«Hein­rich Tes­se­now. Ap­pro­ches et pro­je­ts em­blé­ma­ti­ques» à Men­dri­sio

Le Théâtre de l’architecture (TAM) de l’Université de la Suisse italienne à Mendrisio présente une exposition sur Heinrich Tessenow conçue par Martin Boesch.

Data di pubblicazione
31-05-2022

L’exposition «Heinrich Tessenow. Approches et projets emblématiques» organisée par Martin Boesch au TAM de Mendrisio est aussi dense, complexe et emblématique que l’est l’œuvre de l’architecte allemand qui a connu une belle fortune critique et des interprétations diverses au cours des décennies. S’appuyant sur une recherche professionnelle, liée à son enseignement, et sur un fil rouge personnel cultivé durant des années, Martin Boesch explore, sans prétendre à l’exhaustivité, certains thèmes qu’il qualifie d’«approches» de l’œuvre de Heinrich Tessenow (1876-1950). L’objectif est d’ouvrir de nouvelles voies et de comprendre à travers les bâtiments que l’architecte a construits, les projets qu’il n’a jamais réalisés et ses nombreux écrits comment son œuvre peut encore être riche de sens aujourd’hui.

L’exposition est articulée en trois sections thématiques: Construire dans le paysage, Projets pour la ville, La grande maison et la petite maison. Elle présente des dessins d’origine précieux (les archives de l’architecte ont été détruites durant la Seconde Guerre mondiale), mais aussi des maquettes et des planches de projets, des photographies d’époque, des écrits et des publications. L’exposition réunit également des échantillons de matériaux et des pièces retrouvéesjusqu’à une fenêtre pour mieux saisir le sens d’un détail ou d’une couleur ainsi que quelques meubles conçus par l’architecte. Plus de quarante ans après la redécouverte de Heinrich Tessenow par l’école d’architecture de Venise, de Giorgio Grassi à Marco de Michelis1, l’exposition fournit une clé de lecture ouverte que matérialisent les maquettes d’étude réalisées par les étudiants de l’Académie d’architecture de Mendrisio: le lien avec le passé devient ainsi une piste pour penser et bâtir l’architecture d’aujourd’hui. Martin Boesch est architecte – comme il le précise lui-même – et non historien de l’architecture, sa méthode de recherche suit cette approche.

Heinrich Tessenow est surtout connu pour ses projets de maisons pour les paysans, les artisans et la classe moyenne, des maisons aux formes simples et carrées, aux proportions maîtrisées, exemptes d’ornementation, presque des archétypes: la section La grande maison et la petite maison analyse cet aspect central que l’architecte a développé dans son livre Der Wohnhausbau (1909). Mais l’architecte polyvalent s’occupe du projet dans sa globalité, dessinant «de la cuillère à la ville»2. Parmi les projets non résidentiels les plus notoires, la piscine Stadtbad Mitte à Berlin (1930), les Siedlungen, de «véritables cités en miniature», l’institut de gymnastique rythmique (1912, devenu depuis salle de spectacle) à Hellerau, où Heinrich Tessenow expérimente différentes typologies de maisons, mais aussi la transformation de la Neue Wache de Karl Friedrich Schinkel, à Berlin, en mémorial aux victimes de la Première Guerre mondiale, l’un des édifices les plus emblématiques de son travail3.

En 1996, Martin Boesch part à la recherche de la Landesschule (1925-1927), un pensionnat pour 252 étudiants situé dans le quartier Klotzsche à Dresde, dans l’ex-Allemagne de l’Est4, et détruit en raison des événements politiques et militaires sous l’ère soviétique. C’est le début d’un intéressant travail de «fouille archéologique» pour retrouver les vestiges tangibles d’un édifice qui semble ne plus exister. L’analyse sur les lieux, associée à une recherche documentaire, met en lumière de précieux fragments, les bases des piliers et leurs espacements, des morceaux d’enduit permettant de connaître la matière, les couleurs et les proportions de la colonnade. Patiemment, Martin Boesch assemble les pièces du puzzle grâce aux témoignages d’anciens élèves et réussit une minutieuse reconstruction de l’établissement au travers de dessins et de maquettes. Située dans un bois, la Landesschule donna à Heinrich Tessenow l’occasion d’explorer le contraste entre topographie naturelle et artificielle: le bâtiment apparaît filtré par un «voile de bouleaux» (ce sont ses propres termes) qui dirige progressivement le regard depuis les arbres répartis suivant un ordre naturel jusqu’à la colonnade monumentale, une rangée de colonnes très minces (18 centimètres de section et jusqu’à 7 mètres de haut) qui, un demi-siècle plus tard, inspirera de nombreuses architectures européennes.

La section consacrée à la ville propose de multiples projets d’urbanisme de grande envergure en partie non réalisés: ce sont les cités idéales de Heinrich Tessenow, celles comptant entre 20 000 et 60 000 habitants. Un tissu urbain formé de maisons, décoles, de bâtiments administratifs, groupés autour de places et de rues qui forment à leur tour des espaces variables grâce aux légers retraits des maisons, aux élargissements ou rétrécissements de la chaussée, visibles par exemple sur l’esquisse au crayon pour la petite ville de Diedrichshagen ou dans le projet de cité urbaine de Mogiskau, de 1941. Heinrich Tessenow y applique le thème de la répétition ou de la variation à travers lequel, libéré de tout schématisme formel ou stylistique, il maîtrise aussi bien la petite que la grande échelle. «[...] Il est également raisonnable de chercher d’abord à rester tranquilles et discrets au sein de la grande communauté urbaine, dans la rue, et en tant que citadins, daccentuer tout ce qui est lié à notre goût personnel, à nos couleurs préférées et de manière générale, à nos particularités très individuelles uniquement dans des lieux où le monde nous appartient de façon très personnelle. Si l’on considère nos maisons, ce monde, c’est l’intérieur domestique.»5

L’attention portée à la nature apparaît à la section Construire dans le paysage: la maison Böhler (1917, aujourd’hui détruite) dans les environs de Saint-Moritz est enchâssée dans le paysage de l’Engadine, ce paysage mystique des Alpes où le profil iconique des sommets évoque par affinité géométrique le profil de la toiture de cette maison montagnarde. La section propose un autre projet dans un environnement complètement différent, le centre de vacances balnéaire situé sur le littoral de Prora, au bord de la mer Baltique, dont il ne reste aujourd’hui que «les images de la salle des fêtes en forme d’espace hypostyle ouvert».

L’aménagement de l’exposition, organisé lui aussi par Martin Boesch, rapproche le visiteur de la «dimension réelle» de l’architecture par deux modes de représentation: la technique du frottage, outil d’étude inédit des surfaces bâties par Heinrich Tessenow, qui restitue à l’échelle 1:1 l’empreinte des pierres, des murs et des pavages sur de grandes feuilles de papier et le reportage photographique réalisé par Marco Introini en 2005, projeté sur grand écran, qui fait de la perception spatiale des architectures de Heinrich Tessenow une expérience immersive, presque réelle.

Martin Boesch a réalisé un projet résolument international grâce à un comité scientifique de grand renom, composé de Theodor Böll, Hartmut Frank et Bruno Reichlin ainsi que de trente universitaires venus des quatre coins de la planète qui, par leurs essais réunis en un seul volume (à paraître bientôt), ont contribué à mettre en lumière toutes les facettes de ce maître de l’architecture du début du 20e siècle.

L'exposition (italien/anglais) "Heinrich Tessenow. Avvicinamenti e progetti iconici" au Teatro dell'architettura Mendrisio se poursuit jusqu'au 17 juillet.

 

Pour plus d'informations: www.tam.usi.ch

 

Vous trouverez des impressions de l'exposition sur www.heinrich-tessenow.ch

Notes

 

1. La première exposition complète sur l'œuvre de Tessenow a eu lieu en 1991, organisée par l'historien de l'architecture Marco de Michelis pour le Deutsches Architekturmuseum de Francfort et la Biennale d'architecture de Venise.

 

2. Expression utilisée par Ernesto N. Rogers dans la Charte d'Athènes (1952) pour désigner l'étendue du travail d'un architecte.

 

3. Tessenow a remporté le concours, suivi par Mies van der Rohe et Hans Poelzig.

 

4. Heinrich Tessenow : "Die äussere Farbe unserer Häuser", 1925, réédité dans : Heinrich Tessenow, Geschriebenes, Braunschweig 1982

 

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