Des mu­sées su­is­ses her­mé­ti­ques

Éditorial du numéro de février 2021 de la revue TRACÉS

Publikationsdatum
22-02-2021

L’événement de ce début d’année est certainement l’achèvement de l’extension du Kunsthaus Zürich, qui deviendra le plus grand complexe muséal de Suisse. D’aucuns auront remarqué que la façade verticalisée ressemble étrangement à celle du Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne (MCBA), ouvert en 2020, mais avec un peu moins de punch et surtout du laiton et du granit helvétique en lieu et place de l’acier inox et des briques industrielles allemandes. Plus grand, plus beau, plus cher – c’est le musée des superlatifs. Pourtant ce musée-là non plus n’invente rien. Si les deux bâtisses se ressemblent, ce n’est pas seulement dans leur caractère impénétrable, c’est aussi à leur façon de reproduire les typologies, les circulations et mêmes les ambiances des bâtiments dont ils prennent la suite (Palais de Rumine à Lausanne, Semperbau à Zurich), soit les dispositifs muséaux inventés au 19e siècle.

Le somptueux projet de David Chipperfield Architects est un exemple de weiterbauen respectueux, sage et poli, au point de mimer les bâtiments existants sur le site pour ne pas en diminuer leur importance, et donc de figer l’ensemble dans une époque qui n’est plus, celle de la nostalgie. Son architecture sublime le consensus, cet art de contenter tout le monde et, surtout, de ne froisser personne. Avec sa classe désuète, le musée de Zurich le confirme : rien de nouveau dans l’architecture muséale suisse. Malgré les nombreux modèles innovants à l’étranger1, les musées d’arts suisses, de Bâle à Coire, de Lausanne à Zurich, s’assimilent encore à des coffre-fort monumentaux et hermétiques, de puissantes cathédrales de béton où l’on exhibe aujourd’hui, avec un certain cynisme, des œuvres inspirées de «l’Anthropocène». Qu’un tel programme montre si peu d’évolution en un siècle semble incompréhensible, alors que les pratiques artistiques n’ont cessé entre-temps de se réinventer, de sortir des enveloppes institutionnelles et physiques qui cherchaient à les confiner : land art, body art, environmental art, street art, etc. Par-dessus tout, pourquoi les arts sont-ils toujours cloisonnés ? Nous avons besoin de centres culturels interdisciplinaires.

Le Kunsthaus Zürich s’articule autour d’un hall impressionnant, qui devrait rester ouvert à tous, même si rien n’y invite. Des accrochages devraient être organisés entre les gigantesques murs de béton poli. J’ai demandé si ces surfaces pourraient également être mises à disposition des artistes de rue pour y peindre, puisqu’il s’agit d’un espace public. (À Zurich, les graciles silhouettes graffitées par Harald Näggeli, autrefois effacées, sont aujourd’hui protégées). On m’a répondu qu’il fallait poser la question à l’architecte, David Chipperfield, qui contrôle l’image de son œuvre. Le débat est intéressant : considère-t-on encore aujourd’hui l’architecture comme une œuvre finie? Ou est-elle au contraire une infrastructure, un dispositif évolutif, appropriable ? Il faudrait poser la même question aux concepteurs du MCBA de Lausanne: considèrent-ils leur architecture comme achevée, finie, intouchable, ou peut-on exploiter la grande surface aveugle côté rail pour réaliser des fresques? Autrement dit, l’architecture muséale se tourne-t-elle exclusivement vers l’intérieur ou vers l’extérieur des murs?

Devant l’exigence de construire «un musée pour tous», les deux nouveaux musées s’articulent autour d’une place publique extérieure, censée bousculer nos conceptions. Celle de Zurich, pour l’heure, est un échec (lire De Temple de l’art à En­semble ou­vert). Ce n’est pas demain qu’elle deviendra la place des arts tant espérée. Celle de Lausanne, en revanche, porte des espoirs, car le véritable projet est, «la rue des arts» située au cœur du dispositif. Le complexe a tout le potentiel de devenir un lieu unique, à condition que l’art sous toutes ses formes puisse s’y manifester, dedans et surtout hors les murs.

Note

1. Voir l’étude publiée dans werk, bauen und wohnen, 10/2020

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