In­té­rieurs. No­tes et fi­gu­res

Le pavillon belge de la 14e Biennale d’architecture de Venise s’intéresse à ce que l’architecture aurait renié: l’espace intérieur

Data di pubblicazione
25-07-2014
Revision
23-10-2015

Notre architecture a renié l’espace intérieur, l’espace de vie, pour se focaliser sur l’enveloppe. Les principes savants tracent le grand dessein de la modernité et délaissent nos maisons. C’est ce que prétend la Fédération Wallonie-Bruxelles, qui occupe le pavillon belge et qui s’est intéressée à ce qui se passe à l’intérieur des espaces habités. 
L’exposition franchit l’imperméabilité des façades pour étudier les intérieurs en perpétuelle transformation d’un millier de logements. Les curateurs Sébastien Martinez Barat, Bernard Dubois, Sarah Levy et Judith Wielander font ressortir les caractéristiques des paysages domestiques au travers d’un travail photographique de cinq mois mené par Maxime Delvaux sur l’ensemble du territoire belge. Cette recherche sur les processus de transformation de l’aménagement des appartements amène à penser la modernité non pas comme un phénomène d’absorption, mais comme un fait lui-même absorbé. 
L’exposition se base sur le livre Intérieurs. Notes et Figures1, publié par la Fédération Wallonie-Bruxelles, qui tente de constituer le vocabulaire de cette culture. Le quotidien est dénudé, décortiqué, exposé. Les curateurs du pavillon ont extrait de cette étude l’essence de certaines dispositions spatiales, qui ont été interprétées sous forme d’installations.
Un des premiers principes semble être celui-ci: «Un ensemble hétéroclite trouve dans la teinte son principe de communauté». Le visiteur pénètre donc dans un univers blanc, synthèse entre l’abstraction formelle artistique et l’atmosphère aseptisée d’une étude scientifique. Le pavillon est envahi d’une lumière douce, diffuse, isotrope.
Comment s’approprie-t-on l’espace et de quelles règles usons-nous tacitement pour le définir? 
Ce qui pourrait relever de la banalité la plus absolue au regard du profane est, dans une large partie de l’exposition, la pièce maîtresse du sujet; il s’agit du mobilier standardisé. Chaises, armoires, frigidaires et étagères sont mis en scène dans le pavillon. Mais ces meubles ne sont pas les seuls moyens de fixer des limites spatiales. Ainsi, une baguette de bois court dans l’espace: de plinthe elle se mue en montant de porte, puis en linteau. Simple trait blanc qui dessine dans le vide les contours d’un volume, d’une pièce, qui possède murs et ouvertures, visibles bien qu’intangibles. Une limite spatiale à peine esquissée que notre inconscient se charge de reconstruire.
De même, les différents matériaux utilisés pour le revêtement des surfaces peuvent nous donner la sensation diffuse d’une structuration spatiale qui permet la naissance de plusieurs programmes au sein d’une même pièce. La salle est coupée en deux, dans la diagonale: d’un côté du béton, de l’autre du carrelage. Une frontière qui tire son origine du langage utilitaire. Et qui semble incongrue dans un univers d’abstraction pure.
Le visiteur est donc en présence de murs blancs de matérialités différentes, d’un mobilier standardisé, et, troisième point clef de la scénographie de l’exposition, de pages au format A5 collées sur les parois. Extraites directement du livre Intérieurs. Notes et Figures, elles montrent des photographies d’appartements belges, accompagnées de légendes. Ces feuilles constituent une sorte de catalogue d’intérieurs vernaculaires.
Une photo expose une pièce qui semble dépourvue de sens, en raison de son utilisation contradictoire: à gauche, deux fauteuils, placés l’un à coté de l’autre contre un mur, avec devant eux une table basse. On s’attend à trouver en face de ces deux sièges vides une télévision, un autre canapé, une baie vitrée... Pourtant, à droite, c’est un mur carrelé de cuisine dépossédé de son équipement qui leur fait face. La brutalité d’un mur nu, froid et tout juste pillé. Une pièce en transition, ni salon, ni cuisine, un entre-deux impossible et provisoire. 
Une autre page montre des chaises appuyées contre un mur dans un institut spécialisé. Une plinthe en bois a été collée contre la paroi à la hauteur des dossiers, afin d’éviter que ceux-ci n’usent le papier-peint. Les chaises, poussées contre le mur, semblent accrochées à cette baguette de bois. Dans l’exposition, cette illusion se transforme en réalité et est poussée jusqu’à l’absurde, puisque des sièges collés le long des murs sont reliés les uns aux autres par une barre blanche.
Un troisième extrait présente un alignement d’appareils d’électroménagers blancs : une machine à laver, un sèche-linge, un lave-vaisselle, un frigidaire. Un meuble de rangement d’apparence similaire s’est glissé dans ce rang ordonné. «Par analogie, l’apparence normée d’un mobilier technique devient un effet de style», peut-on lire sous la photographie. On ressent un malaise: on se trouve face à des objets quotidiens, qui devraient paraître familiers, et qui pourtant nous amènent à questionner l’évidence, à remettre en question un langage architectural tacite qui nous semblait acquis depuis la modernité.
Plus loin dans l’exposition, cette fois sous forme d’installation, on retrouve la même disposition d’appareils mis côte à côte le long d’un mur. Dépourvus de leur aspect purement fonctionnel, ces objets deviennent incongrus, irréels. Comme des mots trop répétés qui auraient perdu leur sens, les deux frigidaires et l’armoire qui se côtoient paraissent étrangers à notre civilisation. On se surprend à les ouvrir, espérant retrouver la lumière familière ou le plein rassurant qu’ils sont supposés abriter. Peine perdue: ce sont des objets vides, similaires à des mots qui ne racontent pas d’histoire, placés docilement les uns à côté des autres comme un lexique qui ne prendrait sens qu’une fois que la vie aurait usé d’eux.
C’est sur cette ambiguïté que les curateurs du pavillon belge jouent: le décalage entre l’architecture et les formes d’appropriation qu’on peut en avoir. Au travers d’une mise en tension du réel et de ses possibles, ils nous font redécouvrir ce qu’on analyse le moins: notre intérieur quotidien.

 

Note

1. Intérieurs. Notes et Figures / Interiors. Notes and Figures, Editions de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Cellule architecture. En partenariat avec Wallonie-Bruxelles International et  A+ Architecture in Belgium  

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