«Je crains un ef­fet re­bond et une ac­cé­lé­ra­ti­on de l'é­tape d'a­près-cri­se»

Dans sa réflexion personnelle sur la crise internationale que nous traversons, l'architecte Simon Chessex nous parle de ralentissement et d’accélération, pour admettre que le temps de dilatation entre ces deux étapes est au profit de la consommation lente de l’architecture. Il s’interroge s’il n’est pas nécessaire de réintroduire dans le travail de l’architecte, la notion de «slowness».

Publikationsdatum
27-03-2020

La culture du bâti face à l’urgence du Covid-19. La parole à Simon Chessex, associé du bureau genevois Lacroix Chessex.

espazium.ch : Quelles mesures avez-vous mises en place pour poursuivre votre activité?
Nous avons instauré le télétravail pour l’ensemble de nos collaborateurs. Un système qui marche particulièrement bien et pour lequel nous avons dû adapter l’organisation de notre bureau qui n’utilisait pas cette forme de travail auparavant.

Sur quels aspects du métier concentrez-vous le travail de votre bureau en ce moment?
Dans notre cas, ce ralentissement n’est pas mal tombé. Nous comptions lancer plusieurs concours et cette bulle d’air nous permet de le faire sans les urgences habituelles du métier.

Nous allons également profiter de ce temps de dilatation pour nous concentrer sur des tâches de communication (site Internet, plans pour publications, etc.) dont nous ne trouvions jamais le temps de nous occuper pleinement.

Après avoir rendu quatre bâtiments en fin d’année dernière, nous avons de nouveaux projets qui démarrent et nous concentrerons également une partie de nos énergies sur ces phases d’avant-projet, autorisations et soumissions. Ces phases n’engagent pas énormément d’acteurs externes ce qui nous permet de travailler d’une manière relativement autonome en ce moment.

Quelles sont les conséquences de ce ralentissement pour vos mandats et études en cours?
Nous avons immédiatement demandé une réduction d’horaire de travail (RHT) pour réduire notre masse salariale, en adaptant les demandes de RHT à la situation professionnelle de chaque employé. Néanmoins, il faut encore attendre la validation des autorités. Pour le mois d’avril, nous ne sommes pas inquiets car les honoraires des mois précédents viendront combler la situation, mais si cette crise évolue défavorablement – confinement plus strict, arrêt des activités non essentielles, etc. – les choses risquent de se compliquer pour les structures comme la nôtre.

Nos clients ont compris la situation et jouent le jeu en faisant le dos rond. Certains projets se sont mis en pause mais, pour l’instant, il n’y a aucune rupture de contrat. Nous espérons vivement que cette situation se maintienne. Chose très appréciable compte tenu des difficultés que nous traversons.

Que pouvons-nous apprendre de cette crise? Va/doit-elle amener des changements dans l'organisation du métier?
C’est beaucoup trop tôt pour tirer des conclusions en fonction de l’évolution de la situation. Si tout repart à fond au mois de juin ou si la situation perdure après l’été, les conséquences seront très différentes.

Ce que je crains, c’est que cette pause forcée, une fois qu’elle sera passée, risque de provoquer encore plus de consommation frénétique, de besoin de loisirs, de déplacements en avion, de frénésie acheteuse, etc. On pourrait se retrouver dans un rythme encore supérieur à ce qu’il y avait avant le confinement. Tout le monde voudra récupérer le temps «perdu». Et en ce qui concerne le travail, ça risque de redémarrer encore plus rapidement. Donc à priori, je ne vois pas à ce jour de changements profonds dans le métier si ce n’est cet effet rebond et une accélération du travail dans les étapes d’après-crise.

En termes d’organisation, peut-être qu’il y aura plus de télétravail – beaucoup de personnes l’apprécient – mais mon expérience me dit que chez nous ça fera l’effet inverse et que les personnes auront plutôt envie de resserrer les liens et passer du temps ensemble.

Comme spécialiste de l'espace, est-ce que cette adaptation vous amène à repenser la notion d'espace et d’habitat?
Par notre confinement, nous serons d’avantage confrontés aux espaces intérieurs en relevant les avantages de l’architecture de qualité, et inversement, en exposant les pénuries et les défauts d’une grande majorité de l’architecture «de masse». Cette situation va mettre en exergue la disparité entre «bonne» et «mauvaise» architecture.

D’une autre part, j’ai la sensation que la notion d’open-space pourrait être remise en question. Il se pourrait que nous tendions davantage vers des typologies de pièces fermées où règne une sorte de tranquillité perdue dans les plans et les distributions que nous construisons de nos jours. Mais je ne vois pas de révolution typologique majeure suite à cette pandémie.

Comment procédez-vous sans la dimension physique du travail présentiel de bureau, notamment maquettes, croquis à la table, etc.? Est-ce que les nouvelles technologies sont substitutives de cette dimension matérielle?
La technologie nous permet de continuer à travailler en toute liberté, certes avec un léger ralentissement. Mais globalement, le télétravail n’est pas une mauvaise solution pour des discussions à distance.

Néanmoins, pour certains types de projets, notamment les concours, nous poursuivons l’activité au bureau avec une partie de nos employés en réalisant des maquettes et un suivi plus rapproché des projets. Bien entendu, nous respectons impérativement les mesures de protection dictées par les autorités sanitaires cantonales et fédérales.

Pour le domaine de la culture du bâti, y-a-t-il des aspects positifs qui peuvent être tirés de cette décélération sociale et humaine?
Pouvoir prendre du temps. Nous étions dans une telle frénésie que toute tâche était une urgence. Le fait de lever le pied et prendre du temps suppose un vrai soulagement. Pour certains projets, nous faisions les soumissions en même temps que le suivi du chantier et aujourd’hui nous pouvons récupérer ces décalages. Il faut profiter de cette bulle d’oxygène pour respirer quelques semaines. Mais nous sommes conscients que faire les choses tranquillement est un luxe absolu dans notre profession.

En 1999, Tod Williams avait écrit un essai théorique sur la lenteur1 qui me semble tout à fait d’actualité en ce moment. Cette crise peut justement révéler qu’en architecture toutes les étapes prennent du temps – réflexion, projet, construction, publication – et qu’il serait nécessaire d’inclure davantage cette notion de «slowness» dans notre travail. Le stress permanent n’induit souvent qu’une multiplication des erreurs.

Note

  1. On Slowness, Tod Williams & Billie Tsien - 1999. Essai pour la revue 2G, éditorial Gustavo Gili.

À propos de:

 

Simon Chessex (1975)

Diplômé de l’EPFL en 2001, il a travaillé 3 ans chez H&deM avant d’ouvrir le bureau Lacroix Chessex en 2005, qu’il co-dirige avec Hiéronyme Lacroix. Président de la Maison de l’architecture de Genève de 2015 à 2019, il est professeur de projet d’architecture à la HEIA-Fribourg depuis 2019.

 

Lacroix Chessex

Année de création du bureau: 2005

Nombre d’employés: 30ene

Réalisations principales: Maison des Etudiants – Genève (2008-12), Maison aux Jeurs – Trient (20011-13), Maison Sandmeier, Veyrier (2011-14), Crèche à La Chapelle-Les Sciers – Lancy (2011-15), Immeuble de logements – St. Sulpice (2011-16), Logements sociaux et crèche – Paris (2014-2019).

 

Dossier COVID-19 - Liste des témoignages:

La culture du bâti face à l’urgence du Covid-19 - La parole aux professionnels

La crise sanitaire et économique que nous traversons actuellement frappe l'ensemble des secteurs professionnels et notamment celui du bâti. Pour évaluer l'impact de cette urgence dans le domaine de l'architecture, Espazium donne la parole aux professionnels du domaine afin qu’ils témoignent de manière personnelle de leur nouvelle organisation, de leur difficulté et – puisque toute crise révèle les forces mais également les failles des systèmes – qu’ils nous fassent part de leurs réflexions sur leur métier. Pour ne pas oublier, et dans l’espoir que ces témoignages aideront à mener une véritable réflexion de fond afin que tout ne redevienne pas comme avant une fois que le virus aura été vaincu.

 

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