«Le rô­le de la SIA, c’est d’an­ti­ci­per la Suis­se de de­main»

Entretien avec l’un des deux nouveaux membres du comité SIA

Fort d’une riche expérience associative, Alain Oulevey, ingénieur en génie civil et ancien président de la section Vaud de la SIA, a récemment été élu au comité de la Société. Dans un entretien, il revient sur les motivations sous-jacentes à son engagement en faveur de la défense de la profession et les causes qui lui tiennent à cœur.

Data di pubblicazione
14-07-2021

TRACÉS: Vous avez été président de la SIA Vaud entre 2014 et 2016. Actuellement, vous êtes membre du conseil d’administration d’espazium et avez récemment été élu au comité de la SIA lors de la dernière assemblée des délégués (AD). D’où vous vient cet intérêt pour l’associatif et quelles ont été les étapes importantes de votre engagement?
Alain Oulevey: La première expérience qui m’a donné le goût de l’associatif s’est déroulée, un peu par hasard, au sein du comité des parents d’une crèche. Elle m’a permis de m’extraire de l’ingénierie pour me tourner vers des enjeux sociaux et le développement stratégique d’une association, chose que j’ai appréciée. À l’occasion de la création du cadastre géologique vaudois, juste après l’effondrement sous la place Saint-Laurent lors du chantier du M2 en 2005, nous avons fondé une association de géotechniciens et géologues, afin d’expliquer en quoi consistent nos métiers et de définir comment nous mettre en concurrence. Je l’ai présidée de 2007 à 2011. En 2010, la section Vaud de la SIA n’avait plus de Groupe des ingénieurs (GI). Face à la nécessité de traiter des problèmes d’ingénieurs au sein de la section, nous avons reformé ce groupe, que j’ai présidé pendant deux ans. Différentes thématiques ont été traitées: la communication sur nos métiers, nos valeurs et notre engagement en faveur de la culture du bâti. Notre ambition était de nous hisser au niveau du Groupe des architectes (GA), un fantastique réservoir d’idées.

En 2012, j’ai rejoint le comité de la SIA Vaud en tant que vice-président, avant de reprendre la présidence deux ans plus tard. Les questions qui se posaient alors étaient identiques à celles d’aujourd’hui: la passation des marchés, mais aussi les relations avec l’administration cantonale et les communes ainsi que la sensibilisation du grand public à nos métiers. Le travail en réseau, la coordination et la qualité des échanges avec l’administration et les politiques ont été des préoccupations importantes de notre engagement. Comme les autres sections romandes, nous avions constaté que chacune œuvrait de manière isolée, alors que nous devions répondre à des problématiques similaires. En outre, faute de moyens, le rayonnement de certaines sections était moins important que d’autres. Aussi avons-nous décidé de mettre en place, entre 2014 et 2016, la coordination romande1 (CoRo), un projet de longue haleine qui porte aujourd’hui ses fruits.

Au sein de la SIA Vaud, quels ont été vos souvenirs les plus marquants?
Je me souviens particulièrement bien d’un dossier au début de mon mandat de président: sur le plan des relations avec le Canton, nous nous trouvions face à des contentieux se rapportant à la passation des marchés. La situation était tendue; nos revendications avaient ébranlé notre relation avec l’architecte cantonal et généré des crispations chez toutes les parties prenantes. C’est à ce moment-là que j’ai réalisé que si la présidence de la SIA Vaud change tous les deux ans et permet de porter un regard nouveau sur ses dossiers, les collaborateurs de l’administration, eux, demeurent, de même que les frustrations qui s’accumulent avec les années. Or, selon moi, il était vital que la SIA entretienne des relations de confiance avec ses interlocuteurs institutionnels. Nous avons alors eu un échange franc avec le Canton où chacun a exprimé son ressenti. Cela a permis de mettre les choses à plat, d’engager un dialogue avec l’administration et de mieux coordonner nos rôles respectifs. Je me rappelle que Stefan Cadosch, ancien président de la SIA, était généreusement venu nous épauler dans la restauration de cette relation, conscient, tout comme nous, de l’importance des interlocuteurs privilégiés que sont les architectes et ingénieurs cantonaux. En fin de compte, ce dossier s’est avéré être une expérience extrêmement positive, qui a permis de témoigner de la volonté de la SIA de mettre en place une réelle dynamique de collaboration, bâtie sur une confiance réciproque entre le canton, la section Vaud de la SIA et le service des constructions.

Sur quels sujets vous êtes-vous engagé en tant que président de la SIA Vaud? Qu’est-ce que cette expérience vous a apporté et que vous pourriez transposer dans votre engagement au sein du comité?
Nous nous sommes particulièrement investis dans la question de la passation des marchés, lors de la création de l’Observatoire vaudois des marchés publics en 2013 (aujourd’hui Observatoire des marchés publics romand – OMPr). Notre principal cheval de bataille consistait à expliquer aux communes ce qu’est un mandataire et en quoi consiste son travail. Nous avons également pris position publiquement par rapport aux concours, lorsque la commission des comptes a publié un rapport négatif sur leur mise en œuvre. À la suite de sa parution, nous avons évidemment réagi et souligné qu’il était le meilleur instrument pour répondre à une problématique donnée, pour autant que certaines règles et paramètres soient respectés. Le concours est un outil, une opportunité qui est ce que l’on en fait: si la question est mal posée, la réponse peut être inadaptée. Dans le cas où, parmi le jury, la représentation des compétences n’est pas adéquate, la communication entre professionnels et non professionnels n’est pas bonne et qu’il n’y a pas de suivi du projet, un risque de dérive existe. Le concours est un début, non pas une fin en soi. Il offre un catalogue de solutions qui sont examinées sur la base de critères définis, afin de faire ressortir la proposition la mieux adaptée. Viennent ensuite le travail de projet et la passation de marché.

C’était une période passionnante, parce que nous avons été amenés à faire entendre notre voix sur un sujet qui nous prenait aux tripes. Il est très frustrant pour un mandataire d’être mis en concurrence sur la base du seul critère du prix, car notre rôle consiste avant tout à établir des liens de confiance et faire preuve de diligence à l’égard du maître d’ouvrage.

Il est vrai que j’aurais également souhaité traiter de projets plus culturels, mais la passation des marchés était prioritaire à ce moment-là. Pour revenir à la SIA, son rôle est certes de traiter de la passation des marchés, mais aussi et surtout d’imaginer et d’anticiper la Suisse de demain dans les domaines de l’aménagement naturel et construit.

Vous avez officié à une échelle locale, au sein d’une section. Désormais, vous rejoignez le comité SIA. Qu’est-ce qui a motivé ce changement d’échelle?
J’ai beaucoup apprécié la richesse et la diversité de mes rencontres durant mon engagement au sein de la section ­vaudoise. Discuter de sujets étrangers au quotidien de l’ingénieur avec des représentants de milieux professionnels variés est pour moi stimulant. Je me réjouis également de collaborer avec les autres membres du comité, les sections ou encore le Bureau. Nous connaissons une période de bouleversements très importante dans laquelle la vision à court terme des prix et des délais est survalorisée au détriment de la réflexion de l’ingénieur, pourtant fondamentale pour les maîtriser et les réduire. Je pense que cette conception des choses ne nous pousse pas à stimuler notre créativité. Il s’agit d’un appauvrissement de notre profession et c’est contre cette tendance que je souhaite me mobiliser; elle va à l’encontre de mes convictions et ne peut être garante d’un bâti de qualité. Le moyen de le faire, c’est de s’engager au sein de la SIA et de ses sections. Je souhaite soutenir leur travail et leur action, en renforçant notamment la dynamique de collaboration entre sections et avec la SIA centrale, ainsi que les groupes professionnels.

Quelles sont les thématiques qui vous tiennent à cœur et sur lesquelles vous souhaitez vous engager au sein du comité?
Les défis numériques actuels bousculent nos professions. Les phases de projet telles qu’on les connaît aujourd’hui correspondront-elles toujours à notre manière de travailler dans le futur? Il ne s’agit pas simplement de nouveaux outils à maîtriser, mais bien de nouveaux processus à intégrer. C’est un développement qu’il s’agit d’anticiper et d’assimiler. La durabilité envers laquelle tout constructeur a une forte responsabilité est également un thème qui me tient à cœur. La collaboration entre les associations faîtières, que ce soit d’architectes et d’ingénieurs, mais aussi d’entrepreneurs, m’apparaît tout autant fondamentale. Enfin, nous devons enjoindre nos membres à s’engager plus encore sur le terrain politique. La représentation de nos professions en politique permet en effet de prévoir et d’influencer les enjeux en lien avec le monde de la construction. C’est pour cette raison que le contact avec les parlementaires est essentiel, y compris avec ceux qui sont un peu plus éloignés de nos préoccupations.

Note

1 Le projet initial était de donner l’opportunité aux sections, toutes tailles confondues, de partager leurs idées et développer un réseau qui permette d’élargir le rayonnement des petites sections.

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