Le pont de Té­ré­nez, ou l’Art de la cour­be

D’une portée de 285 m, le pont de Térénez (Finistère) est le plus grand pont à haubans courbe du monde. Mais c’est davantage la réponse élégante que sa géométrie audacieuse apporte aux contraintes du site qui lui vaut une place dans Tracés, six ans après sa mise en exploitation

Publikationsdatum
28-03-2017
Revision
01-04-2017

Les plus belles découvertes se dévoilent parfois là où l’on s’y attend le moins. Le pont de Térénez s’est offert à mes yeux à la sortie d’une forêt, aussi insoupçonné qu’inattendu : une fine courbe à droite lancée au-dessus de l’estuaire de l’Aulne à marée basse, le jeu des haubans s’entrecroisant dans la lumière d’un matin d’octobre et ces deux lambdas de béton, immenses et bienveillants. 515 m d’une architecture aussi audacieuse que parfaitement intégrée dans le site, parcourus la bouche et les yeux grand ouverts – par chance je n’étais pas au volant !

Dialogue entre architecte et ingénieur


Les qualités esthétiques de l’ouvrage n’ont rien d’un geste gratuit ou d’une extravagance formelle. Elles sont le fruit des contraintes propres au site et aux réalités de la physique, transcendées par le duo architecte/ingénieur Charles Lavigne et Michel Virlogeux qui n’en était pas à son coup d’essai puisqu’il est, entre autre, à l’origine du pont de Normandie. Les spécialistes ne s’y sont pas trompés, puisqu’ils ont décerné le World Infrastructure Award 2013 au pont de Térénez.

Un site, trois ponts


Le pont de Térénez enjambe les méandres de l’Aulne entre Argol et Rosnoën, sur la route départementale 791 (D 791) qui relie Crozon au Faou (carte). Il permet d’éviter un détour de 47 km pour rejoindre le Nord-Finistère. Le site a vu se succéder trois ponts depuis 1925. Avant cela, la traversée de l’Aulne se faisait par bacs : courants et marées ont généré de nombreux accidents. Le premier pont a été construit entre 1913 et 1925. D’une longueur de 350 m, dont 272 m pour la portée principale, il était à l’époque le plus grand pont suspendu d’Europe. Il a été détruit, en août 1944, par des bombes à la nationalité incertaine lors de l’avancée des troupes alliées. Un deuxième, reprenant les piles du premier et aux mensurations identiques, a vu le jour en 1952. La pénurie de matériaux de qualité à cette période de reconstruction d’après-guerre fait qu’il contracte alors la RAG (réaction alcali-granulat). Les autorités le placent sous surveillance dès 1992 et décident en 1998 de construire un troisième pont1.

Les études de conception du nouveau pont démarrent en 1998 sous la houlette de Michel Virlogeux (ingénieur consultant) et Charles Lavigne (architecte), avec le Service d’études techniques des routes et autoroutes (SETRA) comme maître d’œuvre. Suite au décès de son père en 2005, Thomas Lavigne reprend le flambeau avec Christophe Cheron. L’étude de nombreuses variantes sur l’emplacement du pont débouche sur la décision de réaliser le nouvel ouvrage à proximité immédiate de l’existant, 200 m environ en aval. Pour limiter son impact environnemental et visuel dans le site, ses concepteurs choisissent d’implanter les piles uniquement sur les rives et donc de franchir les 300 m du lit de l’Aulne au moyen d’une superstructure de type pont à haubans, jugée mieux adaptée qu’un pont suspendu au vu des techniques actuelles.

Une logique toute en courbes


Les premiers travaux portent sur un pont haubané au tracé rectiligne. Mais cette variante imposerait des virages à 90° pour raccorder l’ouvrage à la route de part et d’autre de la rivière. Cette configuration était déjà présente sur l’ancien pont et posait de sérieux problèmes de sécurité, les camions devant mordre conséquemment la voie de gauche pour négocier les virages. Adoucir ces angles impliquant de courber la route, la réalisation d’un pont courbe s’est progressivement imposée. En plan, le tracé définitif est à l’image d’un fer à cheval comprenant trois rayons différents : des rayons de l’ordre de 200 m pour les travées de rive et 800 m pour la travée principale au-dessus de l’Aulne.

Un pont à haubans courbe implique ensuite des études poussées, notamment pour bien gérer la problématique du gabarit routier du fait de la courbe et de l’inclinaison des haubans et, sur un plan technique, par la conception du tablier et des pylônes qui nécessitent des essais en soufflerie.

Le tablier en béton précontraint se compose de deux nervures placées à l’extérieur des voies automobiles et reliées par des entretoises en béton supportant la dalle (image). En forme d’assiette de 1.30 m d’épaisseur totale, ce tablier est d’une grande finesse et d’une grande légèreté. Afin d’en affiner encore la perception, les voies réservées aux piétons et cyclistes sont placées en encorbellement sur des dalles positionnées en partie basse, à l’extérieur des nervures. Pour régler les problèmes de gabarit, les nervures s’évasent sur les travées de rives : le tablier y est donc de largeur variable.

Des pylônes pas si lambdas


Un autre élément spectaculaire du pont de Térénez tient à la géométrie particulière de ces deux pylônes, dont la forme a fortement évolué au fil de l’avancée du projet avec toujours le souci de travailler dans le sens des efforts afin d’alléger au maximum l’ouvrage. Dans les premières études, le pylône avait une forme de lyre. Avec l’arrivée de la courbure, le dessin du pylône s’est rapproché d’une forme en A. Les études menées par le SETRA et Michel Virlogeux ont alors montré que, du fait de la courbure de l’ouvrage, 90 % des efforts passaient dans la jambe intérieure de la courbure. Les concepteurs ont ainsi eu l’idée de supprimer une des jambes du A pour retenir un pylône en forme de lambda. Le pylône est donc incliné, tout comme la double nappe de haubans et surplombe en porte-à-faux le tablier (croquis, coupe et image).

Au droit du tablier, où les piétons et les cyclistes passent à l’extérieur du pylône (image), les architectes ont préféré une variation douce et courbe à un balcon ponctuel pour s’en écarter. Au final, ce travail général sur les courbes confère au pont de Térénez cohérence et élégance.

 

Le pont de Térénez en chiffres

Longueur du tablier : 515 m
Travée principale : 285 m
(record du monde pour un pont à haubans courbe)
Hauteur des pylônes : 99 m
72 paires de haubans
12 500 m3 de béton
2300 tonnes d’acier
Montant : 41.5 millions d’euros
Maître d’ouvrage : Conseil Général du Finistère
Concepteurs : Michel Virlogeux, SETRA, Lavigne Cheron Architectes
Entreprise mandataire : VINCI Construction
Début des travaux : 2007
Mise en service : 17 avril 2011

 

Note

1 Inutilisé depuis l’ouverture du nouvel ouvrage, celui de 1952 est détruit entre 2014 et 2015. Seules demeurent les anciennes arches aménagées en belvédères permettant d’admirer ce « pont du bout du monde ».

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