Un «con­cours d’an­ar­chi­tec­tu­re»

Un concours sans jury, sans prix, sans lauréat. La procédure organisée par le Centre international sur l’anarchisme (CIRA) surprend et pose une question intéressante sur la compétition: quels résultats obtient-on quand il n’y a pas d’enjeu?

Publikationsdatum
28-07-2021

Les concours d’architecture sont régulièrement critiqués en raison du nombre d’heures de travail non rémunérées qu’ils engendrent. Récemment, à Zurich, un concours ouvert pour une crèche a attiré plus de 200 rendus, soit au moins 20 000 heures de travail brûlées pour trouver un lauréat unique, excluant les autres options. À Lausanne, une entité a lancé en février 2021 un petit concours non rémunéré, sans garantie de mandat, sans règlement et sans prix: une procédure qu’il faudrait condamner car elle représente une exploitation indécente des travailleurs. Mais si cette entité s’avère être le CIRA (dont les activités se concentrent sur l’histoire des mouvements ouvriers), que faut-il en penser?

Au CIRA, personne n’est payé, à l’exception du civiliste. Le travail est donné, car il entre dans un cadre militant. L’association fonctionne exclusivement avec des dons, en nature, en comptant, mais rien ne se paie. Aussi, plutôt que de questionner cette procédure, réfléchissons à ce qu’elle nous enseigne. Pas de prix, pas de mandat: quand on en retire l’aspect économique, que devient un concours d’architecture?

Le centre de recherche est logé dans une grange attenante à une maison de Beaumont et entouré d’un grand jardin. L’accroissement des collections atteint désormais une limite. «Faut-il construire, surélever, creuser le sol, repenser l’espace intérieur?», demande le programme, qui a circulé dans des réseaux informés. Le CIRA propose un «concours d’anarchitecture», une manière de condamner l’autorité de l’architecte, soit – étymologiquement parlant – le chef des travaux. Mais l’énoncé exploite pourtant un mode d’attribution résolument libéral, le concours, qui toutefois – toujours étymologiquement parlant – veut d’abord dire «courir ensemble». C’est sur ce mode qu’est pensée la procédure: que chacun envoie un projet, une idée, sous une forme libre, puis une grande discussion collective sera organisée.

Au moment de son lancement, les initiants n’ont pas de budget, ils n’ont pas étudié précisément les règlements et ne se sont pas renseigné sur le classement probable du jardin. Ils ne savent pas ce qu’il est «permis de faire», s’en moquent peut-être, car ils ne savent pas non plus quelles ressources ils pourront mobiliser. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’ils lancent le concours d’idée, plaçant l’intérêt politique (que veut-on) avant l’économique (que peut-on). Les idées au-dessus des hommes: le concours n’a pas non plus de jury. Ce point est délicat, car la discussion autour des projets doit bien être modérée par le comité du CIRA… dont l’un des membres participe au «concours». Cela ne représenterait pas un problème, nous a-t-on dit, car l’enjeu véritable ne porte pas sur un mandat, mais sur la réflexion collective autour des différentes options posées sur la table. En étudiant les rendus, on est forcé d’admettre que ces travaux désintéressés peuvent effectivement montrer des pistes inattendues.
Stratégies

Comme tout le monde est invité à participer, parmi les groupements formés essentiellement d’architectes et de quelques archivistes, on trouve deux enfants dont les projets se distinguent. La première, quatre ans, formule en quelques coups de crayon un projet critique résumé dans la légende: «On ne construit pas dans le jardin.» Le parti pris révèle une posture partagée par de nombreux concurrents: il faut économiser les ressources, reconnaître la valeur de l’existant, protéger les arbres, ne pas condamner les sols, construire le moins possible. L’enfant donne ainsi une leçon à un ancien professeur de l’EPFL, dont le projet consiste à enterrer dans le jardin un important volume en béton armé.

Les autres rendus se divisent en deux partis. Le premier conduit à densifier l’intérieur, par des travaux de menuiserie élaborés. Une des options révèle le potentiel de la cave, en se concentrant sur des dispositifs strictement environnementaux: crépi minéral, radiateur et régulateur hygrothermique. Un second groupe de projets propose d’agrandir l’existant, mais toujours avec des matériaux dont l’impact environnemental est jugé peu important: matériaux biosourcés, bois, terre, paille.

Une équipe retourne le problème. Puisque le CIRA est lié à son jardin, pourquoi ne pas mettre celui-ci au centre du projet en déployant les collections le long du mur d’enceinte. «Nous proposons quelque chose d’utopique, difficile à réaliser mais pas impossible» – la solution technique pour protéger les ouvrages de l’humidité n’est pas livrée, mais s’envisage. Les ouvrages précieux, quant à eux, resteraient bien à l’abri dans la maison. Économique, la solution ne dérogerait pas non plus aux règlements de construction.

Le «concours d’anarchitecture» n’est pas un concours de projet, mais de stratégies. Les méthodes d’expression diffèrent, accompagnant au mieux celles-ci. Lors de la discussion, l’association a réalisé que les projets ne se concurrencent pas forcément, qu’ils peuvent même se compléter, s’inscrire dans la durée d’une association qui réfléchit à son évolution. Plusieurs mesures pourraient être réalisées dans un premier temps: assainissement de la cave, densification des rayonnages à l’intérieur et déploiement le long du mur périphérique; avant d’envisager une suite, une extension, voire un volume neuf, si le centre trouve les ressources pour accompagner cette ambition. Nul ne sait à l’heure actuelle où mènera la démarche non conforme et si l’engagement des concurrents finira par provoquer des conflits, lorsque la question de l’attribution de mandats finira par jaillir dans les discussions. Tout travail mérite salaire, lit-on dans la Bible. Mais si ce petit concours sans vainqueur peut irriter, il ouvre une réflexion passionnante sur la nature même de la compétition.

Verwandte Beiträge