De quel bo­is le gym­na­se du fu­tur est-il fait?

Le projet «Rose des Vents», du bureau genevois Giorgis Rodriguez Architectes, a remporté l’ambitieux concours du gymnase du Chablais, à Aigle (VD): il s’agissait de concevoir non seulement un nouvel établissement avec une architecture en bois, mais aussi de développer un modèle reproductible sur l’ensemble du canton de Vaud. Retour sur un concours hors du commun qui a mobilisé 40 équipes multidisciplinaires.

Publikationsdatum
18-05-2021

Quelle est l’architecture des écoles du futur? Voilà la question ambitieuse qu'espazium propose comme fil rouge à la lecture du rapport du jury du concours pour le gymnase d’Aigle. Le nouveau gymnase vaudois prend place sur le site de l’ancien hôpital, qui sera démoli. Il est le premier à sortir de terre depuis la réalisation du centre d’enseignement de Renens en 2016. C’est donc un projet dont la portée symbolique dépasse le Chablais, comme l’a rappelé la conseillère d’État Cesla Amarelle en conférence de presse à l’annonce du résultat. Il a pour ambition de permettre le développement d’un modèle reproductible applicable à l’ensemble du canton de Vaud, qui devra compter avec 2300 nouveaux gymnasiens d’ici cinq ans. Ce concours, indique le rapport du jury, a donc aussi pour ambition de créer un prototype, à l’image de ce qu’était le système C.R.O.C.S. au cours des années 1970 [lire l'encadré], sans toutefois «produire un modèle figé et institutionnel qui serait cloné aux quatre coins du canton.»1

Le gymnase du futur est en bois

L’option d’une structure bois était la donnée première du concours : un choix qui propose de mettre la tectonique au cœur des discussions, certes, mais également un choix politique. Le bois s’impose désormais comme la solution privilégiée par les services publics en matière de construction durable, bien que la pénurie actuelle du bois de structure entraîne une fluctuation inquiétante des prix. Circuits courts, ressource renouvelable, éléments pré­fabricables, esthétique écologique, confort sensoriel… Depuis quelques années, le bois est le seul matériau qui se voit désormais imposé dans les concours de projets, aussi bien ouverts que sur invitation. Cette tendance s’est d’abord vue au sein des communes qui disposaient de ressources à valoriser ; aujourd’hui, le choix de la construction bois émane du Canton. Un saut d’échelle intéressant pour un matériau encore utilisé marginalement dans le gros œuvre en Suisse romande, bien que depuis quelques années les projets d’écoles qui ont privilégié ce choix constructif se multiplient: l’école d’Orsonnens en 2014, le gymnase de Meyrin en 2020, l’agrandissement de l’école enfantine et primaire de Givisiez en 2021, pour n’en citer que quelques-uns.

Le gymnase du futur est «habile et raisonnable»

C’est ainsi que le jury décrit le projet lauréat «Rose des vents» – l’école du futur s’annonce certes moins futuriste que prévu, mais elle s’illustre par la série d’opérations claires et précises de l’équipe composée du bureau d’architectes genevois Giorgis Rodriguez, des ingénieurs civils de EDMS SA, des ingénieurs CVSE de Weinmann-Energies SA et SRG Engineering et des spécialistes bois de Charpente Concept SA.

Le projet se distingue d’abord par son implantation, qui identifie deux zones sur la parcelle de l’ancien hôpital : à l’est, le long des rails (dans une zone soumise aux mesures OPAM2), sont situés les terrains de sport. À l’ouest, le long de la zone villas, les architectes implantent le volume du gymnase, caractérisé par une forme compacte articulée en ailes de moulin, de deux niveaux sur rez-de-chaussée, et qui se donne à lire comme quatre éléments rassemblés autour d’une cour. Cette fragmentation en quatre éléments distincts – qui accueillent chacun, au rez-de-chaussée, un programme commun (salle de sport triple, aula, cafétéria et médiathèque) – permet deux choses: d’une part, de distribuer des entrées sur les quatre côtés du volume; et d’autre part, dans un autre contexte, ces quatre éléments pourraient s’implanter à des niveaux différents et ainsi s’adapter à la topographie d’un terrain plus vallonné. Aux étages, ce fractionnement est repris et quatre clusters d’enseignement sont articulés – les salles de classes en périphérie, pour offrir des vues lointaines sur les montagnes, les salles spéciales en cœur, en lien avec des patios formulés comme espaces récréatifs protégés.

Le gymnase du futur parle un langage commun

Ce qui frappe l’œil familier des concours romands, c’est la ressemblance étonnante du lauréat du concours du gymnase du Chablais avec celui de Meyrin, remporté l’été dernier par GDAP architectes : un volume unique en aile de moulin, percé de patios, de deux niveaux de classes sur un rez-de-chaussée commun. Même la façade adopte un langage similaire. Pourquoi de telles similitudes ? La typologie du gymnase en bois aurait-elle déjà atteint son paroxysme ?

Les autres concurrents ont pourtant proposé des alternatives : ainsi les projets «Kapla» du bureau Esposito + Javet ou encore « Éventail » de Enric Argemí Architecte suggéraient de séparer le programme en trois volumes distincts; «Les trois cépages» de Dolci Architectes s’exprimait sous la forme d’un volume unique, mais articulé de manière tripartite ; enfin le projet compact des « 1000 tables » de Jan Kinsbergen, Studio Urbaite et Studio David Klemmer proposait une véritable « machine à enseigner », toute de verre et de métal vêtue. À la lecture des résultats, il semblerait que ce ne soit pas la forme ou l’expression architecturale qui ait remporté les faveurs du jury, mais la maîtrise rigoureuse des différents aspects du projet : développement durable, construction rationnelle en bois, implantation… Si l’ambitieux projet des «1000 tables» proposait un système constructif très sophistiqué – composé de piliers en bois rond, de dalles composites et de diagonales de stabilisation assumant à la fois le contreventement de la structure et le franchissement de portées importantes –, c’est néanmoins la simplicité et la potentielle rapidité d’exécution de « Rose des vents » qui a séduit le jury. Le langage architectural du projet est en effet une application directe de la production courante contemporaine, qui permettra à toute entreprise adjudicataire de préfabriquer les éléments bi ou tridimensionnels. On pourrait en déduire que la tectonique du gymnase du futur est un langage qui doit être parlé par le plus grand nombre.

Le gymnase du futur est low-tech et tectonique

Il semblerait à la lecture du rapport de jury que tout concurrent ayant pratiqué un usage trop abusif du béton s’est vu écarté. Le projet lauréat expose non seulement l’ossature bois, pour offrir au bâtiment un langage unitaire et une identité forte, mais adapte de manière rigoureuse et parcimonieuse tout autre matériau à la trame. La salle triple de sport sera certes en béton pour minimiser la consommation de matériau, mais seule l’aula, de portée trop importante, possèdera des sommiers en bois lamellé-collé. Le reste de la structure sera en bois massif. Régie par une trame de 275 cm de largeur et d’une portée de 825 cm, la structure adopte comme unité de base la salle de classe. Les planchers sont mixtes, et les architectes ont pour ambition de recycler le béton armé de l’ancien hôpital pour les réaliser.

«Rose des vents» semble simple, mais d’une simplicité qui propose une lecture intelligible des tracés qui tendent le bâtiment: système statique, descentes des charges, dispositifs climatiques et usage du matériau. Il y règne une impression d’ordre, une logique constructive humble et intelligente. Des coursives en béton préfabriqué sont portées par les poutres saillantes; elles deviennent à la fois brise-soleil et échafaudages utiles à l’entretien et l’usage. Derrière un claustra réalisé en chêne, les impostes vitrées répondent à celles situées au-dessus des portes des classes et permettent de ventiler le bâtiment de manière passive et naturelle, grâce aux patios intérieurs qui attisent l’effet de cheminée. À l’intérieur, les installations techniques sont laissées visibles entre les solives.

Le gymnase du futur comme espace d’expérimentation

Alors certes, le futur possède un petit air de déjà-vu. On pourrait regretter que les solutions alternatives proposées – comme les briques terra-bloc de Esposito + Javet ou les coursives en métal du consortium de Jan Kinsbergen – n’aient pas été privilégiées. De même, le plan du rez-de-chaussée ressemble furieusement à celui du groupe scolaire ESII Meyrin, mais il a acquis une précision qui le transfigure et qui place la question du rapport entre espace et système constructif au cœur du projet; la méthode d’enseignement a évolué, le couloir est désormais compris comme un prolongement de la classe, et non comme un lieu de stricte circulation. Ce n’est pas par son originalité, mais par sa clarté et sa rigueur que le projet lauréat séduit.

Si le concours du Chablais couronne la solution la plus «habile et raisonnable», sa procédure même – ouverte et multidisciplinaire – a offert au canton un exceptionnel catalogue de solutions constructives et stimulé les bureaux de la région pour poursuivre le développement de ces structures. Ce concours, au-delà des promesses politiques, a permis un espace d’expérimentation, d’exploration et d’échange indispensable autour du bois.

Parer à l’obsolescence d’un modèle constructif

 

En 1972 est remis à la Ville de Lausanne le rapport du C.R.O.C.S (Centre de rationalisation et d’organisation des constructions scolaires). Celui-ci émane du Centre international de la construction scolaire (CICS), constitué à l’initiative de l’UIA (Union internationale des architectes) pour établir des standards internationaux sur les constructions scolaires au moment d’une forte poussée démographique. Ce centre, basé à Lausanne, réunissait un comité d’experts regroupant notamment Jean Prouvé et Jean Piaget.

 

Le système de construction scolaire développé par le C.R.O.C.S. était en acier3, résultat d’une collaboration multidisciplinaire entre architectes, ingénieurs, pédagogues, économistes et l’administration de la ville de Lausanne. Basé sur une structure composée de poteaux circulaires encastrés et de poutrelles de 45 cm de hauteur, ce système a été utilisé pour la construction de 27 établissements scolaires, principalement en Suisse romande. Parmi eux, on peut notamment relever les collèges lausannois des Bergières et de Coteau-Fleuri, ou encore l’école professionnelle commerciale de Lausanne, à la Vallée de la Jeunesse. Standardisé, contreventé et flexible, ce système permettait de faire des économies à deux niveaux : sur les délais de réalisation, d’une part, mais aussi sur les prix de la construction (inférieurs à 10 à 15 % aux prix traditionnels)4. Néanmoins les écoles C.R.O.C.S. ont rapidement montré d’importants défauts d’isolation et d’étanchéité, qui ont nécessité une rénovation importante, après une vingtaine d’années d’existence seulement5. L’augmentation du prix du pétrole, survenu en 1976, a fait exploser le coût du chauffage des bâtiments réalisés. Enfin, la modularité du système se heurtait à des difficultés constructives imprévues6.

 

Le concours du Chablais s’inspire du C.R.O.C.S., tout en s’efforçant de ne pas reproduire les mêmes erreurs. Aujourd’hui, le système développé est certes modulable et reproductible, comme son ancêtre, mais en bois indigène. L’avenir nous dira si la modularité du système permettra de l’adapter à différents contextes.

 

Notes

 

1. Rapport de jury

 

2. Ordonnance sur la protection contre les accidents majeurs.

 

3. «Système constructif C.R.O.C.S.», Bauen + Wohnen = Construction + habitation = Building + home: internationale Zeitschrift. 27 (1973). Schulbauten = Écoles = Schools.

 

4. «CROCS, une mission d’homme-orchestre: adapter l’architecture à la pédagogie.», Habitation: revue trimestrielle de la section romande de l’Association Suisse pour l’Habitat. 45 (1974).

 

5. Geneviève Heller, Écoles de Lausanne, notice de travail, 2007.

 

6. Dave Lüthi [dir.], Lausanne – Les écoles, Berne, Société d’histoire de l’art en Suisse, 2012, p. 32. Cité dans l’énoncé théorique de Johan Cosandey, EPFL – ENAC 2016, qui offre un excellent résumé de l’histoire du système C.R.O.C.S.

 

 

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