La Rade de Ge­nève, de la der­nière gla­cia­tion à nos jours

Dans cette article, l'archéologue de la préhistoire Pierre Corboud décrit l'évolution de la Rade de Genève à travers les siècles. 

Date de publication
23-04-2019
Pierre Corboud
Archéologue de la préhistoire, ancien collaborateur à l'Université de Genève

La Rade de Genève vers 15'000 ans avant J.-C.

Aux environs de 15'000 ans avant J.-C., le glacier du Rhône se retire du bassin genevois dans un grand lac, dont le niveau s'abaisse au fur et à mesure, d'environ 470 à 430 m, puis à 405 m. Ce premier lac périglaciaire est limité au bassin du Léman et à la zone de confluence avec l'Arve. Les Pierres du Niton représentent des blocs lâchés par ce glacier en régression. Sur la rive droite, le lac lié à la déglaciation a laissé des limons lacustres sur tous les reliefs, du plateau de Saint-Jean jusqu'aux abords du lac. Dès le retrait du glacier, pendant la période climatique du Dryas ancien inférieur, les spectres polliniques reflètent un paysage encore ouvert, une végétation sans arbres. La recolonisation des sols encore peu évolués débute par l'implantation de steppes riches en espèces pionnières, au sein desquelles se mêlent progressivement les premiers arbrisseaux comme le bouleau nain, le saule nain et le genévrier.

Un peu plus tard, vers 14'000 ans av. J.-C., les glaces quittent complètement le Bassin lémanique. Le niveau du lac est encore élevé, de 36 à 33 m plus haut que l’actuel (408 à 405 m). La modeste végétation s’est légèrement enrichie, avec l’expansion des prairies d’herbacées et le développement du bouleau nain. Les espèces animales sont toujours typiques d’un climat froid, comme celui trouvé aujourd’hui à des altitudes voisinant les 2000 à 3000 m. Le rhinocéros laineux, le bœuf musqué et l’aurochs rejoignent le renne et le cheval sauvage.

C’est à cette époque que sont attestés les premiers campements magdaléniens, au pied du Salève. Les chasseurs de Veyrier y trouvent une grande diversité de gibier, en plus du renne et du cheval, de nombreuses espèces adaptées à un paysage sans arbres, telles le lièvre variable, la marmotte, le bouquetin et le lagopède.

Les bords du lac sont assurément favorables au séjour des chasseurs du Paléolithique supérieur, ainsi que les petits lacs résiduels, qui subsistent dans des dépressions de l’arrière-pays. Nous imaginons très bien des haltes de chasse, dont les traces ne nous sont malheureusement pas parvenues.

La colonisation végétale de la phase climatique du Bølling

Vers 12'000 ans avant J.-C., la Rade de Genève voit se développer une maigre forêt de bouleaux et de pins. Le niveau du lac s'établit à environ 380 m, soit 8 m plus haut que l'actuel. Au cours de cette période, se déroule la première phase de reforestation du territoire. Dans un premier temps, les steppes sont envahies par les arbres et les arbustes, tels les genévriers et les argousiers, puis les forêts de bouleaux s'installent. Par la suite, pendant l'Allerød (entre 12’000 et 11’000 ans avant J.-C.) on verra l'immigration du pin dans les forêts de bouleaux, suivie de l'implantation de forêts denses de pins et de bouleaux. Au cours des phases climatiques du Bølling et de l’Allerød, la température moyenne remonte pour atteindre des valeurs comparables à celles connues actuellement. Les espèces animales adaptées à ce milieu forestier s’installent, tel le sanglier et le chevreuil. Le cerf prend de l’importance, au détriment du renne et c’est à ce moment que disparaissent complètement les derniers représentants de la faune nordique : le mammouth et le rhinocéros laineux.

Entre 11'000 et 9'600 avant J.-C. la température moyenne opère une chute de près de 3 degrés sur l’ensemble de la planète. Le Dryas récent est ainsi la phase régressive la plus importante et la plus longue du Tardiglaciaire. Elle marque aussi le passage entre le Pléistocène et l’Holocène, fin de la dernière ère glaciaire. Les causes de ce refroidissement sont apparemment la combinaison entre deux facteurs climatiques: tout d’abord la perturbation de la circulation océanique, provoquée par un apport important d’eaux douces et froides dans l’Atlantique nord et, ensuite, une baisse importante de l’activité solaire. Cet épisode froid, révélé par un éclaircissement des forêts, provoque le retour temporaire à une végétation steppique, composée d’herbacées. Les tribus nomades du Magdalénien sont remplacées par celle de l’Azilien, puis du Mésolithique; elles parcourent assurément ce paysage, toujours plus attractif en raison de la plus grande diversité du gibier.

La Rade de Genève vers 4'900 ans avant J.-C.: les premiers villages du Néolithique moyen

Pendant la phase climatique de l’Atlantique récent, on assiste à un nouvel optimum climatique qui favorise le développement de la forêt de feuillus, la chênaie mixte (chêne, orme, tilleul, frêne et érable). Le territoire genevois devient propice à l’installation des premiers agriculteurs-éleveurs. Le niveau du lac est proche de l’actuel, vers 372 m. La présence de l'homme devient mieux perceptible, notamment avec les vestiges des villages préhistoriques littoraux de la Rade et avec le site d'habitat retrouvé sous le temple de Saint-Gervais. En outre, la découverte de pollens de céréales cultivées dans des horizons de sondages géologiques, datés du milieu du Ve millénaire avant notre ère, confirme l'apparition de l'agriculture. La présence d’agriculteurs-éleveurs néolithiques dans la région, date au moins de 4'500 ans avant J.-C.

Au début du Néolithique, la couverture végétale est très dense dans tout le Bassin lémanique. Le paysage se transforme, car le hêtre et le sapin blanc remplacent la forêt de feuillus de l’Atlantique ancien. Néanmoins, les essences de la chênaie mixte sont toujours présentes.

Les agriculteurs  du Néolithique moyen doivent défricher de grandes étendues pour dégager des espaces suffisants pour leurs cultures et parfois pour établir leurs villages. Ces défrichements importants, pratiqués grâce à la hache de pierre polie, induisent un impact sur le paysage. On voit l’apparition de plantes herbacées ou parasites, qui se mêlent aux cultures de céréales et, surtout, qui envahissent les champs abandonnés.

Dès 3'900 avant J.-C. l’influence humaine s’accroît dans la région. L’abattage de la forêt est indiqué par la diminution du hêtre, du chêne et du sapin, remplacés  dans  les  diagrammes polliniques, par les espèces pionnières colonisatrices des zones défrichées.

À l’évidence, il s’agit des premières déforestations du Néolithique moyen. Cette emprise sur le milieu témoigne de l’influence grandissante de l’homme sur le milieu naturel, impact qui ne fera que s’accroître au Néolithique final et à l’âge du Bronze.

Les nouvelles espèces animales, propres au Néolithique, sont domestiquées par l’homme. En plus du chien, déjà présent probablement dès le Paléolithique supérieur, on relève l’arrivée du mouton, de la chèvre et du bœuf, suivis un peu plus tard par le porc.

La Rade de Genève vers 1'000 ans avant J.-C.: les occupations de l'âge du Bronze final

La phase climatique du Subboréal, entre 3'400 et 800 avant J.-C., correspond aux occupations humaines du Néolithique final et de l’âge du Bronze. À cette époque, le paysage végétal comprend la plupart des essences présentes aujourd'hui, mais dans des proportions et des situations différentes. La forêt occupe toujours la plus grande partie de l'espace, avec une majorité de chênes, de noisetiers, ainsi que du hêtre. Dans les surfaces libérées par les eaux, les saules colonisent le terrain, tandis que les rives inondées sont peuplées de roselières, qui laissent la place, un peu plus haut, à une forêt riveraine d'aulnes et de frênes.

Pendant les plus bas niveaux du Léman (environ 3 m plus bas que l'actuel) le Rhône ne s'écoulait plus à Genève, ou son cours était réduit à quelques ruisseaux qui se jetaient plus en aval dans l'Arve. Les variations du niveau du Léman imposent un déplacement de l’habitat entre les zones défrichées sur les premières terrasses surplombant le lac et les zones littorales, émergées pendant les basses eaux. L’exploitation de la forêt est encore facilitée par l’utilisation de haches de bronze.

Les sites d’habitat du Bronze final peuvent atteindre des surfaces de plusieurs hectares (par exemple, la station littorale de Versoix, avec trois hectares, et plus d’un hectare pour les villages des Pâquis et du Plonjon).

À l’âge du Bronze, un nouvel animal d’élevage apparaît: le cheval. Sa domestication est attestée au Bronze final par la trouvaille d’un fragment de mors en bois de cerf, sur le village du Plonjon. Vers 1'000 ans avant J.-C., plusieurs villages littoraux sont établis dans la Rade, sur le banc de sable et d’argile temporairement asséché. Les villages littoraux établis entre les 10e et 9e siècles avant notre ère, sont construits sur terrain sec, mais des palissades brise-vagues sont aménagées du côté du lac pour les protéger des remontées saisonnières et des vagues de tempêtes.

Vers 850 à 800 avant J.-C., une dégradation climatique (la crise du Subatlantique) provoque une transgression générale de tous les lacs du nord des Alpes, qui entraine l’abandon des villages littoraux.

Le journal "La plage"

 

Le journal "La plage" retrace toutes les étapes du chantier de la plage publique des Eaux-Vives à Genève. Tiré à 3000 exemplaires et gratuit, il est publié tous les quatre mois. Cette pubilcation offre un témoignage précieux et régulier sur le rythme du chantier. Avant les plaisirs de la baignade estivale, le journal veut d’abord relater et donner à lire un autre plaisir doublé d’une expérience unique : le chantier. Le projet éditorial de La plage ne cherche pas tant à décrire le futur projet qu’à témoigner des réalités des hommes et des femmes qui y sont à l’œuvre. Afin de diffuser le plus largement possible ce projet éditorial sur l'art du chantier, espazium.ch diffuse une sélection d’articles issus de chaque numéro du journal La plage. Nous remercions chaleureusement toute l'équipe oeuvrant sur le projet ainsi que Jacques Perret, responsable éditorial des journaux. Bonne lecture.

 

La plage n°1, journal de chantier
Observer des processus créateurs
Les palplanches
Portrait: Roger Nauer, responsable des travaux lacustres pour le projet Port et Plage publique des Eaux-Vives à Genève

 

La plage n°2, journal de chantier
Il n'y a pas de plage sans vagues
Les enrochements. Nouveaux ouvrages de protection lacustres dans la Rade de Genève
Portrait: David Ballatore, contremaître pour les travaux lacustres de l’extension du Port de la Société Nautique de Genève

La formation de la Rade de Genève

 

La plage n°3, journal de chantier
La Rade de Genève, de la dernière glaciation à nos jours
Encadrer des processus créateurs: comment interpréter l'interdiction  de principe de réaliser une plage
Les remblais
Portrait: Philippe Sautier

 

La plage n°4, journal d'un chantier
Les stations lacustres de la rade de Genève
Pas­se­relle et pla­te­formes mé­tal­liques sur pieux
Por­trait: Laurent Sci­boz

47 siècles d’his­toire sous la plage

 

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