’aménagement. L'architecte avoue ne connaître alors aucune référence de tour conçue dans une relation fine au monde rural. Pour trouver une réponse, il dessine. Embarrassé par l'esquisse d'une tour verticale dans ce paysage, il ébauche une solution qui souligne l’horizontalité générée par un contre-coeur légèrement évasé, lequel forme un petit avant-toit au-dessus de chaque étage. Un rappel subtil à l’architecture vernaculaire des fermes suisses avec leurs avant-toits souvent recouverts de bardeaux. L’expression est alors trouvée: des tours, influencées par le contexte rural, s’élevant au sein d’une centralité qui n’est pas caractérisée par le développement suburbain des dernières décennies, ou par les blocs urbains prévus dans le plan d’aménagement, mais plutôt par les anciens villages des alentours.
Un autre enjeu majeur de cet exercice urbain est la formulation spatiale du projet destiné à produire le caractère particulier du secteur, tout en respectant les contraintes étroites du plan d’aménagement. L’architecte collabore avec une équipe pluridisciplinaire, composée de l’artiste Peter Fischli, de l'architecte-paysagiste Lorenz Eugster et de l’éclairagiste Thomas Mika, pour répondre au besoin de «construire un événement», soit des bâtiments bas, des pavillons, des loggia et des couverts utilisés comme éléments de la composition urbaine, conjointement aux tours de logement. Le tout figurant une nouvelle centralité de forme originale et sensible.
Les pavillons, placés aux angles des parcelles, et la loggia, offrent une plus grande liberté d'interprétation quant au programme et au rapport avec les espaces libres: «nous voulons créer un urbanisme qui s’éloigne de ce faisait à d’autres époques du développement périurbain; nous voulons exprimer l’urbanisme démocratique d'une société pluraliste». Selon Märkli, générer de nouveaux pans de ville aujourd'hui, c’est «bien plus que dessiner ici et là des places ou des squares sur un plan. Une ville hétérogène est souhaitée, car il existe de nombreuses façons de vivre; cette ville doit se construire avec des usages publics au rez-de-chaussée. D'ailleurs, pour soutenir financièrement la création de ces derniers, nous avons besoin d'une décision politique, soutien difficile à obtenir auprès d'un maître d'ouvrage privé». La pression de la rentabilité économique est trop grande.
Le Team Märkli réussit à produire une vraie scénographie de la vie urbaine: une large place communautaire et une promenade pouvant recevoir des projections publiques, une patinoire ou une grande roue, une loggia pour s’abriter, un jardin d'enfant, des pavillons dont les fonctions sont proposées par le bureau de l'architecte russe Brodsky, des surfaces commerciales et, bien sûr, des logements. Le hall d’entrée principal des tours est d'ailleurs conçu comme le prolongement de l’espace public. A Regensdorf-Watt, «la plus grande partie du programme est consacrée au logement, une population nombreuse viendra ainsi animer le lieu. Les fonctions n'ont pas à être inventées. Le jardin d'enfant sera occupé. Les petites constructions urbaines, telles que kiosques ou salles d'attente ouvertes, comme on en trouve à Zurich, sont également très importantes dans la définition du milieu urbain », rajoute Märkli. En guise de référence, l'architecte s'inspire aussi de Paris ou de Rome, des moments d'urbanité où il fait bon vivre. La liste des compétences pour les projets et décisions auxquelles l'équipe fait appel pour favoriser la vie du lieu pourrait encore s’allonger. Mais l’importance cruciale de connaître les tenants et aboutissants de la gestion du territoire urbain, de l'économie et de la politique de la construction pour mener à bien le projet est d’ores et déjà bien perceptible. Ces outils, leur connaissance et leur usage, soulignent la complexité de l’art de bâtir et sont le fruit d'une expertise affinée par des années d'expérience.
La charrette: une procédure innovante
Pour ce concours, le maître d’ouvrage a mis en place une procédure appelée « charrette ». Vingt équipes sélectionnées dans une pré-qualification ont 22 heures sur le site pour répondre aux questions liées à la nature du site et à la manière de le développer: Comment créer de la diversité et une idée commercialisable à court et à long terme? Comment composer avec les deux tours prévues dans le plan d’aménagement? Vingt équipes de 3 à 4 personnes offrent travail et inspirations pour quelques milliers de francs sur deux jours. Une formule peu onéreuse pour l'organisateur, mais riche en retours. Pour sa participation à la charrette, Peter Märkli explique dans un bel esprit d'ouverture: «Il s'agit de culture. Il faut pouvoir donner ce que l'on sait, surtout aux jeunes praticien-nes qui auront peut-être plus tard envie de participer à ces élans positifs». Il considère comme adéquate la procédure de produire des idées en un temps donné relativement court. Aussi, il salue les dispositions du maître d'ouvrage à expérimenter.
Ce texte est issu d’un entretien de l’auteur avec l'architecte Peter Märkli, à Zurich, en août 2020.
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