Le pe­tit dra­gon de la Broye

La nouvelle salle communale de Léchelles (FR) réalisée par Joud Vergély Beaudoin Architectes, avec sa silhouette intrigante, est le symbole d’une prise d’autonomie énergétique.

Data di pubblicazione
02-05-2018
Revision
04-05-2018

Le visiteur arrivant de Payerne était accueilli autrefois par un unique clocher, celui de l’église Saint-Jean-Baptiste. Celui qui vient de Fribourg, par l’est, rencontrera désormais sur sa route cette intrigante figure dotée d’une émergence, qu’il prendra, selon les prédispositions qui l’occupent, pour un nouveau clocher, une petite usine, voire l’une de ces « bornes » plantées sur les grosses fermes fribourgeoises (qui donnent leur nom au jambon que l’on déguste dans la région). Néanmoins la forme ne se laisse pas dompter aisément et continue, à mesure que le visiteur approche, à provoquer toutes sortes de spéculations de l’esprit. Car cette bête sans queue ni tête est recouverte d’écailles luisantes jusqu’à l’échine. En effet, sur les murs comme sur la toiture, du socle jusqu’à la cheminée, le volume est entièrement recouvert d’une tapisserie de tuiles plates, dont les cannelures créent des variations sur chaque face de l’édifice, selon l’incidence de la lumière. Une grande ouverture béante sur son flanc droit dévoile une impressionnante charpente, une cage thoracique faite de poutres blanches comme l’os. A l’intérieur de l’édifice, on découvre enfin son cœur brûlant : une immense chaudière qu’une impressionnante tuyauterie nickelée relie aux foyers du village.

Le régionalisme « critique » a-t-il encore quelques chances de survivre ? Pour remporter un mandat dans nos campagnes, les jeunes architectes doivent obligatoirement affubler leurs réalisations de connotations régionales, qui virent souvent au kitsch pastoral. D’où la pénible prolifération de ces objets patauds qui tentent désespérément d’imiter les grosses fermes d’antan, afin de les inscrire dans une sorte de consensus généralisé sur l’image fantasmée et hautement protégée du territoire rural. Pour remporter un concours portant sur la salle communale de Léchelles (800 âmes), les architectes Joud Vergely Beaudoin ont donc baptisé leur projet du nom gentillet de Grange au pré. En réalité, ils ont conçu un objet intrigant, un de ces bâtiments que l’on ne parvient pas à saisir, tant leur forme ambiguë échappe aux représentations partagées dans l’inconscient collectif. C’est une architecture qui refuse de décliner son identité au premier venu : elle exhibe une cheminée de fabrique, mais s’étale comme une grange ; elle offre un perron d’église, mais abrite un gros camion pompier ; ses arêtes sont de cuivre, ses tavillons de tuiles.

Dans un tel contexte, ce cadavre exquis est une réponse fine pour donner forme à un artefact hybride, un type qui viendra peut-être se généraliser à l’avenir. Car, en plus d’une salle communale et d’un local pompier, la petite structure accueille un programme d’un genre peu répandu : une petite centrale de chauffage à distance (CAD) qui alimente une bonne partie d’un village bien décidé à prendre en main son avenir énergétique. Le conseil communal s’est en effet engagé dans ce projet afin de répondre aux attentes d’une population désireuse d’atteindre le label « Cité de l’énergie ». Les habitants ont donc fondé une structure coopérative, qui construit progressivement un réseau énergétique indépendant. Ce choix permet d’impliquer tous les bénéficiaires et surtout de garder le contrôle sur la provenance du carburant. Ils ont opté pour une chaudière à granulats de bois (d’origine suisse) d’une puissance totale de 1700 kW. Depuis l’achèvement de la centrale, le réseau grandit, foyer après foyer, et les citernes à mazout disparaissent peu à peu des chaumières, sans que les coûts n’augmentent.

L’opération est également couplée avec la construction de logements protégés et destinés prioritairement aux aînés, une grande maison située en contrebas – évidemment directement alimentée par la petite centrale. Ici, les architectes ont proposé un volume sobrement inscrit dans la continuité du tissu villageois et qui entame, par un dialogue des angles, une conversation discrète avec la salle communale. Celle-ci est donc plus que la nouvelle figure de proue du village de Léchelles : c’est un point-clé qui témoigne d’un changement d’échelle intéressant dans la constitution des réseaux d’énergie territoriaux. Le petit dragon de Léchelles symbolise toute l’ambition d’un village qui trace tout seul sa route vers l’autonomie énergétique.

 

SALLE MULTI-USAGE «LA GRANGE AU PRÉ», LÉCHELLES, COMMUNE DE BELMONT-BROYE (FR)

Architecte : Joud Vergély Beaudoin Architectes, Lausanne
Maître d’ouvrage : commune de Belmont-Broye & SI Léchandon SA
Années de réalisation des travaux : 2014-2017
Direction conjointe de chantier : Quartal sa
Coût total HT de l’opération : 5 600 000.- CHF (CFC 1-9)
Surface : SP totale 1500 m2 / VB total (SIA 416) 9200 m3
Programme : construction d’une salle de sport polyvalente type VD2, comprenant une centrale de chauffage à distance (CAD) pour le village et un local pompier.
Tuiles : AGZ tuileries

Magazine

Articoli correlati