Por­trait: Da­vid Bal­la­tore

«Virilité et délicatesse, résolution et réflexion, sérieux et engouement»: inspiré à Hervé Clerc par la physionomie du général Massoud, ces paires de substantifs peuvent aussi être associées à David Ballatore, contremaître au sein de l’entreprise Orllati qui réalise les travaux lacustres de l’extension du Port de la Société Nautique de Genève.

Date de publication
19-03-2019
Revision
19-03-2019
Jacques Perret
Ingénieur en génie civil EPFL, Dr ès sc. EPFL et correspondant pour TRACÉS.

Jacques Perret: Quel est votre parcours professionnel?
David Ballatore: Alors que j’avais 19 ans, mes parents en ont eu marre de me voir ne pas faire grand-chose. Ils m’ont alors « invité » à suivre une formation de dessinateur en génie civil au cours de laquelle j’ai eu la chance de découvrir le monde captivant du chantier. Voulant y être actif, j’ai commencé par être coffreur à l’aéroport de Roissy, j’ai ensuite participé à la construction d’un téléphérique dans les Pyrénées, puis fait des terrassements de toutes sortes au sein d’un grand groupe : des travaux souterrains pour le métro de Paris, un gros projet de ligne pour le TGV suivi d’un gros projet d’autoroutes. Progressivement, je deviens chef d’équipe, chef de chantier. Je rejoins alors une entreprise de ma région d’origine, les Alpes-de-Haute-Provence, dans laquelle je dirige des chantiers toujours plus importants, jusqu’à 150 personnes. Vers 2008, je rejoins une entreprise belge qui fait de très importants travaux à l’international avec beaucoup de moyens : hôtels au Maroc, un pont en Guinée, ce dernier constitue mon premier contact avec la construction maritime puisqu’on utilisait des barges pour certains travaux. Je me retrouve alors impliqué dans la construction du port de Tanger, avec là encore l’occasion de découvrir de nouvelles choses : dragage, terrassement, réalisation de digues avec des poses de blocs. J’ai vraiment eu de la chance de faire des choses aussi variées. Et voilà 27 ans que cela dure…

Plus jamais fait de dessin alors?
Non. Après ma formation, je n’en ai plus jamais fait. D’ailleurs, le dessin au bureau ne me passionnait pas vraiment. Lors de ma formation de dessinateur, ce que j’ai aimé, c’est d’être mis en contact avec le chantier. C’est selon moi le lieu le plus intéressant: c’est là «que les choses se passent». D’une certaine façon, ce que j’aime dans le dessin, c’est de le voir se matérialiser. Le dessin est un outil indispensable dans le processus de matérialisation: il permet une première visualisation au concepteur. Mais l’endroit où cela se passe, c’est le chantier. C’est là que les traits deviennent des murs, des limites, des interfaces.Pour les digues construites avec des rochers, c’est peut-être encore plus amusant: les traits s’estompent obligatoirement pour créer des interfaces très irrégulières. Comment construit-on une digu? Construire des digues est vraiment quelque chose de particulier. La construction se fait essentiellement sous l’eau et on ne voit souvent pas ce que l’on fait. Pour les enrochements, chaque bloc a sa propre forme: on est loin de la standardisation d’un dessin et chaque situation est nouvelle. Quand les blocs doivent être appareillés, il est souvent indispensable de les tailler : si leur épaisseur est relativement constante, leur assemblage en plan ne peut pas se faire sans retouches. Lorsqu’on reçoit les blocs, on les trie de façon à trouver la meilleure façon de les assembler, sans devoir trop les redécouper. Le machiniste procède à un pré-montage pour s’assurer que tout ira bien lors du montage réel et on numérote les pierres en prévision du montage définitif. La situation est assez différente pour les enrochements «placés», prévus pour protéger des bords de digue : les blocs cyclopéens doivent être disposés de façon à ce qu’ils demeurent stables en dépit des importantes forces exercées par les vagues. On doit en outre s’assurer que la pente générale du talus corresponde à celle rendue nécessaire par les calculs de stabilité. À cet égard, le GPS aide considérablement les machinistes. Le godet des pelles est équipé d’un capteur dont la position est directement transmise à un ordinateur situé dans le poste de commande de la pelle. Le machiniste peut alors suivre en direct la position du godet par rapport au profil théorique de la digue, qui a préalablement été saisi dans l’ordinateur par le géomètre. C’est évidemment très utile, mais cela ne dispense pas de faire des contrôles visuels depuis la surface avec des perches munies de caméras sous-marines, mais surtout avec des plongées puisque nous avons une équipe de trois scaphandriers.

Le chantier, c’est beaucoup de machines, mais il y  a aussi des hommes…
Effectivement, les chantiers de travaux spéciaux sont aujourd’hui très mécanisés et notre entreprise s’est dotée de gros moyens pour mener à bien son contrat. Mais, pour moi, les hommes jouent encore et toujours un rôle essentiel. C’est d’ailleurs aussi ça qui me plaît tant dans la vie de chantier: l’humain. Sous mon air assez brut, je suis quelqu’un qui aime plaisanter, qui aime être en contact avec les autres, faire les choses avec les autres : je suis ici tous les matins avant les ouvriers pour préparer le chantier… et le café. Je trouve essentiel d’accorder de l’attention aux autres: lorsqu’il s’agit d’effectuer un nouveau travail, j’aime en discuter avec tous les acteurs, leur donner l’occasion d’exprimer leurs idées. Dans ce domaine, je travaille ici avec des gens merveilleux : bien qu’un grand nombre d’entre eux n’a jamais fait de travaux lacustres, ils font preuve de beaucoup d’initiative et apprennent très vite.

Comment exercez-vous votre autorité?
Comme je vous l’ai dit plus haut: essentiellement par la discussion. Je ne suis pas là pour juger les gens, mais pour faire en sorte qu’ils travaillent bien ensemble. Et pour moi, bien travailler ensemble, ce n’est pas seulement l’efficacité, mais aussi l’ambiance : alors je n’hésite jamais à «charrier» un peu les gars. Mais si quelque chose ne va pas, je ne suis pas vraiment un adepte de la langue de bois et je le dis. Mais je ne suis pas rancunier.

Vous avez beaucoup travaillé en mer, que vous inspirent la Suisse et ce chantier sur le lac Léman?
Par gros temps, le lac est vraiment spectaculaire. Cet hiver, il y a eu des épisodes de Bise d’une incroyable violence. D’un point de vue technique, ce chantier est vraiment exceptionnel du fait de sa diversité : nous vibrofonçons des palplanches, des pieux; nous mettons en place des tirants, des massifs de béton et des géo-grilles. Tous ces travaux nécessitent l’intervention de scaphandriers. Nous créons des digues sous l’eau, posons des enrochements de différentes tailles et différentes formes, sous l’eau, sans visibilité. Les travaux en milieu aquatique demandent de la planification et laissent moins de place à l’improvisation. Chaque soir, en rentrant chez moi, je pense à la journée du lendemain afin de l’organiser. Autrement, j’ai beaucoup de plaisir à travailler en Suisse. Comme je l’ai déjà dit, j’apprécie énormément le professionnalisme de notre personnel, ainsi que les moyens qui sont mis à sa disposition. Il y a beaucoup de réactivité, d’écoute, d’initiative au sein de l’entreprise. Cela se ressent positivement au niveau de l’ambiance de travail: il y a une véritable culture d’entreprise.

Le journal "La plage"

 

Le journal "La plage" retrace toutes les étapes du chantier de la plage publique des Eaux-Vives à Genève. Tiré à 3000 exemplaires et gratuit, il est publié tous les quatre mois. Cette pubilcation offre un témoignage précieux et régulier sur le rythme du chantier. Avant les plaisirs de la baignade estivale, le journal veut d’abord relater et donner à lire un autre plaisir doublé d’une expérience unique : le chantier. Le projet éditorial de La plage ne cherche pas tant à décrire le futur projet qu’à témoigner des réalités des hommes et des femmes qui y sont à l’œuvre. Afin de diffuser le plus largement possible ce projet éditorial sur l'art du chantier, espazium.ch diffuse une sélection d’articles issus de chaque numéro du journal La plage. Nous remercions chaleureusement toute l'équipe oeuvrant sur le projet ainsi que Jacques Perret, responsable éditorial des journaux. Bonne lecture.

 

La plage n°1, journal de chantier
Observer des processus créateurs
Les palplanches
Portrait: Roger Nauer, responsable des travaux lacustres pour le projet Port et Plage publique des Eaux-Vives à Genève

 

La plage n°2, journal de chantier
Il n'y a pas de plage sans vagues
Les enrochements. Nouveaux ouvrages de protection lacustres dans la Rade de Genève
Portrait: David Ballatore, contremaître pour les travaux lacustres de l’extension du Port de la Société Nautique de Genève

La formation de la Rade de Genève

 

La plage n°3, journal de chantier
La Rade de Genève, de la dernière glaciation à nos jours
Encadrer des processus créateurs: comment interpréter l'interdiction  de principe de réaliser une plage
Les remblais
Portrait: Philippe Sautier

 

La plage n°4, journal d'un chantier
Les stations lacustres de la rade de Genève
Pas­se­relle et pla­te­formes mé­tal­liques sur pieux
Por­trait: Laurent Sci­boz

47 siècles d’his­toire sous la plage

 

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