Zu­rich: l’in­croya­ble dy­na­mi­sme des coo­pé­ra­ti­ves de lo­ge­ment

A Zurich, les coopératives de logement sont de retour. La France, confrontée à des difficultés de gestion de son parc de logements sociaux, observe ce phénomène avec intérêt. L’idée que le logement « bon marché » puisse être autofinancé commence à faire son chemin et de nombreuses villes s’y mettent aussi. Tracés publie, en complément des articles de Ruedi Weidmann et Thomas Ekwall, des extraits d’un dossier réalisé par Dominique Boudet pour le numéro de septembre de la revue française d'a

Data di pubblicazione
18-09-2014
Revision
25-10-2015

Propriétaires de quelque 60 000 logements, assis sur un patrimoine foncier sous-densifié, les coopératives de logement zurichoises ont repris depuis dix ans un nouveau dynamisme, qui se traduit par une remarquable production architecturale. Et compte tenu de leur patrimoine foncier, le processus de transformation engagé depuis quelques années devrait se poursuivre. Mais avant d’expliquer par quels mécanismes s’est produite cette mutation, il est nécessaire d’expliquer comment les coopératives de logement ont acquis cette importance à Zurich.

Plus de logements avec moins d’argent


Les coopératives de logement à Zurich sont nées au début du 20e siècle pour faire face à une pénurie de logements. Le principe de fonctionnement est simple : des personnes se groupent, fondent une coopérative dont ils sont actionnaires, laquelle société construit des logements qu’elle loue à ses membres. Etant sans but lucratif, elle loue ses logements moins chers que le prix du marché. Ces sociétés se sont particulièrement développées avant et après la Seconde Guerre mondiale en bénéficiant du soutien de la Ville : plutôt que de construire elle-même des logements, la Ville de Zurich a préféré mettre à la disposition des coopératives des terrains lui appartenant. Ceci explique en partie le grand nombre de logements coopératifs : on y trouve 60 000 des 140 000 logements coopératifs de toute la Suisse1. Toujours à Zurich, 25 % des logements seraient la propriété d’organismes sans but lucratif, fondations ou coopératives. En 2011, sous la pression des habitants, la Ville a accepté le principe de porter cette proportion à 33 % d’ici 2025. 

Une renaissance


Le vieillissement du parc de logements coopératifs existant représente un véritable potentiel de développement. Ceux construits dans les années 1930 et 1940 sont en décalage avec les standards actuels. Cela concerne tant la superficie, les normes et le confort que les exigences environnementales. Le véritable trésor des coopératives, c’est leur patrimoine foncier en attente de renouvellement. La conjonction d’une crise du logement, de l’activisme de quelques citoyens déterminés et de l’intervention de la Ville va réveiller les coopératives. En quelques années, elles vont redevenir un vecteur de l’innovation aussi bien sur le plan urbain, architectural que social. « Jusqu’en 1996, reconnaît Peter Schmid2, les coopératives étaient endormies. Mais en dix ans, elles sont devenues des partenaires actifs de la transformation de la ville. »

De l’activisme radical à la maîtrise d’ouvrage


Dans les années 1990, on a construit très peu de logements, quelques centaines par an. Les taux d’intérêts élevés y contribuaient. Mais il y avait aussi des tabous politiques : il n’était pas accepté de démolir pour reconstruire. 
Dans le même temps, quelques activistes de la révolution culturelle des années 1980, très vive à Zurich, ont pris le logement comme terrain de contestation et d’action. « Les contestataires sont devenus des entrepreneurs sociaux. Dreieck et Kraftwerk 1 sont deux de leurs hauts faits. Pour Dreieck, des squatteurs se sont opposés à la destruction d’immeubles, ont fondé une coopérative démontrant à la ville qu’on pouvait les sauver et constituer un ensemble vivant avec quelques extensions. Finalement, la ville leur céda le terrain. Dans le cas de Kraftwerk 1, de jeunes architectes, écrivains, artistes réussirent à installer sur une friche ferroviaire un projet innovant mixant des logements offrant une forme de colocation, quelques bureaux, un jardin d’enfant, des ateliers.
Enfin, la Ville donna l’impulsion qui allait faire bouger les coopératives. Il y avait urgence : rareté des logements, loyers élevés, les familles ne trouvaient plus à se loger et fuyaient vers d’autres communes moins chères, plus dynamiques sur le plan urbain. Pour la Ville, cela se traduisait par un risque de déséquilibre social et de perte de recettes fiscales. Une nouvelle municipalité s’est fait élire sur un programme de 10 000 logements en dix ans. En mettant à la disposition des coopératives les derniers terrains disponibles, la relance de la construction de grands logements s’est faite à moindre coût pour la Ville. 

Démolir ?


Progressivement, le mouvement a pris de l’ampleur. Si les facteurs positifs de cette mutation sont visibles, beaucoup reste à faire. En 2012, la Ville a publié une étude qui mesurait l’évolution de la densité sur 30 opérations, dont 25 étaient le fait de coopératives3. Une augmentation est réelle, mais reste mesurée. En moyenne, le coefficient d’occupation des terrains est passé de 0,4/0,8 à 1,0/1,5.
Mais l’important est que cette densification n’a pas altéré l’une des caractéristiques de ces territoires : leur porosité. La ville poreuse, chère à Bernardo Secchi, est ici préservée. En exagérant à peine, on peut pratiquement traverser la ville du nord au sud en passant au travers des ensembles de logements.
Autre constat : la presque totalité de cette densification s’est faite par démolition et reconstruction. Parfois, afin de préserver une certaine mixité sociale, la démolition a été partielle, les anciens bâtiments étant restaurés pour les adapter à un autre type d’occupants (jeunes couples ou au contraire retraités), les nouveaux accueillant des familles.

Triple rupture


Ces nouvelles opérations ont été l’occasion d’une triple rupture. D’abord avec la formule stéréotypée de l’alignement de bâtiments parallèles issu des Siedlungen d’après-guerre. On a vu apparaître des schémas d’implantation originaux, cherchant à éviter les vis-à-vis, à diminuer l’impact visuel des nouvelles constructions, à diversifier les perspectives et les lieux, à réactiver le rapport à la rue. Deuxième rupture : la forme canonique de la swiss box laisse de plus en plus souvent la place à des formes moins systématiquement orthogonales, plus fluides, répondant à une recherche de spatialité différente. Troisième rupture : l’abandon de la séquence jour-nuit. La typologie standard serait plutôt un grand espace libre – séjour + cuisine –, les chambres – lieux de l’intimité – étant comme des unités indépendantes ouvrant directement sur cet espace collectif. Des projets récents (Kraftwerk 2, Kalkbreite et Mehr als Wohnen) montrent que d’autres formes d’habiter sont en train d’émerger ou tout au moins d’être testées. Entre l’appartement classique et la colocation se situerait ce que l’on pourrait appeler une forme de cohabitation, ou de copartage : plusieurs couples occupent chacun un petit appartement mais partagent le salon, la cuisine, éventuellement la chambre d’amis. 
Si la typologie semble évoluer, l’expression architecturale reste inchangée ; on demeure dans des schémas formels très contrôlés. On trouvera difficilement ce qui fait les délices des architectes français : décalage de fenêtres, projection de volumes, façades en métal perforé. Les influences lointaines viennent plutôt d’Italie, comme par exemple les subtilités des revêtements en céramique vernissé d’un Caccia Dominioni, coqueluche de la jeune génération.

Vecteur du changement : les concours 


On ne saurait sous-estimer le rôle des concours dans cette évolution. Les coopératives ayant progressivement compris que les concours permettaient d’avoir de meilleures réponses, elles n’hésitent plus à en faire, en confiant de plus en plus l’organisation aux services de la Ville. Dix bureaux, parmi lesquels deux jeunes agences, étant mis en concurrence pour chaque projet, la compétition est rude. Ursula Müller, responsable de cette organisation, veille à maintenir la diversité en étant très attentive à la sélection. Grâce aux concours, de toutes jeunes équipes (pool Architekten, Patrick Gmür) ont pu être reconnues et avoir leur première grande commande. Plus récemment, ce sont deux très jeunes bureaux, Duplex et Futurafrosch, qui avaient fait équipe et ont été lauréats d’un concours ouvert pour le projet le plus emblématique des coopératives (lire article lié, "Mehr als Wohnen"). La composition du jury et la durée des débats (deux jours) permettent de faire accepter des projets ambitieux comme Triemli, Kalkbreite ou encore Gutstrasse.
Remarquable à beaucoup d’égards, cette densification par petites touches, cette reconstruction de la périphérie sur la périphérie par opération de 100 ou 150 logements trouve sa limite dans l’absence d’une véritable dimension urbaine. Toutes ces opérations confirment que la préoccupation sociale des coopératives demeure élevée. Mais si la mixité sociale reste satisfaite, la mixité fonctionnelle est, sauf exception, absente. Où sont les commerces, les services de proximité, les équipements culturels, les cafés qui feraient de ces ensembles de logements aussi des quartiers ? Intéressantes sont à cet égard des opérations comme Kalkbreite et surtout Mehr als Wohnen : « Plus que des logements ». Ses concepteurs veulent faire de cet ensemble de 470 logements un quartier. Mais déjà se profile une deuxième phase de la transformation des domaines de coopératives, laquelle pourrait poser avec une plus forte acuité la question de la ville : celle des grands ensembles de plusieurs centaines de logements. « Nous avons commencé par des concours pour des bâtiments, maintenant nous organisons des concours pour des masterplans », indique Peter Schmid. 
Si les terrains des coopératives sont des atouts pour le changement de la ville, il faut espérer qu’elles sauront faire mieux que les promoteurs privés à Affoltern, bien triste cité-dortoir aux confins nord de la ville.

Dominique Boudet, journaliste et critique d’architecture, a été directeur et rédacteur en chef du mensuel d’architecture AMC. Il a été à l’origine de la création du prix de l’Equerre d’argent et du Prix de la première œuvre, aujourd’hui reconnus comme les principaux prix d’architecture en France.

 

 

Notes

1. Données de la branche zurichoise de la Fédération suisse des coopératives de logement
2. Président des coopératives de logement de Zurich
3. Dichter, Eine Dokumentation der baulicher Veränderung in Zürich-30 Beispiele, Stadt Zürich Amt für Städtebau

 

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