Prend­re de la grai­ne

Publikationsdatum
10-04-2024

Avec un quart de sa population vivant dans une sorte d’entre-deux mal défini, il n’y a pas en Suisse (contrairement à d’autres pays européens) une division territoriale entre «ville» et «campagne», surtout un clivage dans les têtes. Il faut dire que bon nombre d’agriculteurs sont maintenus par une certaine politique partisane dans la croyance que «les gens de la ville» leurs veulent du mal. Et il faut dire que les urbanicoles ne sont pas toujours curieux et n’ont donc peut-être pas pris conscience de ce qui se trame dans le monde agricole. Pour tordre le cou à ces vieux clichés, la moindre des choses est de s’y intéresser sérieusement, en commençant par reconnaître le formidable effort de réinvention qui s’y entreprend depuis une quinzaine d’années.

Un architecte qui a décidé de se lancer dans une formation d’agriculteur m’a raconté le surprenant dynamisme du secteur, dans lequel les écoles forment au management de projet et à la communication, et où les machines s’acquièrent et se partagent en collectif. Surtout, en comparaison avec son premier métier, Florian Rochat observe que la réponse aux défis climatiques est bien plus rapide et bien plus effective que dans le secteur de la construction.

Vous avez dû remarquer que de nombreux champs sont couverts de paille en hiver et que des petites plantes poussent désormais entre les rangées cultivées? C’est que le monde paysan se convertit peu à peu à l’agriculture de conservation et aux techniques culturales sans labour (TCSL). En résumé, m’explique Florian Rochat, cela permet de maintenir des sols vivants et de restaurer/préserver leur fertilité. C’est d’ailleurs l’un des points cruciaux de la stratégie lancée en mars par l’État de Vaud: il s’agit, d’une part, d’augmenter l’emploi de matière organique et, de l’autre, de réduire le travail du sol; permettre ainsi aux plantes de se nourrir par un processus d’aggradation (et non de dégradation comme dans l’agriculture conventionnelle). Dans ces conditions (avec l’emploi d’engrais verts), l’agriculture peut devenir l’un des plus formidables outils de lutte contre le changement climatique, car son activité recycle le CO2 tout en poursuivant son rôle nourricier.

Depuis 2014, la nouvelle politique agricole de la Confé­dération soutient les prestations écologiques requises (PER) et, aujourd’hui, ce ne sont plus seulement les petites exploitations mais aussi des grandes qui se convertissent, suivant l’exemple de la permaculture ou de grandes exploitations nord-américaines qui ont adopté des techniques de conservation des sols. Si l’on parvient à convertir à l’agriculture de conservation les grandes cultures du pays (les prairies ont déjà un bilan généralement très positif), on obtient un volume de séquestration de carbone gigantesque (200 à 300 kg de CO2/ha par an), bien plus grand que ce que le secteur de la construction ne pourra jamais atteindre avec le cadre législatif actuel. Coordonnée avec des techniques d’agroforesterie, cette évolution pourrait réellement permettre d’atteindre les objectifs fixés par la loi CO2 dans ce secteur. Contrairement à d’autres.

Pendant ce temps, celui de la construction regarde les bras croisés. Malgré les nombreuses initiatives d’architectes, d’ingénieurs et d’entrepreneurs qui se creusent la tête pour trouver des solutions, la construction ne se réinvente pas vraiment, et continue d’employer les mêmes matériaux ultra carbonés – pour des raisons essentiellement économiques. Quand on prend le temps de discuter avec les paysans, la comparaison devient flagrante. Peut-être que les «gens de la ville» feraient bien d’aller faire un petit tour dans les champs pour en prendre de la graine.

Erratum

 

Une erreur s’est glissée dans l’éditorial de TRACÉS 2/2024, le 9 février 2024 intitulé «La forêt verticale qui cache les arbres». La phrase suivante doit être rectifiée: «Une petite majorité semble désormais se dessiner au sein du Conseil communal (et non au sein de la Municipalité) de Chavannes-près-Renens pour remettre en question les bien-­fondés écologiques du projet». Cette distinction a toute son importance, car les membres de la Municipalité n’ont pris aucune décision concernant l’octroi ou le refus du permis de construire de ce projet. L’affirmation selon laquelle l’un ou plusieurs d’entre eux se seraient publiquement exprimés à ce sujet est erronée. Il est à noter que la Municipalité rendra une décision au sujet de la délivrance du permis de construire en conformité avec le processus prévu par la LATC et prendra en compte les exigences prévues par les lois et les règlements applicables, qu’il s’agisse des exigences procédurales ou de celles liées au droit de l’environnement. La version en ligne a été modifiée en conséquence. Nous présentons nos excuses aux membres de la Municipalité de Chavannes-près-Renens et à notre lectorat pour ce désagrément.

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