Pour­quoi tant de plans d’EMS res­sem­blent-ils à des 8?

Par cette interrogation sur les résultats de concours d'EMS, Mounir Ayoub pose une question encore plus fondamentale: comment faire en sorte que le concours d’architecture demeure (redevienne?) un espace prioritairement dédié à l’expérimentation et à l’invention de nouvelles typologies?

Data di pubblicazione
27-11-2020

Les résultats du concours pour la réalisation d’un EMS à Bussigny-Ouest viennent d’être livrés. Le projet lauréat, conçu par Comamala Ismail Architectes, développe un plan d’étage courant de forme carrée et centrée, avec les chambres en périphérie distribuées par un corridor qui entoure un patio central. Évidente, presque élémentaire, la typologie proposée par le lauréat se démarque de celles des autres projets soumis. Parmi les primés, trois développent des plans en forme de 8. Cette figure se résume souvent au même schéma: deux modules distincts de formes plus ou moins carrées reliés entre eux par leurs pointes. Au centre de la boucle, la circulation s’élargit. La forte présence de cette typologie parmi les projets rendus ne fait pas exception. Elle est dans la droite ligne de la tendance observée ces dernières années dans les concours d’EMS en Suisse romande. En prenant pour objet d’étude le canton de Vaud, sur huit concours jugés lors des quatre dernières années, 21 projets primés sur 43 développent une typologie symétrique en 8, soit pratiquement la moitié1. Comment expliquer une telle profusion

Serait-ce la résultante logique des contraintes imposées par les cahiers des charges des concours? Cette hypothèse ne tient pas. D’autres exemples d’EMS – certes rares – développent des typologies différentes et respectent pourtant les mêmes normes. À lire plusieurs rapports de jury, le plan en 8 semble particulièrement apprécié par les utilisateurs. Il génère un principe de circulation qui permet «une déambulation continue sans obliger les résidents à revenir sur leurs pas». La typologie serait si vertueuse qu’on ne saurait inventer mieux. En 2010 déjà, dans un TRACÉS qui faisait le bilan des EMS réalisés depuis les années 2000 dans le canton de Vaud, l’architecte Pierre Cauderay en doutait. Au terme d’un argumentaire fouillé, il concluait que «les meilleurs exemples sont ceux dont la composition asymétrique amène des repères dans le plan». Tout le contraire du plan en 8. Enfin, une dernière hypothèse demeure possible: celle de la stratégie gagnante. Au motif difficilement démontrable que c’est une volonté des maîtres d’ouvrage, on entend parfois dire chez certains architectes qu’il vaut mieux proposer telle ou telle typologie pour remporter un concours. Et pour les EMS, c’est souvent le plan en 8. Pour ces établissements comme pour d’autres programmes, il est difficile de mesurer la part des contraintes normatives, des habitudes des maîtres d’ouvrage et des tocs des architectes pour expliquer la profusion d’une typologie. Le concours demeure évidemment un formidable dispositif pour la fabrication d’une culture architecturale commune et partagée. Mais la question posée en creux derrière notre interrogation initiale peut devenir sérieuse si on continue à l’éluder: comment faire en sorte que le concours d’architecture demeure (redevienne?) un espace prioritairement dédié à l’expérimentation et à l’invention de nouvelles typologies?

Note

  1. Estimation faite à partir des résultats de concours parus sur competitions.espazium.ch

En ligne

 

Les résultats et le rapport du jury du concours de l’EMS à Bussigny-Ouest sont consultables sur competitions.espazium.ch

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