Les éco­les en bo­is de Pe­ter Hüb­ner

L'élève au coeur du projet architectural

A l’heure où « développement durable » et « haute qualité environnementale » deviennent des lieux communs, au point de ne plus signifier grand-chose, il est urgent de revenir sur les architectes qui en ont fait leur cause avant que ces termes ne deviennent galvaudés. Peter Hübner en fait partie : loin des parcours balisés, il poursuit depuis plus de trente ans sa démarche constructive atypique qui place la participation de l’usager au cœur de ses projets.

Publikationsdatum
13-01-2012
Revision
19-08-2015

Les écoles Waldorf constituent un réseau qui dénombre pas moins de 185 établissements outre Rhin. L’enseignement qu’elles dispensent s’inspire des théories de Rudolf Steiner. Fondée sur le principe d’un équilibre entre les matières intellectuelles et artistiques, sa pédagogie repose sur des préceptes égalitaires et participatifs. 
Ces dix dernières années, Peter Hübner a conçu douze de ces écoles, en essayant à chaque fois d’impliquer les futurs utilisateurs des établissements dans l’élaboration de leur lieu de travail et de vie. Radicalement opposé aux solutions standard, il propose des structures en bois qui prennent le temps de s’élaborer avec ceux à qui elles sont destinées. Une architecture sur mesure, dont la conception s’établit à partir d’ateliers avec les élèves, les professeurs et les parents. Ces ateliers diffèrent selon les chantiers : ils peuvent prendre la forme d’une simple consultation, comme ils peuvent faire l’objet d’une participation active au chantier. 

Une école faite par des enfants

C’est le cas de l’école de Gelsenkirchen réalisée à partir de travaux d’enfants. Livré en 2004 et financé par l’Eglise protestante de Westphalie, cet établissement scolaire est certainement le projet-phare de Peter Hübner. Sans faire partie du réseau Waldorf, il en partage les principales qualités : architecture en bois, écologie thermique, participation accrue des élèves dans la conception de leur école, ouverture sur l’agglomération avec des équipements accessibles à tous les habitants (salle de sport, théâtre).
Malgré sa superficie de 16 000 m?2, l’école de Gelsenkirchen demeure à échelle humaine. Les classes disposées autour d’espaces collectifs couverts ne se ressemblent pas. L’ensemble est agencé de manière hétéroclite. La variation des volumes, des bardages et des toitures, évoque la richesse typologique d’un village. Tout est fait pour briser l’alignement des bâtisses. L’architecture ordonnée et orthogonale, caractéristique du milieu scolaire dans le monde entier, est ici définitivement écartée. Peter Hübner ne mime pas le vernaculaire, il crée plutôt les conditions pour qu’il advienne. 
L’orientation religieuse de l’établissement ne l’empêche pas d’accueillir 30 % de musulmans ; des enfants d’immigrés turcs pour la plupart. La langue turque y est enseignée, ainsi que le Coran. Les classes du primaire sont mixtes, tout comme les matières n’ayant pas rapport à la religion ou à la langue.
Mais au-delà de son esprit de tolérance, c’est la démarche constructive adoptée qui fait de Gelsenkirchen un cas unique. Le chantier qui a duré dix ans a servi de support au projet pédagogique. L’école a fonctionné sur place pendant les travaux, et les enfants ont participé tant à l’élaboration qu’à la mise en œuvre du projet. Les écoliers ont été impliqués dans toutes les phases du chantier. Certains ont pris part à des ateliers de construction de maquettes, censés les amener à réfléchir sur la forme de l’école. D’autres, un peu plus âgés, ont aidé les charpentiers à assembler les structures en bois. Leur implication n’avait rien d’une animation. Ils ont été des acteurs à part entière du chantier, et ce pendant toute sa durée.
Peter Hübner s’amuse à raconter les premières réactions du maître d’œuvre quand il a proposé la participation d’enfants au chantier. Ceux qui craignaient alors pour la sécurité des écoliers regrettent aujourd’hui que le chantier soit terminé et que les nouvelles générations ne puissent pas profiter de la même ambiance de construction et des vertus pédagogiques qui peuvent en être tirées. 
Un des moments les plus spectaculaires de l’édification aura été la réalisation des maquettes. Regroupés par classe, les enfants ont bâti des modèles de leur future salle de cours. Puis tout a été réuni pour former une grande maquette collective de l’établissement. Les architectes et les charpentiers se sont alors efforcés de la transformer en structure viable. L’aspect composite du bâtiment découle directement du processus d’assemblage d’unités autonomes. Le principal avantage de cette approche étant la possibilité quasi infinie d’intervenir ultérieurement sur le bâti. 
Aujourd’hui, les écoliers de Gelsenkirchen n’ont plus l’occasion de bâtir comme ont pu le faire les pionniers. Ils se sentent pourtant tout aussi responsables de la forme de leur école. Ils en assument l’entretien, modifient ce qui peut l’être, et apprennent dès le plus jeune âge que la construction fait partie de leur champ d’action. Dans une autre école du même type, à Cologne, les enfants ont remplacé les portes standard par d’autres en bois, qu’ils ont eux-mêmes sculptées.
Peter Hübner est l’ennemi d’une certaine modernité hygiéniste, rationnelle et rectangulaire, qui impose la ligne et l’angle droit là où la courbe et l’agencement désaxé feraient aussi bien l’affaire. Il admire l’architecture médiévale pour ses perspectives décentrées, il préfère la superposition et le patchwork au design total et à la table rase. Surtout, il est de ceux pour qui le caractère composite d’un édifice traduit la pluralité des usages qui peut en être fait. Ses écoles sont des agglomérats d’unités d’apprentissage, articulées autour d’espaces collectifs couverts. Libre aux enfants d’imaginer la place de leur classe autour du foyer central. 

Les enfants, seuls sur le toit

C’est aussi le cas de la Kita Technologiepark, une crèche réalisée en 2006 à Brême. Conçue comme un lieu d’éveil, la crèche regroupe plusieurs cellules autonomes, disposant chacune d’une entrée distincte, sous un même toit. Toutes sont pourvues d’une tour d’exploration ; un dispositif ludique et pédagogique permettant aux enfants de grimper sans surveillance, et sans le moindre risque, dans une structure située sur le toit. 
Aucune des cellules n’est identique. Les couleurs et les formes les rendent identifiables aussi bien de l’intérieur que de l’extérieur. La disposition désaxée des tours d’exploration traduit également cette volonté de distinction. Les sols en bois, les parois disparates, les puits de lumière et les passerelles sont conçus comme des éléments d’expérimentation et d’apprentissage pour les petits. Quant à la toiture en bois, elle est étudiée pour atténuer le bruit. 
Le caractère organique de cette architecture n’est pas un style, ni même un acte polémique censé contrer la rigueur austère d’une certaine modernité qu’il réprouve. Construire de manière hétéroclite est le meilleur moyen de déduire la forme de l’usage. Sans lissage, et sans la violence de l’alignement, le caractère disparate de ses réalisations est une invitation à s’approprier le bâti. Une architecture faite d’espaces variés, modulables, ajustés sur l’homme en devenir : l’enfant.

Article paru dans le hors-série Construire ensemble le grand ensemble – Habiter autrement, Actes Sud, mai 2010

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