Vers une ar­chi­tec­tu­re élé­men­tai­re

Autonome mais discret, le projet de la Maison des Compagnies réalisé par le bureau Christian Dupraz Architectes à Meyrin allie subtilement mesure et générosité: une voie possible vers une architecture élémentaire.

Data di pubblicazione
27-09-2018
Revision
01-10-2018

En 1953, sur un terrain niché au cœur d’une forêt en Californie, le paysagiste Lawrence Halprin dessine et construit une piste de danse pour la chorégraphe et danseuse Anna Halprin. L’artiste aura réalisé ses plus belles œuvres sur cette plateforme flottante au milieu des séquoias géants. Le paysagiste ne cessera d’affirmer l’intensité d’un tel projet consacré non pas à la représentation mais au travail artistique d’autrui. En employant un lexique composé d’éléments simples, il fait acte d’effacement. Il s’agit d’abord de fabriquer une scène entièrement dédiée à l’art de la danse. Toute proportion gardée, c’est peut-être une attitude similaire qu’a adoptée Christian Dupraz en 2017 pour concevoir le projet de la Maison des Compagnies dans le paysage plus ordinaire de Meyrin.

Territoire des additions


Après l’espace de vie enfantine Monthoux (2016) et le nouveau hall check-in de l’aéroport international de Genève (2018), la Maison des Compagnies est la troisième réalisation récente de Christian Dupraz à Meyrin. La Fondation Meyrinoise du Casino, souhaitant satisfaire la demande des artistes de danse et de théâtre genevois, demande à l’architecte de réaliser un lieu de travail destiné à accueillir des compagnies en résidence. Le projet doit répondre à deux contraintes. D’abord, il doit à la fois servir d’espace d’accueil pour les artistes et offrir des espaces et des équipements pour la création, production et répétition des spectacles de danse et pièces de théâtre. Ensuite, après dix ans, une fois le bail de location de la parcelle arrivé à échéance, le bâtiment doit pouvoir être déplacé sur un autre site. De la même façon qu’à Monthoux où, pour accueillir à temps les enfants, la crèche devait être conçue et construite en un temps très court et avec peu de moyens (lire « Une généreuse frugalité », espazium.ch), l’architecte se retrouve de nouveau en situation de proposer une architecture qui doit composer et tirer profit d’une instabilité de programme et de site.

La commune de Meyrin se situe dans un vaste territoire résultant d’une juxtaposition parfois improbable d’architectures très ordinaires. Les nouveaux bâtiments du quartier des Vergers encore en plein chantier côtoient des emprises agricoles, des poches de maisons individuelles menacées par les velléités spéculatives, des halles industrielles en activité, quelques hôtels et restaurants et même des petites épiceries. Ce tout hétérogène est encore exacerbé par la proximité immédiate de composantes géographiques et infrastructurelles fortes. Sous les bruissements réguliers et sourds des avions qui atterrissent et décollent de l’aéroport, la route de Meyrin traverse la frontière et va se perdre en lacets dans le Jura. Là, dans une banale rue résidentielle, le nouveau bâtiment de trois niveaux et demi jouxte un entrepôt de bois, des jardins domestiques largement arborés et une ancienne église de plan octogonal en béton datant des années 1970 réaffectée en lieu de stockage. L’enveloppe du bâtiment est composée de grands cadres métalliques enserrant des lames verticales en bois d’épicéa. Le volume unitaire est simplement rythmé par les lignes horizontales des nez de dalles en zinc et les grandes fenêtres carrées.

Dans ce territoire a priori sans qualités singulières, où les empreintes construites semblent s’effacer continuellement, l’architecte ne se hasarde pas à une intégration difficile, encore moins à une assimilation. Sans chercher non plus à se distinguer, il ajoute simplement un bâtiment à ce qui est déjà là. Grâce à cette opération additive, l’architecture assume son indépendance et finit paradoxalement par se lier à ses voisins. Elle profite et révèle ainsi la situation urbaine hybride dans laquelle elle se rajoute. Au sein de ce lieu ordinaire mais au final si permissif, la somme libre des architectures semble être la règle d’un équilibre d’ensemble, si ce n’est d’une harmonie. Tout acte architectural n’est-il pas par essence une transformation par addition, opération dont le résultat dépasserait la simple somme des parties ?

A l’intérieur de la maison, il y a une fabrique


Perçu depuis la rue, le bâtiment s’apparente à une grande maison, parmi d’autres. Pourtant, une fois que l’on a pénétré à l’intérieur, loin de cette apparente unité, les composantes du programme et leurs traductions spatiales dévoilent une organisation moins unitaire qu’il n’y paraît. Le plan est organisé en deux carrés approximativement équivalents. La première moitié du volume est occupée par la salle de théâtre sur laquelle se superpose la salle de danse. Dans la seconde partie, un escalier longe les vestiaires et les locaux annexes et distribue les trois niveaux de service comprenant des cuisines collectives, des bureaux individuels ou encore des lieux de stockage de matériel scénique. Les grandes ouvertures, toutes identiques, servent autant à apporter de la lumière naturelle dans les deux salles, ouvrir les perspectives au bout des couloirs ou offrir des vues dans les locaux communs. Evoquant par endroits un Raumplan, le bâtiment, à l’intérieur de son enveloppe, se subdivise en plusieurs espaces aux caractéristiques dimensionnelles et programmatiques parfois très distinctes pour répondre à sa double fonction de maison pour artistes et de fabrique de spectacles. 

Dans ce projet comme dans celui de la crèche à Monthoux, l’architecte laisse apparaître distinctement le processus constructif qu’il met en œuvre. Le bâtiment, plutôt que de s’ancrer, semble se détacher du sol naturel. Unique relation physique, le dispositif d’accès par rampes et escaliers se dissocie de l’emprise bâtie. L’exigence de démontabilité – en partie hypothétique – du bâtiment amène Christian Dupraz à penser son architecture comme un assemblage produit par une multiplication d’éléments répétitifs et isolables. Les joints négatifs entre les panneaux d’enveloppe dévoilent le processus de montage. De la même façon, à l’intérieur, le traitement des vis de fixation, volontairement laissées apparentes, pousse à son apogée le caractère assemblé et sa potentielle réversibilité. La multiplication des éléments forme un nouveau tout. Et dans ce tout, l’opération de multiplication des éléments doit toujours demeurer identifiable.

Opérations élémentaires


Le projet de la Maison des Compagnies peut être lu à partir d’opérations architecturales élémentaires : dans un site où les traces sont fugaces, le bâtiment n’est pas autre chose qu’un objet additionné parmi ses semblables ; pour répondre à sa complexité programmatique, à l’intérieur de son gabarit unitaire, il se subdivise en une multitude d’espaces distincts ; enfin, du point de vue de sa construction, il est, lui-même, une multiplication précise et organisée d’éléments premiers. Une architecture élémentaire pourrait alors être envisagée comme une architecture précisément concernée par ses éléments premiers et leur transformation. Elle n’en demeure pas moins foncièrement porteuse de sens.

 

Données du projet 

Surface : 1500 m2 SBP
Coûts (CFC 0-9) : 8 200 000.–
Dates : janvier 2015 (faisabilité) – décembre 2017

Intervenants  
Maître de l’ouvrage: Fondation Meyrinoise du Casino
Architecte : Christian Dupraz Architectes
Conseil scénique : Gilles Lambert
Ingénieur acoustique : Architecture & Acoustique SA
Ingénieur civil : Thomas Jundt Ingénieurs Civils
Ingénieur CVSE : Energestion SA - Ingénieurs Conseils SIA
Ingénieur structure bois : ERNE AG Holzbau
Eclairage théâtre : Eclairage Théâtre SA
Entreprise générale : JPF Construction SA
Direction des travaux : François Baud & Thomas Früh

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