«Les pro­je­ts de coo­pé­ra­ti­ve ont une in­fluen­ce sur la fa­bri­que de la vil­le»

Après avoir participé à dix concours, conçu deux projets et avoir été membre de plusieurs jurys pour des coopératives d’habitation, le bureau lausannois TRIBU architecture va mettre en place sa propre structure coopérative. L’objectif est
de pouvoir réaliser des projets qui répondent à l’idée très précise qu’ils se font d’une coopérative. Entretien avec Laurent Guidetti, l’un des trois fondateurs du bureau

Data di pubblicazione
18-09-2014
Revision
25-10-2015

Tracés : TRIBU architecture va bientôt monter sa propre coopérative. Pourquoi ? 
Laurent Guidetti : A la base de cette initiative, il y a un constat. Celui de l’incapacité des concours, tels qui sont gérés et menés actuellement, de répondre aux vrais enjeux des projets de coopératives et de logement d’utilité publique. Ces derniers ne doivent pas être jugés sur l’aspect formel, sur des coupes au vingtième ou sur la matérialité des façades, comme c’est le plus souvent le cas, mais sur l’aptitude à créer de nouvelles typologies, de nouveaux processus de projet et de nouvelles façons de vivre. Les questions fondamentales sont bien souvent noyées dans la base réglementaire habituelle et la mise en concurrence ne se fait pas au niveau des idées et de l’inventivité. Il ne s’agit pas d’abolir les concours pour ce type de projet, mais de réfléchir à une nouvelle façon de les réaliser.

Ce constat est-il forcément basé sur une idée précise de ce que doit être une coopérative ?
En effet. Et je pense qu’il est nécessaire de différencier les coopératives d’habitation et de celles d’habitants. La Ville de Lausanne a introduit cette dernière notion en 2007, sans qu’elle soit clairement définie. Elle ne repose sur aucune base légale. Les coopératives d’habitation comme la Société Coopérative d’Habitation Lausanne ou encore Cité Derrière ont un objectif principal : mettre sur le marché des logements bon marché, à prix coûtant. Issues bien souvent du logement ouvrier monofonctionnel de 1930 et de la conception moderniste de la ville, ces coopératives ont de la difficulté à se réinventer et à imaginer d’autres façons de penser l’habitat et la ville. 
Par contre, les coopératives d’habitants, et là on se rapproche du modèle de Kalkbreite, assument le même objectif mais reposent en plus sur l’implication des habitants dès le début du projet. Ce processus peut avoir des conséquences inattendues sur ce dernier. Nous en avons fait l’expérience sur un projet de la Coopérative de l’habitat associatif (Codha) à Chailly ; projet longtemps bloqué par des oppositions à répétition. Pour la conception de treize logements, nous avons mis en place une démarche participative intégrant les habitants dès l’avant-projet. Alors qu’il était parti sur l’idée d’un bâtiment en bois, le sous-groupe « matériaux », tout autant pour des raisons économiques qu’écologiques, a admis que le projet se construirait en béton recyclé avec chape apparente. Cette implication presque politique de l’habitant est déterminante. La réduction de la surface habitable par habitant de 50 m2 à 33 m2 à Kalkbreite a très certainement été décidée par les habitants. Face aux défis de l’étalement urbain, c’est un vrai geste politique. 

Nouvelle typologie d’habitat répondant aux évolutions de la société, coûts réduits et forte implication des habitants seraient donc pour vous les caractéristiques d’une coopérative idéale ? 
Avec le fonctionnement démocratique de ces structures, ça en forme la base. Mais le projet idéal intègre encore d’autres qualités que l’on pourrait résumer par la mutualisation et la complémentarité des fonctions. En effet, si la mixité fonctionnelle est primordiale, elle ne doit pas être pensée comme une addition de programmes différents et déconnectés les uns des autres. Des synergies doivent être recherchées. Il ne s’agit pas d’occuper bêtement les rez-de-chaussée par des commerces, mais de réfléchir à la complémentarité des services offerts. Prenons un exemple tout simple. D’une manière générale, les coopératives sont sensibles à la mobilité douce. Il n’est donc pas dénué de sens d’imaginer installer un magasin de vélos dans le projet. Le gérant pourrait également offrir un atelier de réparation, donner des cours d’entretien basique et s’occuper de la vélostation à côté de laquelle le magasin aurait été judicieusement placé. Des synergies doivent être recherchées. Réaliser une coopérative, c’est aussi réfléchir à son exploitation. C’est un point très important. C’est la même démarche pour la mutualisation des services. Quels sont les services que les habitants sont prêts à sortir de leur appartement et à partager avec le reste des habitants de l’immeuble, voire du quartier ? Ces réflexions ont un impact fondamental sur la manière de penser et de concevoir le projet. 

Les coopératives permettent de proposer de nouvelles typologies d’appartement, de nouvelles façons de concevoir l’unité de voisinage. Qu’en est-il à l’échelle du quartier, voire de la ville ? 
Les projets de coopérative ont une influence sur la fabrique de la ville. Quand je vous dis qu’il est important de penser à l’exploitation de la coopérative, j’intègre aussi son plan financier. Les coopératives devraient pouvoir réussir à offrir des services que les villes, de plus en plus endettées, n’arrivent pas ou plus à proposer. Et pour que cela soit économiquement viable, il faut être très ingénieux au niveau du montage financier. A l’inverse de la ville capitaliste, un bon projet de coopérative doit pouvoir proposer une urbanité dans laquelle l’économie est au service du citoyen. 

Laurent Guidetti est architecte, diplômé de l’EPFL en 1997. En 2000, avec Alvaro Varela et Christophe Gnaegi, il fonde TRIBU architecture, bureau qui exerce dans trois domaines d’activité : l’architecture, la planification et la communication de l’architecture auprès du public. En 2006, TRIBU est lauréat de la Distinction romande d’architecture pour son programme de sensibilisation à l’environnement construit.

 

 

Les projets de coopératives

TRIBU architecture, avec Atelier Cube, a conçu pour la société coopérative Le logement idéal un immeuble de 27 logements subventionnés, qui abrite aussi un service de consultation psychiatrique ambulatoire et trois classes pour enfants allophones (www.tribuarchitecture.ch/node/13). 
Le bureau lausannois va aussi réaliser deux immeubles de treize logements durables en bail associatif à Lausanne, pour la Coopérative de l’habitat associatif (Codha) (www.tribuarchitecture.ch/node/24). 

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