La li­ber­té n’a pas de prix

La Fabrique, pavillon conçu en fenêtres recyclées, est un projet emblématique de la démarche des architectes de Bureau A : une soif de réalisation et de liberté qui s’épanouit principalement dans de petits projets.

Data di pubblicazione
30-01-2014
Revision
13-10-2015

Dans l’entretien qu’il nous a accordé (lire article lié), Kengo Kuma souligne que les projets de grande envergure ne sont plus aussi porteurs et gage de notoriété. Pour le bâtisseur japonais, le 21e siècle pourrait être celui des « petits projets ». Même si sa conception de ces derniers reste étroitement liée à l’expérimentation pour de plus grands projets, quelques signes semblent donner raison à son intuition. Des agences comme Ecosistema Urbano – bureau madrilène qui place la communauté au cœur de son approche architecturale et de sa démarche constructive – enseignent à la Harvard Graduate School of Design. Certains sites et blogs d’architecture de référence placent côte à côte le dernier projet du campus d’Apple par Foster + Partners et une multitude de projets de petite envergure. Parmi eux, la très belle réalisation temporaire d’un théâtre en bois (on the Fly) du collectif anglais Assemble, la rénovation par les Athéniens de Point Supreme d’un magasin de fleurs de 40 m2 à Patras, ou encore la Fabrique. A l’origine de cette dernière, publiée sur Dezeen, Inhabitat ou encore designboom, les deux architectes genevois de Bureau A.
Fondé en 2012 par Daniel Zamarbide et Leopold Banchini, ce bureau s’est vite distingué par sa démarche particulière, non dépourvue d’une certaine liberté et donc radicalité, et qui évolue aux frontières de l’architecture, de la scénographie et de l’art ; ce qu’Olivier Kaeser, directeur du Centre culturel suisse à Paris, a très habilement appelé une « architecture en perruque »1, relevant la démarche hybride des deux associés. Ces derniers ont été récompensés en 2013 par le Swiss Art Awards pour l’œuvre « Parole, Champ-Dollon 1/24 », une reproduction à l’échelle d’une souris d’une partie de la prison de Champ-Dollon, qui semble s’inscrire dans la réflexion critique de l’Atelier Van Lieshout. 
Issus de deux mondes architecturaux éloignés2, c’est autour d’une certaine idée de la pratique de l’architecture et notamment de l’engagement politique et social que Leopold Banchini et Daniel Zamarbide se sont retrouvés. « Nous n’avons pas la volonté ultime de construire des bâtiments exceptionnels. Sans en faire un créneau, le bureau se concentre actuellement sur des petits projets. Nous prenons beaucoup de plaisir à créer des situations architecturales et nous ne ressentons pas la nécessité de laisser une trace derrière nous », soulignent les architectes. Même s’ils s’en défendent, leur définition d’un petit projet est plutôt précise. Au centre de cette dernière, les notions de temporalité et de spontanéité. Qu’il s’agisse du temps de décision, du processus créatif et constructif ou même de la durée d’existence de l’œuvre, le temps – court – est au cœur de la démarche de Bureau A. Etroitement liée, la notion d’autonomie vient s’ajouter à cette définition. Néanmoins, leurs projets répondent toujours à une commande – ce qui les différencie d’une démarche purement artistique. L’investissement des deux architectes pour chacun de leurs projets est permanent, de la conception à la réalisation. En pratiquant l’autoconstruction, il leur arrive parfois de perdre de l’argent sur certaines réalisations. 
Bel exemple de cette démarche en marge, la Fabrique est un pavillon situé dans le jardin d’une maison communautaire à Genève. Espace polyvalent – jardin d’hiver, lieu de travail où l’on peut s’isoler ou encore simple espace de rencontre –, il a été construit en un week-end par les architectes et les commanditaires pour la modique somme de 500 francs. Imaginé dans un premier temps en éléments en polycarbonate, les architectes ont vite dû chercher une autre solution faute de budget. C’est donc par nécessité et non par souci écologique qu’ils se sont tournés vers des matériaux recyclés. Les vieilles fenêtres ont toutes été fournies gratuitement par une entreprise de démolition et un vitrier. Le dessin a ensuite été adapté aux dimensions des cadres. La vingtaine de fenêtres ont été assemblées sur une structure asymétrique en lambourdes également construite sur place. 
Dans ce projet, la référence omniprésente à Buster Keaton et à son film One Week soutient leur démarche – leur « situation architecturale » ; elle fait disparaître les architectes et place au premier plan le processus constructif et les usagers du projet. Dans le film de 1920, Keaton (Buster Keaton) et Seely (Sybil Seely) reçoivent en cadeau de mariage une maison en kit qui se construit en une semaine. Un amoureux jaloux change les numéros des caisses et le film raconte en autant de situations comiques les difficultés rencontrées par Keaton lors de la construction. Dans One Week, Buster Keaton explore l’architecture en kit, démontable et mobile des maisons vendues dans les catalogues Sears Modern House3. Une architecture sans architecte également soulignée spontanément par David Gagnebin-de Bons, dont les photographies de la Fabrique (images 1 et 2) font explicitement référence au travail de Walker Evans pour la Farm Security Administration. Chargé de documenter les effets de la crise de 1929, Walker Evans tire le portrait de nombreuses familles américaines, dont certaines posent fièrement devant leurs maisons construites de leurs mains. 
Déjà récompensée – Bureau A a été sélectionné par le S AM (Musée d’architecture suisse à Bâle) pour l’exposition Junge Schweizer Architektur en mars prochain –, cette démarche, qui intègre plaisir, spontanéité, utopie et donc engagement critique envers une certaine orthodoxie, donne quelques réponses intéressantes aux questions posées par la crise économique et par celle du logement : pour combien de temps construisons-nous ? Pour qui construisons-nous ? Ce que nous construisons n’est-il pas amené à évoluer, être déplacé ou tout simplement rapidement détruit ?

 

Notes

1. Olivier Kaeser (2012) « L’architecture en perruque » in : Novembre (n° 6, Fall/Winter 2012) 
2. Daniel Zamarbide est cofondateur de group8 qu’il a quitté en 2011 et Leopold Banchini a fondé 1/100, structure dont la pratique s’inscrivait déjà en marge, par la conception de projets itinérants et éphémères. 
3. C’est en 1908, que la compagnie Sears a commencé à vendre des maisons entièrement en kit. En 1940, plus de 100 000 maisons avaient été vendues (www.searsarchives.com/homes).

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