Les via­ducs Eaux des Fon­tai­nes

Les viaducs Eaux des Fontaines du tronçon autoroutier Court–Tavannes de la N16 sont situés sur la commune de Court dans le canton de Berne. Projetés au sud du village, sur le flanc nord du Montoz, ils franchissent la dépression du ruisseau Fontaines. Avec leurs 540 m, ce sont les plus longs ponts autoroutiers de Suisse actuellement en construction.

Data di pubblicazione
24-05-2014
Revision
15-10-2015
Claude Broquet
Directeur Ingphi | Chef de projet adjoint de la réfection du viaduc de Riddes

En 2006, l’Office des ponts et chaussées du canton de Berne a lancé un appel d’offres avec élaboration d’un concept concernant les prestations d’ingénierie civile pour la réalisation des viaducs Eaux des Fontaines. Au terme de cette procédure, c’est le groupement d’ingénieurs Forza N16 qui a obtenu le mandat.
Les deux viaducs sont situés dans des pâturages à la lisière de la forêt, dans un environnement naturel. Ils seront visibles de loin, notamment depuis le village de Court, ce qui rend leur intégration déterminante. Le tracé de la N16 impose une succession de rayons, une clothoïde et un alignement (image). Le profil type de chaque pont comporte deux voies de circulation de 3.75 m chacune et une banquette de 1.30 m.

Conception globale des viaducs


La conception des viaducs Eaux des Fontaines a été appréhendée selon des principes qui impliquent un travail à la fois créatif et synthétique pour définir la forme, intégrer l’ouvrage dans le site, définir son système statique, spécifier les matériaux et choisir sa méthode de construction (lire encadré ci-dessous).
Les contraintes du site – notamment la présence d’un ruisseau avec des sources et la qualité médiocre des sols de fondation – ont conduit au choix de grandes portées pour limiter les emprises au sol. Des portées régulières de 57 m permettent ainsi une répartition optimale des piles sur l’ensemble du viaduc, respectant les zones d’exclusion autour des prises d’eau des sources. La hauteur de ces piles varie de 8 à 30 m.
L’intégration dans la vallée repose sur la recherche d’une certaine unité qui se traduit d’abord par un alignement des piles des deux viaducs. Ce dernier est rendu possible par l’ajustement à 56.7 m des portées du viaduc aval contre 57.0 m pour le viaduc amont, afin de tenir compte de la courbure (image 1 et 2). Cette unité est renforcée par le choix d’une hauteur de tablier constante et d’une section identique pour toutes les piles.
La culée côté Bienne est commune aux deux viaducs, alors que les culées côté Moutier sont décalées pour mieux s’intégrer dans la topographie du terrain. A cette extrémité, pour compenser le décalage des deux culées, le viaduc amont est prolongé par une dalle massive qui repose sur le terrain en place et sur des voiles de pieux (image).
Concernant le système statique, il a été choisi d’appuyer les viaducs à la manière d’un pont flottant. Malgré une longueur totale de 540 m qui génère d’importants déplacements longitudinaux, cette solution privilégie les liaisons rigides entre les piles et le tablier. Ce choix – qui permet de limiter le nombre d’appareils d’appui au sommet des piles et réduit les opérations d’entretien qui y sont associées – n’a toutefois pas pu être appliqué sur les piles les plus courtes situées aux extrémités, en raison des sollicitations excessives qu’engendrerait un déplacement horizontal de leurs sommets. Ces piles, à l’instar des culées qui sont conçues de façon à pouvoir absorber les variations de longueur des viaducs, ont ainsi été équipées de dispositifs d’appui qui laissent le tablier libre de se déplacer longitudinalement (image).
Le choix d’une largeur de 3.2 m pour les piles a été fait en tenant compte de nombreuses exigences. Tout d’abord, par souci d’uniformité, toutes les piles devaient avoir la même section, bien qu’elles devaient répondre à des exigences statiques variables. En plus des efforts verticaux, les piles les plus hautes sont principalement sollicitées par l’action des séismes et du vent, alors que les plus courtes doivent supporter les sollicitations résultant des variations de longueur du pont (dilatation et effets différés). Aux extrémités, la section des piles dépend en outre de la dimension des dispositifs d’appui évoqués précédemment. Finalement, cette section unique devait être en mesure de supporter les appuis provisoires des cintres utilisés lors de la construction. 
La largeur relativement modeste retenue pour les piles a imposé des porte-à-faux précontraints généreux de quelque 3.5 m pour la dalle de roulement. Il a été possible de réduire quelque peu leur portée en inclinant les âmes des caissons (image).
Le travail sur la forme ne s’est toutefois pas limité à la simple définition d’un caisson reposant sur des piles rectangulaires. Des formes contemporaines ont ainsi été développées pour la géométrie des piles. Usuellement, la section des piles est taillée en biseaux. Un choix qui, par la multiplicité des faces qu’il engendre, définit souvent des formes relativement chargées. Pour s’opposer à cela, une section en forme de papillon avec des angles aigus a été dessinée. Une solution qui présente en outre l’avantage de pouvoir disposer de l’armature jusque dans les angles (image). 
L’angle rentrant ainsi créé dans la grande face des piles a été prolongé horizontalement sur la face inférieure du caisson, générant un lien visuel entre la pile et le tablier. Cette idée d’angle rentrant a aussi été reprise pour la face extérieure des parapets qui se compose de deux faces d’inclinaison différente.
Aux deux extrémités, et à l’instar de ce qui avait été fait pour le viaduc sur l’A91, les ailes des culées se situent dans la continuité des parapets, ce qui renforce l’unité entre le tablier et les culées.
L’effet visuel recherché a ensuite été évalué à l’aide d’un modèle tridimensionnel (image) et sur une maquette d’un tronçon des deux viaducs (image) : cette solution donne l’illusion que la pile et le tablier sont sortis du même moule, comme s’ils avaient été coulés d’un seul bloc, créant ainsi des viaducs unitaires et robustes.

Tablier et précontrainte


Pour franchir les 57 m de portée, le tablier est constitué d’un caisson en béton précontraint et d’une dalle de roulement. Sa hauteur statique constante de 2.70 m correspond à un élancement de 1/21 pour les travées principales. L’espace disponible dans le caisson permet d’intégrer les bossages dans lesquels sont ancrés les câbles de précontrainte, de disposer les gaines techniques et d’inspecter le viaduc (image).
Pour les raisons esthétiques évoquées plus haut, l’épaisseur de la dalle inférieure du caisson varie légèrement dans le sens transversal. Longitudinalement, l’épaisseur de la dalle inférieure comprimée diminue progressivement de 60 à 22 cm dans une zone de 11.5 m autour des appuis.
Les âmes inclinées ont une épaisseur de 50 cm, suffisante pour y disposer deux câbles de précontrainte côte à côte ainsi que des coupleurs aux arrêts de bétonnage (image). Placés à 9.5 m de part et d’autre de l’axe des piles, des bossages permettent l’ancrage des câbles qui se recouvrent sur les appuis.
Pour absorber un changement de dévers variant de 3 à 6 %, la section transversale tourne autour d’un axe longitudinal implanté à la surface du revêtement. Ce choix est dicté par des raisons constructives pour permettre l’utilisation rationnelle de cintres mobiles autolanceurs.
La précontrainte longitudinale, qui suit une trajectoire parabolique (image) et permet de balancer 80 % des charges permanentes, est répartie dans chacune des deux âmes au moyen de deux câbles de 19 torons couplés aux arrêts de bétonnage et de deux câbles de 22 torons ancrés aux bossages situés à l’intérieur du caisson. Afin d’obtenir la résistance nécessaire, les câbles de 22 torons se recouvrent dans les zones d’appui. La précontrainte transversale est constituée de câbles de trois torons, chaque câble étant disposé dans des gaines plates réparties selon un espacement de 1.5 m.

Fondations


L’implantation des viaducs se faisant dans une zone de glissement de terrain, il a été décidé de réaliser un forage de reconnaissance par pile pour établir le projet de fondation définitif. Les sols en place sont constitués de terrain meuble, d’une zone de transition constituée de molasse altérée et de roche sous forme de molasse tectonisée. Les caractéristiques géomécaniques de ces matériaux sont extrêmement faibles (tab. A).
Trois types de glissements ont été envisagés :

Glissements superficiels: ils pourraient se produire dans la couche de terrain meuble et sur une profondeur maximum de 2.0 m. Cette action est considérée comme un surcroît de poussée des terres et est prise en compte comme telle dans les situations de projets durables. Glissements profonds: ils pourraient se produire jusqu’à une profondeur de 10 m. L’axe théorique de ces glissements correspond à la pente maximale du terrain. Elle est admise perpendiculaire à l’axe des viaducs pour les calculs. Cette action est considérée comme une poussée et est prise en compte comme une action accidentelle. Les poussées appliquées sont déterminées selon la théorie de Brandl2. Glissements particuliers: ils pourraient être plus profonds que 10 m ou ne seraient pas orientés orthogonalement à l’axe des viaducs. Ces glissements étant imprévisibles, leur action n’est pas traduite en termes de déplacement ou de force appliquée sur l’ouvrage. 

Sur la base de ces éléments, les piles reposent sur des fondations profondes, faites de pieux forés tubés en béton armé qui s’appuient sur la molasse altérée. Une paroi de pieux jointifs a été proposée dans le concept initial, car la poussée horizontale résultant d’un éventuel glissement de terrain est ainsi réduite par rapport à la poussée résultante d’une grille de pieux. Au vu des mauvaises caractéristiques géomécaniques, la paroi de pieux a été élargie pour former un caisson comprenant 20 pieux sécants de diamètre 1.30 m d’une longueur allant de 14 à 29 m. Ce caisson de pieux est taillé en pointe pour réduire l’emprise d’un éventuel glissement de terrain (image). De plus, et afin d’augmenter la rigidité de l’ensemble, les caissons de pieux et les semelles de répartition des deux viaducs ont été liés (image).
Le contexte géologique, hydrogéologique et géotechnique délicat du versant impliquait d’utiliser la méthode observationnelle selon SIA 2673. L’application de cette méthode est possible car la nature du terrain, son comportement et celui de la structure porteuse ont fait l’objet de prévisions sur la base d’essais (essais de laboratoire sur les sols, essais de pieux), d’analyses structurales et de valeurs tirées de l’expérience. Les valeurs limites et les états limites du terrain sont définis dans un rapport et sont relevés lors de l’exécution (puis au cours de l’exploitation de l’ouvrage) par un suivi géotechnique et un suivi des mouvements des terrains. Finalement, les risques acceptés, les seuils d’avertissement et d’alarme ainsi que les dispositions confortatives, sont rassemblés dans le plan de surveillance. Les éventuelles mesures confortatives du versant seront à définir en fonction du glissement observé et des mouvements mesurés. Elles peuvent consister en une densification des mesures sur le site, la mise en place de drainage profond, de parois de pieux ou d’ancrages permanents.

Cintre autolanceur


Les viaducs Eaux des Fontaines illustrent à quel point la méthode de construction est un élément déterminant pour les ponts. Si la procédure de construction du tablier au moyen d’un cintre autolanceur mécanisé a été définie dans ses grandes lignes lors de l’établissement du projet, les détails ont ensuite été affinés en collaboration avec l’entreprise. Peu répandue, cette technique de construction n’est compétitive que si elle peut être appliquée à des ponts d’une longueur importante. Dans le cadre des viaducs Eaux des Fontaines, c’est la possibilité de construire d’abord le pont amont puis le pont aval toujours avec le même cintre qui a favorisé cette méthode: le pont amont a été construit dans le sens Bienne-Moutier et le pont aval a été construit dans l’autre sens, en faisant le chemin du retour avec le cintre.
D’une longueur de 130 m et d’un poids de 550 t, le cintre se déplace de manière autonome d’une travée à l’autre (image). Le tablier y est coffré, ferraillé, bétonné, mis en précontrainte, décoffré. Pour chacune des 17 étapes, le cintre est écarté, puis il est lancé et resserré dans sa nouvelle position (image). Lors de son lancement, le cintre est glissé par des vérins hydrauliques qui s’appuient sur la pile et le font progresser par étape de 70 cm.

Le chantier en quelques mots


Le chantier a débuté en juin 2012 et devrait s’achever  en juillet 2015. Le pont amont est actuellement terminé alors que le pont aval est en cours de construction. 
Des tranchées drainantes ont été réalisées deux ans avant le début des travaux pour réduire les risques de glissements superficiels. Cette mesure a aussi permis de réaliser la majorité des terrassements sans travaux spéciaux (parois clouées), permettant d’assurer le planning tout en réalisant des économies financières et de ressources. L’exécution des 499 pieux forés tubés de diamètre 130 cm a nécessité l’engagement de une puis deux machines pendant 14 mois, avec un avancement de un à deux pieux par jour et par foreuse.
Toutes les travées sont bétonnées avec le cintre autolanceur, sauf les travées de rive côté Moutier qui sont réalisées avec un étayage traditionnel. Afin d’optimiser tous les détails de coffrage, d’armature et de précontrainte, un prototype d’un demi tablier grandeur nature a été construit. Grâce à cette mesure préventive, la construction du tablier a été totalement maîtrisée dès la première travée. La durée d’exécution d’une travée a été de cinq semaines pour les premières, puis de quatre semaines grâce à l’optimisation des processus de l’entreprise et des délais de mise en tension de la précontrainte. Les travaux de bétonnage commencent par l’auge puis, sept jours après, la dalle supérieur est bétonnée. La durée de la cure a été fixée à 14 jours. Les câbles de précontrainte longitudinaux sont assemblés sur le chantier par enfilage des torons dans les gaines, une solution qui évite d’avoir à manipuler de lourdes bobines de câbles sur le chantier. 
La bonne collaboration entre maître d’ouvrage, ingénieurs et entreprise permet à ce jour de respecter le planning, la qualité et les coûts devisés.

Philippe Menétrey et Claude Broquet sont ingénieurs au sein du bureau INGPHI SA à Lausanne.
Gilbert Santini et Erdjan Opan travaillent comme ingénieurs respectivement chez WMM Bauingenieure AG à Münchenstein et OPAN concept SA à Neuchâtel.

 

 

Notes

1. Ph. Menétrey, C. Broquet et U. Brauen, « Viaduc sur l’A9 », Tracés no 19/2012, pp. 32-36
2. H. Brandl, Box-shapped pile and diaphragm wall foundations for high loads, Proceedings of the 15th International Congress on Soil Mechanics and Geotechnical Engineering, Istanbul, 2001
3. SIA 267 ; Géotechnique, 2003

 

Le viaduc en chiffres

Longueur pont amont : 489.0 m
Longueur pont aval : 542.7 m
Surface des ponts : 12 200 m2
Longueur des pieux forés tubés : 8750 m
Surface de coffrage : 31 000 m2
Volume de béton : 12 300 m3
Poids des aciers d’armature : 2180 t
Poids des aciers de précontrainte : 250 t
Surface d’étanchéité et revêtement : 11 400 m2
Coûts de construction : 35 000 000 CHF 

 

Conception synthétique

La conception de ponts et de viaducs ne devrait selon nous pas se limiter à empiler des éléments structuraux distincts, mais à synthétiser dans l’ouvrage les exigences du programme, les contraintes du site, les réflexions esthétiques et les critères de développement durable. De ce point de vue, Christian Menn (The importance of structural concept in bridge design ; Conceptual Design of Structures, IASS, 1996) précise que la conception est un optimum entre l’économie, l’élégance, les considérations du site, les exigences fonctionnelles et les contraintes de dimensionnement.
Le bureau INGPHI décompose le processus de planification en trois étapes, de façon similaire à ce que propose Jürg Conzett (Synthetisches denken – eine Strategie zur Gestaltung, Grenz-überschreitungen im Entwurf, gta Verlag, 2007). Premièrement, un travail de rassemblement des données, ensuite le travail de conception à proprement parler et finalement la réalisation du projet. La conception s’effectue alors comme un travail de synthèse qui a lieu lorsque toutes les données sont assimilées. Une fois la conception faite, la phase créative est terminée et le plus gros du travail commence : la réalisation.
Nous n’envisageons donc pas la conception comme un processus de décomposition et d’intégration comme proposé par la fib( fib Model Code for Concrete Structures 2010, Ernst & Sohn, 2013). En effet, la décomposition et la résolution selon un processus additif génère des conflits qui nécessitent des adaptations et des modifications qui conduisent à une solution qui n’est pas synthétique, mais qui est le rassemblement d’éléments distincts. La méthode de conception synthétique consiste à créer une structure qui synthétise toutes les exigences de manière globale et non une structure composée par l’assemblage. Elle suit en cela le principe décrit par Jacques Lucan sous le nom de non-composition (Composition, non-composition : architectures et théories, XIXe - XXe siècles, PPUR, 2009) ou par Cecil Balmond sous le terme « Informal » (Informal, Prestel, 2002).

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