Les gé­os­truc­tures éner­gé­ti­ques: une éner­gie re­nou­velable sous nos pieds

Le Laboratoire de mécanique des sols (LMS) de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) a fait œuvre de pionnier dans le domaine des géostructures énergétiques. Récemment récompensé par la Fondation de la Banque Cantonale Vaudoise pour ses développements techniques dans ce domaine, il s’engage pour la diffusion à large échelle de ce procédé.

Publikationsdatum
07-11-2018
Revision
08-11-2018

La part des bâtiments représente environ 40 % de l’énergie consommée aujourd’hui au niveau mondial. En fonction des pays, 60 à 80 % de cette énergie est utilisée pour le confort thermique des locaux et la production d’eau chaude. Le recours à des énergies fossiles pour cette production de chaleur est responsable d’une grande partie des émissions de gaz à effet de serre. Minimiser l’impact environnemental du bâti est donc primordial ; les géostructures énergétiques représentent une piste intéressante pour y parvenir.

Le principe en est simple : exploiter l’énergie thermique naturellement présente dans le sol (voir encadré La Terre cette machine thermique) grâce à des ouvrages en contact avec celui-ci (fondations d’immeubles, parkings, etc.). Dès quelques mètres de profondeur, la température du sol n’est plus affectée par les conditions extérieures et leurs variations saisonnières : à partir d’une profondeur donnée, elle reste constante. Il est donc possible d’exploiter cette énergie tout au long de l’année, quels que soient les caprices de la météo et ce de manière durable.

Par rapport aux autres systèmes géothermiques, le principal avantage de cette technologie réside dans son intégration dans des structures indispensables à la réalisation d’un projet de construction. Les pieux en béton, par exemple, sont équipés de tubes en plastique avant d’être coulés ; il suffit dès lors d’y faire circuler de l’eau pour échanger de la chaleur avec le sol. En hiver, l’eau se réchauffe en captant la chaleur du sol et approvisionne les bâtiments en chauffage. En été, l’eau se refroidit au contact du sol et rafraîchit les bâtiments. La technologie peut ainsi couvrir jusqu’à 70 % des besoins énergétiques des bâtiments au moyen d’énergie renouvelable. Son efficacité est encore accrue si une pompe à chaleur est couplée aux pieux.

En ajoutant un rôle énergétique au rôle structurel des fondations, les géostructures énergétiques permettent d’optimiser et de multiplier les usages de chaque nouvelle construction, tout en exploitant au maximum les ressources environnementales durables.

Additionner les fonctions structurelles et thermiques


En puisant les ressources énergétiques sur les lieux des constructions, potentiellement dans un rayon de 500 mètres, cette innovation répond aux nouvelles directives européennes et internationales pour des édifices neutres en carbone, voire à énergie positive. Parkings, gares souterraines et même tunnels peuvent servir à des fins énergétiques et bénéficier d’une technologie capable de délivrer de la chaleur mais aussi de dégivrer le bitume des routes ou d’une piste d’aéroport, ou encore, à de plus larges échelles, d’assurer l’alimentation d’un chauffage urbain ou le stockage de chaleur. A des coûts comparables aux autres solutions énergétiques, un quart des nouvelles constructions, en Suisse comme ailleurs, pourraient ainsi être équipées au cours des prochaines années.

Une technologie peu onéreuse


L’énergie puisée dans le sol est gratuite et renouvelable. Les géostructures énergétiques étant directement intégrées aux indispensables fondations, elles permettent de substantielles économies en comparaison avec d’autres technologies. Contrairement à de simples sondes géothermiques, on évite non seulement les coûts liés à des forages supplémentaires, mais aussi une perte de surface et de terrain à bâtir.

En comparaison avec des fondations classiques, le surcoût de la construction lié à cette technologie est très faible. L’installation des tuyaux dans les géostructures est rapide, et l’investissement vite amorti grâce à la production d’énergie. En revanche, les coûts associés à la maintenance d’une pompe à chaleur doivent être pris en compte. Mais ceux-ci peuvent être amortis en quelques années seulement.

Du laboratoire à la pratique


Il y a 20 ans, l’EPFL réalisait les premiers tests de pieux énergétiques sur son campus. En 2003, c’est au tour du terminal E de l’aéroport de Zurich d’être équipé de plus de 300 pieux énergétiques. Depuis, le LMS est parvenu à amener cette innovation à maturité et joue un rôle majeur dans l’essor de cette technologie, aujourd’hui mondialement reconnue. En Suisse, une centaine de constructions ont fait le pas. Depuis plusieurs années maintenant, ce sont les dalles, les gares et les tunnels qui suscitent l’intérêt des spécialistes. Le LMS intervient comme expert dans de nombreux projets internationaux et contribue au développement des géostructures énergétiques, notamment grâce au bureau d’ingénieurs conseils GEOEG. Cette spin-off transfère son expertise afin de proposer des solutions adaptées et optimisées à chaque étape de l’ouvrage, depuis le soutien à la conception architecturale, au monitoring d’optimisation énergétique, en passant par les dimensionnements structurels et géotechniques nécessaires à la prise en compte des variations thermiques dans les ouvrages. L’intégration de géostructures énergétiques dans un projet de tour reposant sur un parking souterrain de 7 étages dans la Principauté de Monaco, ou encore dans une construction souterraine de 1 km de long en Corée du Sud, est actuellement à l’étude.

Le développement de cette technologie passe aussi par la formation. En 2016, première mondiale, un cours sur les géostructures énergétiques était donné aux étudiants en génie civil de l’EPFL. Son but était d’initier les futurs ingénieurs à l’analyse et au dimensionnement des géostructures énergétiques et connaît depuis un vrai succès. En effet, plusieurs projets de diplôme master EPFL ont été réalisés en collaboration avec différents bureaux de la région. Ils ont permis aux futurs ingénieurs civils de travailler sur des projets concrets tout en apportant l’expertise de l’EPFL aux bureaux d’ingénieurs conseils. A titre d’exemple, en Suisse et en France, ces trois derniers semestres, des travaux ont été réalisés sur la faisabilité technique de la mise en place de géostructures énergétiques dans des gares et des tunnels, pour des projets de grandes infrastructures, ainsi que pour une tranchée couverte d’une nouvelle ligne de chemin de fer.

Auteurs:
Margaux Peltier, ingénieure civile EPF
Alessandro Rotta Loria, Dr Sc. EPF
Lyesse Laloui, prof. Dr Sc., Laboratoire de mécanique des sols de l’EPFL

 

 

La terre, cette machine thermique

La chaleur émise par la Terre est d’origine interne. Dans la croûte terrestre continentale, d’une épaisseur moyenne de 30 kilomètres, le gradient géothermique est d’environ 30° C/km, ce qui explique la température régnant au cœur d’un tunnel comme celui du Gothard ou d’une mine profonde. Cette chaleur est principalement produite par la désintégration radioactive d’éléments comme l’uranium, le potassium ou le thorium dans les roches du manteau et de la croûte terrestres. Mais une autre partie de cette chaleur a pour origine la formation même de la Terre : par accrétion, soit la violente capture gravitaire de corps célestes attirés par la proto-Terre. L’énergie cinétique de ces différents corps s’est transformée en chaleur lors d’innombrables collisions. C’est cette machine thermique interne qui fait de la Terre une planète tectoniquement active, au contraire de son satellite sœur, la Lune, froide et figée depuis bien longtemps.

Dans certains contextes tectoniques, par exemple au-dessus d’un point chaud ou le long d’un rift continental, la croûte terrestre est plus mince et le gradient géothermique plus élevé, offrant un terrain plus favorable à la géothermie. C’est précisément un rift qui explique à la fois le potentiel géothermique et le risque sismique de la région bâloise, ainsi que la présence des volcans éteints du Hegau (vieux de 6 mio d’années) et du Kaiserstuhl (vieux de 18 mio d’années) au sud-ouest de l’Allemagne, entre le lac de Constance et le coude du Rhin à Bâle. Sous le Kaiserstuhl, situé entre Bâle et Fribourg-en-Brisgau, l’épaisseur de la croûte terrestre est inférieure à 24 km.

 

Symposium sur l’Énergie en Géotechnique

Du 25 au 28 septembre dernier, plus de 250 personnes issues de 35 pays se sont réunies au SwissTech Convention Center de l’EPFL à l’occasion du Symposium sur l’énergie en géotechnique organisé par le prof. Lyesse Laloui, directeur du LMS de l’EPFL.

Durant ces quatre jours, de nombreux sujets liés à la géotechnique énergétique ont été discutés entre scientifiques, praticiens et représentants des autorités. Les géostructures énergétiques, la stimulation hydraulique, la séismicité induite, les hydrates de gaz, le stockage de déchets nucléaires et la séquestration de CO2 ont été les sujets phares de cette manifestation.

Les participants ont de plus eu l’opportunité de participer à un cours intensif organisé dans le cadre de l’Action Européenne COST TU 1405 How to plan a successful thermoactive geostructure design ?, ainsi qu’à un forum consacré à l’innovation et au transfert technologique – une plateforme adressée aux praticiens, ingénieurs et chercheurs, visant à encourager la discussion sur la construction des systèmes d’infrastructures durables et les technologies de demain. Le symposium a été suivi d’une visite au laboratoire souterrain du Mont Terri, projet international de recherche pour la caractérisation hydrogéologique, géochimique et géotechnique de la formation argileuse du Jura suisse.

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