«Nous ne con­ce­vons pas pour la cri­se, mais pour le fu­tur»

Lorsque pour le Diplôme 2020 de l’Accademia di architettura di Mendrisio, Muck Petzet a choisi de lancer la réflexion sur la zone frontalière de Ponte Chiasso, il était loin de s’imaginer que le Covid-19 allait exacerber les caractéristiques de cette dernière. Nous nous sommes entretenus avec lui de frontières et de confinements, d’enseignement à distance et de fêtes organisées sur Zoom.

Publikationsdatum
19-05-2020

Espazium – Le Diplôme 2020 de l’Accademia di Mendrisio a pour thème la frontière entre Chiasso et Côme, une zone qui a été profondément transformée avec la crise sanitaire du Covid-19. Comment aviez-vous, au début du semestre, présenté le concept de «frontière» aux étudiants? Votre vision a-t-elle changé avec la propagation du virus?
Muck Petzet: Pour moi, cette frontière a toujours incarné un atavisme manifeste: c’est l’une des dernières frontières «rigides» d’Europe, avec des contrôles, des barrières, des murs et des clôtures ainsi qu’une surveillance aérienne constante par drones. Une frontière comme il n’y en a plus guère sur le reste du continent...

Depuis la crise sanitaire, j’ai développé une nouvelle conscience des frontières entre les voisins européens de la Suisse, la France et l’Allemagne. Qu’une frontière comme celle-là, que l’on ne percevait plus vraiment, puisse être fermée à l’improviste est un sentiment angoissant.

Comment aborderez-vous la situation actuelle dans vos cours? Inviterez-vous les étudiants à y réfléchir dans leurs projets de diplôme?
Je pense que les étudiants ne manquent pas de matière à traiter: la frontière très nette entre deux zones urbaines, les grands liens et les grandes ruptures sur le plan urbanistique, économique, social et écologique qui se manifestent entre Chiasso et Ponte Chiasso, etc. Dans les critiques intermédiaires, j’ai eu l’impression que certains réfléchissaient déjà à la manière dont nos conditions de vie et de travail pourraient changer après le Covid-19. Toutefois, nous ne concevons pas pour la crise, mais pour un futur possible après la crise. Je suis jusqu’à présent heureusement surpris de la profondeur et du sérieux des analyses des étudiants et j’attends avec impatience le résultat du Diplôme 2020.

La situation actuelle limite la mobilité des étudiants, les empêche de se rendre sur le lieu du projet et d’accéder aux infrastructures de l’Académie. Comment s’organise le Diplôme 2020 dans ces conditions?
Les changements ont été progressifs: au début du semestre, le monde ici semblait encore normal. Autrement dit, les étudiants ont pu se confronter de manière intensive au terrain, mener des interviews, appréhender les espaces et prendre des photos. Mais la situation a aujourd’hui bien changé. À certains égards, elle est comparable aux diplômes des années précédentes, lorsque le semestre commençait par le voyage d’études et que les étudiants devaient ensuite puiser dans ces photos et ces expériences «live». Quoi qu’il en soit, je pense que pour notre diplôme «Chiasso Ponte Chiasso», la confrontation avec la réalité du territoire sera relativement intense grâce au travail effectué les premières semaines et à la connaissance approfondie du lieu acquise par les étudiants.

Que signifie, pour un atelier basé sur la conception de projets, de ne plus avoir de contact direct avec les étudiants?
C’est un bouleversement considérable pour les ateliers. Le travail à Mendrisio se caractérise depuis toujours par des discussions, des rencontres et des échanges animés, et surtout par la confrontation avec des maquettes et des matériaux. Les remplacer par des moyens électroniques n’est possible que de manière très limitée. Cela n’empêche pas bien sûr les discussions poussées. Les échanges sont parfois très directs et collaboratifs, on partage littéralement son écran, sur un plan assez intime.

Et pour le reste?
Le travail est bien entendu différent, en particulier le résultat produit. Les étudiants ne rendront pas un projet illustré par des moyens architecturaux classiques – le dessin et la maquette –, mais une présentation numérique où les questions de contenu, les analyses et la recherche pourront jouer un rôle plus significatif et équitable qu’auparavant dans de nombreux projets de diplôme.
Ce peut être un atout, en dépit de nombreux points négatifs comme l’absence d’échanges habituels entre étudiants au sein de l’atelier, puis au moment du grand final avec le grandiose laboratoire de maquettes dans notre foyer. Tout cela manque. Nous essayons bien sûr de faciliter les connexions entre les étudiants, mais une «Zoom party» n’est pas vraiment une fête...

Le virus nous force à rester à la maison et nous place face à un nouveau type de frontière, celle des murs de notre domicile. En quoi cela change-t-il notre perception de l’habitat?
Durant les réunions virtuelles, on n’aperçoit pas seulement des bibliothèques et des plages virtuelles en arrière-plan, mais aussi des carreaux de cuisine, des lucarnes et des piles de vêtements. Il est intéressant de voir comment les personnes doivent vivre, mais aussi travailler. Avec ce long séjour domestique forcé, nous prenons douloureusement conscience de l’importance cruciale de notre logement comme espace vital. De manière générale, nous serons à l’avenir amenés à nous confronter davantage au thème de la relation habitat-travail.


Muck Petzet est architecte, curateur et professeur à l'USI depuis 2014. Il a enseigné à la Hochschule de Vaduz et à la TU de Munich. Il a étudié la philosophie à la LMU de Munich et l'architecture à la HdK de Berlin et à la TU de Munich. Après avoir travaillé chez Herzog & de Meuron à Bâle, il a fondé son propre bureau à Munich en 1993. Depuis 2013, il exerce également à Berlin. En 2012, Muck Petzet a été commissaire du pavillon allemand de la 13e Biennale de Venise.

Entretien réalisé le 17 avril 2020

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