Dé­sirs de ri­vage

[Pas] mal d’archives

Une série d’articles à partir des Archives de la construction moderne (ACM)

Date de publication
29-01-2015
Revision
20-10-2015

Les rives lacustres sont devenues l’enjeu de luttes de pouvoir. Pendant que les uns pré-tendent imposer à l’autorité la multiplication infinie des places d’amarrage, d’autres mili-tent pour l’accès public généralisé aux rives du lac.

Historiquement, les « droits de rive » furent une prérogative ecclésiastique au moins jusqu’au 16e siècle. L’ère industrielle a considéré le lac d’abord comme une voie de communication y installant les usines à gaz, ­tributaires d’une matière première pondéreuse, le charbon. Depuis les années 1930, l’intérêt pour l’espace de loisir s’est développé, et généralisé. A Lausanne, les tenants de l’hygiénisme et de l’olympisme ont poussé à faciliter l’accès aux rives. Ils ont été puissamment relayés par les organisateurs de l’Expo 64 qui a livré une portion importante des rives, en partie créées par des remblais, à l’usage public. 

Le succès remporté par cette commodité a fait germer l’idée que l’accès aux rives du lac était un droit et qu’il devait être traduit comme tel dans la loi et dans les faits. Mais la réalité résiste. Des portions qui s’y prêtent objectivement mal, et les intérêts des propriétaires riverains sont clairement lésés. De plus, comme souvent, un phénomène nouveau entraîne des effets secondaires : là où l’accès a été rendu possible, les riverains se sont barricadés derrière des dispositifs de dissimulation et de protection, le plus souvent « verts », prétendument « naturels ». Haies de laurelles, de thuyas, doublant des palissades plus ou moins opaques. Pour profiter tout de même de l’accès direct au lac, les riverains ont obtenu d’une autorité qu’on sent empreinte d’un sentiment de culpabilité des droits d’usage aggravé du domaine public en nature de pontons de garages à bateaux, de grues et de gadgets électromécaniques de mise à l’eau, défendus et vidéosurveillés contre les intrusions illicites. Il suffit de cheminer par le sentier des rives entre Pully et Ouchy pour voir ce paysage défiguré de part et d’autre du chemin public par des dispositifs quasiment militaires ou carcéraux de « sécurité ». L’idée de « l’accès public aux rives du lac », jolie proclamation en théorie, se révèle en pratique, monstrueusement contre-productive et destructrice, par l’édification de véritables lignes Maginot de la ségrégation sociale. 

La litanie sur le manque de places d’amarrage est elle aussi de l’ordre des croyances sans fondement. Mises bout à bout, les places d’amarrage existantes forment en théorie un chapelet aussi long que les rives du lac Léman. La surface du lac et ses rives étant disponibles en quantité finie, il est clair que toutes et tous ne peuvent prétendre à une place d’amarrage. Les observateurs savent que le taux d’utilisation moyen des embarcations est extrêmement faible. Il l’est objectivement, même pour des navigateurs assidus. Peu de gens peuvent ou veulent passer la majorité de leur temps sur l’eau. Les navigateurs savent par ailleurs que toutes les unités de moins de huit mètres de long et qui ne sont pas construites en bordés de bois classique ont avantage à être stockées hors de l’eau. Ils savent également que le stockage à sec évite l’usage de peintures ditesantifouling, hautement polluantes. De plus, le coût d’entretien des places d’amarrage n’est nullement proportionnel à l’encombrement des unités, mais est d’abord fonction de chaque poste créé (chaînes, bouées, passerelle, administration). Considéré de ce point de vue là, il est clair que 70 à 80 % des places disponibles sont accaparées par des bateaux qui pourraient être stockés à terre dans des systèmes de dry dock, qui peuvent être administrés par des entrepreneurs privés – les exemples étrangers de ports à sec exploités 7/7-24/24 démontrent que le système fonctionne. 

Sauf que sur les rives de nos lacs, il doit affronter la concurrence déloyale des Etats cantonaux qui bradent les droits d’amarrage à des prix tellement bas que nul n’a intérêt à se lancer dans une entreprise concurrente. En toute rationalité économique, le prix d’un ­amarrage devrait se calculer sur la base d’un forfait de base par boucle, augmenté d’un montant indexé sur l’encombrement de l’unité. En réduisant l’écart entre la taxe payée par les petites unités, on se rapproche des coûts qu’elles génèrent et on les encourage à choisir le système concurrent. Ces soucis étaient étrangers aux créateurs de Port Gitana !

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