Fi­lip­po Bo­lo­gne­se: pein­tre nu­mé­ri­que des ar­chi­tec­tes

À la tête d’une des usines d’atmosphères numériques les plus primées en Suisse en matière de concours d’architecture, Filippo Bolognese et Clara Lopez nous ouvrent les portes de leur agence à Milan pour partager leurs expériences et leurs pensées quant à l’influence et le rôle des images dans l’architecture contemporaine.

Data di pubblicazione
26-10-2021

Dans une discipline aussi concurrentielle que celle des concours d’architecture, la représentation visuelle d’un projet n’est pas des moindres. Elle distingue l’ambiance et la vie d’une œuvre non construite de ses concurrents directs.

Reconnu internationalement pour sa sensibilité en matière d’atmosphères digitale, c’est dans le champ des visualisations d’architecture que Filippo Bolognese (1985) s’est construit en l’espace de quelques années une identité propre fondée sur l’hyperréalisme et la sobriété visuelle comme forme d’expressivité architecturale. À tel point qu’aujourd’hui son travail comme peintre numérique est le plus souvent associé à l’une des équipes primées d’un concours d’architecture en Suisse.

Pour partager sa pratique et ses pensées quant à l’influence et le rôle des images dans l’architecture contemporaine, espazium.ch part à la rencontre de F.Bolognese et sa partenaire Clara Lopez, depuis leur usine d’imaginaires intangibles à Milan.

espazium.ch: Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la plupart de vos images sont d’abord construites au crayon, puis transcrites à l’ordinateur. Pourriez-vous nous en dire plus sur ces premières phases de travail?

Filippo Bolognese (FB) : Cette première phase d’analyse d’un projet est en effet une étape passionnante à laquelle je donne toute son importance.

Lors de mes premiers échanges avec les architectes, j’analyse leur projet pour en extraire le meilleur récit possible. Le plus souvent, les premières perspectives sont en effet dessinées à la main. Comme architecte de formation, je retiens que la compréhension spatiale d’un projet doit avant tout être un processus mental et non pas une transcription numérique. Ces premiers croquis deviennent en quelque sorte la synthèse visuelle du projet d’architecture qui nous est présenté.

Clara Lopez (CL) : Je dois dire qu’il y a par ailleurs dans cet univers des illustrations de concours, un usage excessif de la «technique» de visualisation au détriment du concept architectural. Parfois, les images comportent tellement d’effets spéciaux, reflets, textures, couleurs, que le projet n’est plus l’objet principal de l’image. Dans notre cas, nous cherchons à ce que l’architecture soit au cœur de l’atmosphère numérique, tout en restant très «minimalistes» technologiquement parlant.

Sans une image séduisante, il s’avère difficile de gagner un concours d’architecture. Quel est le rôle des images dans l’architecture contemporaine?

FB : Tout d’abord, il faut dire que les 85% des images que nous produisons sont conçues pour des concours d’architecture qui impliquent des logiques très particulières. Nous évitons tous les mandats qui relèvent de la spéculation immobilière ou toute autre commande qui n’a pas pour intention de mettre en lumière une architecture de qualité.

Dans l’univers des concours, une « belle » image peut aider à gagner une procédure, mais je suis convaincu que c’est avant tout un bon projet qui recueille les faveurs du jury. Les images sont un support d’analyse en plus, mais les experts vont bien au-delà de l’apparence visuelle.

Pour ce qui est du rôle des images, nous poursuivons une intention bien précise : celle de raconter une histoire.

Chaque point de vue est pensé et construit pour exprimer une atmosphère déterminée mais surtout transcrire une narration forte du projet. Ce ne sont pas des images pour décrire une œuvre mais pour immerger son observateur dans un récit architectural bien précis. Et ce sont justement les histoires les plus intéressantes qui réussissent à construire les images les plus séduisantes.

Y-a-t-il des architectes qui font appel à votre expertise visuelle lors des phases de conception?

FB : Même si les images sont certes un instrument projectuel, nous ne sommes pas en mesure de co-constuire un projet avec les architectes car ils peuvent effectuer ce travail plus efficacement en interne, en utilisant leurs propres modèles 3D filaires ou autres.

En revanche, le travail que nous pouvons leur proposer est celui du regard « photographique ». Cette expertise visuelle est notre point fort et ce qui rend notre démarche d’artisans visuels très spécifique. En 2 ou 3 « photos », nous devons être capable de suggérer l’atmosphère d’un projet via la sélection d’un point de vue précis, d’une ambiance particulière, de son illumination, sa mise en scène, ses acteurs.

CL : Le plus souvent, les clients qui refont appel à nos services sont justement ceux qui se prêtent à ce regard externe de leur projet et nous laissent la liberté d’interpréter leurs concepts à notre manière via les images que nous produisons.

Vos images ont une identité personnelle reconnaissable. Quels sont les règles ou les caractères que vous répétez pour y parvenir?

FB : Contrairement à d’autres artistes visuels qui tentent de dissimuler au maximum la présence physique d’un bâtiment, notre sujet principal reste l’architecture et sa mise en valeur. Cette obstination pour représenter avant tout l’œuvre architecturale se justifie par le respect que nous avons envers le travail de nos confrères et nos consœurs architectes. Chose qu’ils apprécient énormément dans notre démarche.

Quant aux règles, nous suivons certains principes de base tels que l’utilisation de trois couleurs dominantes, de points de vue frontaux, de compositions tripartites ou de proportions dorées. Mais globalement, nous poursuivons une même intention commune : rendre nos images les plus silencieuses et calmes possibles tout en garantissant un grand pouvoir d’évocation.

Il y a quelques années, vous étiez employés d’un bureau d’architecture et vous voici après 6-7 ans à la tête d’une entreprise de 10 employés en pleine croissance. Est-il préférable de s’orienter vers la production d’images plutôt que vers la construction de bâtiments?

FB : Nous ne pouvons pas comparer notre travail comme producteur d’images à celui d’un bureau d’architecture qui produit des œuvres physiques. Dans notre cas, nous avons l’avantage de pouvoir travailler pour le monde entier en quelques clics, ce qui change considérablement notre rayon d’action.

Pour contredire l’opinion de ceux qui pensent qu’il vaut mieux ouvrir une agence dédiée aux images qu’aux projets d’architecture, la réponse est simple : nous sommes en mode « rendu de concours » tous les jours ! Avec la pression mentale et les responsabilités professionnelles que cela implique. Sans parler des enjeux économiques ou de l’effort intellectuel qui vont avec. Pour supporter un tel rythme de travail, il faut une énorme passion et beaucoup de sacrifices. Raison pour laquelle nombre de nos employés quittent le bureau après quelques mois de travail car ils s’aperçoivent que le métier d’« artiste visuel » n’est pas aussi « amusant » qu’ils l’imaginaient.

 

En l’espace de 6-7 ans depuis que nous avons lancé notre activité, nous en sommes à notre 890e commande.

 

CL : Ça parait facile mais il ne faut pas négliger le risque que nous avons pris quand Filippo a commencé à recevoir plus de commandes qu’il ne réussissait à en honorer. Nous devions quitter notre confort économique comme employés pour devenir entrepreneurs et former des personnes pour qu’elles travaillent à notre manière.

FB : J’aurais pu me contenter de faire quelques « rendus » par mois pour une poignée d’architectes, mais quand j’ai senti que de plus en plus d’architectes faisaient appel à nos services, j’ai commencé à me sentir vraiment honoré. Cette sensation, c’est ce qui m’a poussé à prendre le risque d’entreprendre ce parcours et je peux dire qu’aujourd’hui, ça compense tous les efforts pour y parvenir.

Submergé d’images, l’enseignement de l’architecture fait face à un phénomène sans précédents. Architectes de formation, quels conseils pouvez-vous donner aux étudiants en architecture?

CL : Il faut les encourager à étudier l’œuvre complète d’un auteur plutôt que de regarder 50 images d’auteurs différents. Il faut s’immerger dans les caractéristiques communes d’un même concepteur pour comprendre le caractère de son auteur et surtout explorer son identité. Cette construction de l’identité est en fin de compte ce que nous cherchons avec notre travail et ce que nous pouvons encourager de faire en s’éloignant de la volatilité qui caractérise la plupart des images que nous trouvons sur Internet.

Même si en quelque sorte nous participons à cette submersion d’images, j’aime penser comme l’artiste italien Enzo Cucchi que « l’architecture est un corps qui nous calme, nous oriente et nous éloigne de nos frayeurs ». Nous espérons produire le même effet avec notre travail.

FB : Je n’ai pas vraiment de « conseils » à donner, mais s’il y a une chose qui me vient spontanément à l’esprit, c’est de les encourager à fréquenter la bibliothèque et tout simplement à regarder des livres. Ils doivent apprendre à s’intéresser à l’œuvre complète d’un auteur et ne pas simplement s’arrêter à ses quelques images fétiches ou à collectionner des copies. Ma seule crainte avec ce bombardement d’images est de revenir à une époque néo-éclectique qui nuirait beaucoup à notre profession d’architectes. 

Quand le produit de notre travail est lié au monde de l’image, nous pourrions tomber dans le piège de l’ultra-communication, où tout ce qui est produit est publié jusqu’à satiété. Pour nous en éloigner, nous publions très rarement nos images et nous n’avons même pas de compte Instagram ou autre. C’est à vrai dire aux architectes de le faire, ce qui nous permet de rester concentrés sur notre travail et de garantir des résultats de qualité.    

En termes de représentation, les rendus du style « photo réaliste » sont dominants au niveau national. Comme « producteur visuel », comment percevez-vous cette évolution dans l’imagerie architecturale?

FB : Les images, peu importe le style de représentation, existent depuis des centaines d’années. Ce sont surtout les techniques de représentation qui sont en constante évolution. Certes, les styles ont changé et aujourd’hui nous pourrions dire que nous traversons une période orientée vers l’hyperréalisme.

Loin de là, nos images s’inspirent d’époques et de styles très variés. Nous apprécions particulièrement les représentations de la Renaissance du fait de leurs couleurs, leurs perspectives et leurs proportions mais aussi les collages de Mies van der Rohe ou de Superstudio pour leur expressivité. Ce qui est certain, c’est que l’image, peu importe l’émergence de nouveaux formats tels que la vidéo stéréoscopique ou l’immersion virtuelle, restera un mode de représentation d’actualité. Je serai par ailleurs très fière si un jour nous « faisons école » au travers des images que nous produisons.

CL : J’ai de plus en plus la sensation que cette perception du futur comme un monde « hypertechnologique » n’est qu’une illusion collective. Il y a quelques années, nous parlions des avatars et des hologrammes comme une technologie qui nous remplacerait en très peu d’années, mais ce n’est pas le cas pour une raison évidente : l’être humain se transforme plus lentement que la technologie. Pour orienter notre démarche dans cette direction, notre travail se concentre sur la construction d’une histoire spatiale pour que l’instrument de travail n’ait plus vraiment d’importance.

De quoi sont nourris vos imaginaires numériques?

FB : J’ai toujours baigné dans l’univers des beaux-arts. Depuis tout petit, je dessinais beaucoup et c’est surtout cette technique qui a orienté mon métier d’architecte vers la production des images. Le dessin réunit tout ce que j’aime dans mon travail : composition, proportions, clair-obscur, pleins-vides …

Mon imaginaire se nourrit aussi des « beautés » du quotidien. Tout comme les expositions d’art et de peinture qui sont une source d’inspiration inépuisable. Avec un peu de recul, je m’aperçois que des figures comme Canaletto, Hopper, Picasso, sont devenues de manière inconsciente mes référents artistiques.

Vous passez vos journées à voir, revoir et construire des atmosphères numériques? Réussissez-vous à vous en éloigner quand vous quittez votre travail?

FB : Ce n’est pas simple de se détacher de ces réalités parallèles, mais le plus souvent nous cherchons simplement à nous reposer, tant le degré de concentration, d’organisation et d’effort mental tout au long de la journée est important. Puis, bien entendu, nous consacrons depuis peu tout notre temps libre à notre fille âgée d’une année.

Quelles différences culturelles ou générationnelles pouvez-vous ressentir dans vos très nombreuses collaborations sans frontières?

FB : D’une part, nous travaillons de plus en plus avec des jeunes équipes qui sont celles qui ont le plus d’énergie et d’envie pour affronter l’étape des concours. D’autre part, il faut aussi dire que ces dernières années l’échelle des projets que nous traitons est de plus en plus grande. Le plus souvent, les images des projets de taille réduite sont en effet gérées en interne par les bureaux. Qu’il s’agisse d’architectes jeunes ou plus expérimentés, nous n’établissons aucune différence de traitement.

En revanche, nous sentons une différence notable vis-à-vis des différentes cultures architecturales auxquelles nous sommes confrontés. Ce n’est pas la même chose de travailler avec un architecte suisse, qu’avec un Américain, un Norvégien ou un Japonais. Nous partageons tous une culture commune, celle de l’architecture, mais au sein de chaque pays, il existe des subtilités et des nuances que nous devons comprendre pour les intégrer au produit final sous forme d’image.

CL : Je tiens à souligner que les jeunes bureaux sont extrêmement bien préparés, surtout en Suisse. Il s’agit d’équipes avec les pieds sur terre, très sérieuses, faisant preuve d’une organisation impeccable et d’un pragmatisme professionnel remarquable. Les engagements et les délais accordés lors des premières phases de travail sont respectés, ce qui rend nos échanges bien plus fluides et engendre une dynamique de travail plus efficace. Globalement, les relations de confiance s’établissent plus rapidement et cela se reflète par la suite dans le rendu de nos images.

Outre la croissance de votre agence d’images, avez-vous d’autres projets en vue?

CL : Nous avons au programme de lancer prochainement une publication pour parler de nos collaborations et de nos expériences avec les architectes très divers que nous avons côtoyés. Il ne s’agira pas d’une publication pour auto-promouvoir notre travail, chose que nous faisons très rarement, mais plutôt pour présenter le travail des autres au travers des images que nous avons réalisées pour eux. Il s’agit aussi d’une manière de parler de l’univers des concours d’architecture qui est un mécanisme de production architecturale remarquable et que nous aimerions promouvoir davantage.

FB : S’il y a une chose qui est formidable dans notre travail, c’est qu’agir dans un moment aussi intense et personnel que celui d’un rendu d’un concours nous permet d’être au plus près des architectes et de leur intimité conceptuelle. Je le répète très souvent à mes employés. Nous avons la chance de côtoyer les plus grands architectes contemporains. Et dans ce sens, nous sommes vraiment des privilégiés.

 

Liste des 26 derniers concours remportés - 2020/2021 :

(Titre des projets en langue originale)

 

1

Juin 2020

Nuove stazioni della funivia Verdasio-Rasa (TI). Architecte: Francesco Buzzi

 

2

Juin 2020

Campus of the bundesbank’s central office, Frankfurt (Allemagne). Architecte: morger partner

 

3

Octobre 2020

DTB St. Gallen / Neubau Betriebsgebäude Direktion Technische Betriebe, St.Gallen (SG). Architecte: Durisch + Nolli

 

4

Septembre 2020

Morgental Wetzikon, Zurich (ZH). Architecte: Hosoya Schaefer

 

5

Octobre 2020

Neubau HIC Campus Hönggerberg, Zürich (ZH). Architecte: Buchner Bründler

 

6

Janvier 2021

Bahnhofsareal Bremgarten, Argovie (AG). Architecte: Schneider & Schneider

 

7

Novembre 2020

Technical and logistics center, Sierre (VS). Architecte: Sylla Widnmann

 

8

Mars 2021

Stöckacker Nord – Meienegg, Bern (BE). Architecte: Huggenbergerfries

 

9

Novembre 2020

Theaterstrasse 12, Zurich (ZH). Architecte : Jessenvollenweider

 

10

Décembre 2020

Biopôle à Lausanne (VD). Architecte : Architram

 

11

Janvier 2021

Réaménagement des espaces publics pôle Cornavin, Place Montbrillant, Genève (GE). Monnier Architecture du Paysage + Giorgis & Rodriguez Architectes

 

12

Décembre 2020

CPT Chiasso (TI). Architecte : Boltas Bianchi

 

13

Avril 2021

Bahnhof Herrliberg-Feldmeilen, Zurich (ZH). Architecte: Hosoya Schaefer Architects AG

 

14

Avril 2021

Extension du musée MACBA, Barcelone. (Espagne). Architecte: Christ & Gantenbein

 

15

Juin 2021

Universität Zürich, Campus Irchel - Neubau Laborprovisorium Functional Genomics Center Zürich. (ZH) Gesamtleistungswettbewerb. Architecte: Sam Architekten

 

16

Mars 2021

Clinique bois cerf à Lausanne (VD). Architecte : meier + associés architectes

 

17

Juillet 2021

Neubau Sozialversicherungsgericht, Winterthur (ZH). Architecte: Zimmer Schmidt

 

18

Juin 2021

Extension et transformation de l'Hôpital d'Yverdon-les-Bains (VD). Architecte : Ferrari Architectes

 

19

Mai 2021

Stadthafen Rostock (Allemagne). Architecte : Holzer Kobler

 

20

Mai 2021

Construction d'un immeuble pour seniors, Anières (GE). Architecte : Cathrin Trebeljahr

 

21

Avril 2021

Deux îlots de logements, crèche et activités de quartier, Plan-les-Ouates (GE). Architecte : Sylla Widmann

 

22

Juillet 2021

GISA residential building, Affoltern, Zurich (ZH). Architecte: Masswerk

 

23

Mai 2021

Zollgebäude St. Margrethen, Saint-Gallen (SG). Architecte : Schneider & Schneider

 

24

Juillet 2021

Lido weggis ersatzneubau hallenbad, Luzern (LU). Architecte: Marques Architekten

 

25

Août 2021

Collège à Pully (VD). Architecte : Itten+Brechbühl AG

 

26

Septembre 2021

Kunstmuseum Olten und Wohn- und Geschäftshaus, Soleure (SO). Architecte: Buchner Bründler Architekten

 

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