Un mo­ra­toire sur les con­s­truc­tions nou­vel­les

Que propose l’architecte, quand on lui soumet un problème? Que propose le pommier, quand on lui soumet un problème? Une pomme, bien sûr; eh bien l’architecte, lui, propose toujours des bâtiments; chaque problème débouche sur un bâtiment […] : ces «solutions» sont proposées aujourd’hui à la place des stratégies. – Lucius Burckhardt, 1967

Publikationsdatum
14-06-2021

Le secteur de la construction engendrerait près de 40% des émissions mondiales de dioxyde de carbone. En Suisse, La loi sur le CO2, soumise au vote au moment où nous écrivons ces lignes, propose des objectifs indispensables mais insuffisants. Un «changement de paradigme» est demandé par plusieurs initiatives, comme Countdown 2030, Architects Declare ou Architects for Future, avec des propositions plus ou moins engageantes de la part des architectes. Pour Climate Strike, il s’agit d’atteindre la neutralité carbone non pas en 2050, mais en 2030 déjà. Ce mouvement propose un Plan d’action pour le climat (CAP) en 138 mesures. La toute première concerne directement les architectes: il s’agit d’un moratoire sur les constructions nouvelles1. Ne plus construire – avec des exceptions, évidemment : les constructions qui ont un effet positif sur le climat ou qui répondent à un besoin urgent. Ceci pourrait doper le secteur de la transformation, par ailleurs toujours grandissant.

L’idée d’un moratoire mondial fait son chemin dans les discussions académiques, en soulevant la question du rôle de l’architecte dans un tel cadre. Les nouvelles constructions ne sont pas seulement coûteuses et destructrices, elles sont également inutiles, assure Charlotte Malterre-Barthes, qui a initié une série de rencontres à GSD Harvard autour de la question. « La Banque Mondiale estime que la population mondiale devrait se stabiliser à partir de 2050, explique-t-elle. Non seulement dans de nombreuses régions, comme le Japon rural, des dizaines de bâtiments sont vides, en décrépitude, mais dans d’autres régions dynamiques nécessitant par ailleurs infrastructures et logements, la construction résidentielle alimente la spéculation plutôt que les besoins, et des quantités de logements sont vacants. »

Pourtant, les architectes continuent de faire des bâtiments. Et les pommiers des pommes. «Un tel moratoire, même temporaire, même limité aux nations extractivistes, c’est la perspective de changer une fois pour toutes le cahier des charges de l’architecte», explique Charlotte Malterre-Barthes. Celui-ci deviendrait le «gardien» ou le «soignant» [caretaker] de notre environnement. «Dans un tel cadre, la pratique de l’architecture s’assimilerait à un travail continu de soins, et la définition d’une œuvre d’architecture s’élargirait au-delà du momentané.» L’architecte devrait-il s’inquiéter? Pas forcément, car dans ce nouveau paradigme, il s’avère indispensable: il effectue des relevés, consulte, répare, augmente, transforme, adapte, recycle, etc. Il devrait bien plus s’inquiéter de perdre son rôle dans le mode opératoire actuel, qui lui échappe de plus en plus, et qu’une entreprise totale et quelques bons logiciels pourraient bientôt remplacer.

Note

 

1.  «Aucune nouvelle construction traditionnelle ou infrastructure des transports entre 2021 et 2030. Les permis de bâtir et d’aménagement se limiteront à des projets de rénovation ou de réadaptation pour les constructions et infrastructures existantes.»

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