Des mu­sées et des gares

[Pas] mal d’archives

Une chronique à partir des Archives de la construction moderne (ACM)

Date de publication
20-10-2015
Revision
23-12-2015

On sait celle d’Orsay abandonnée par les trains, par les voyageurs, aimée des sidérodromophiles, sauvée de la démolition, encombrée d’un aménagement muséal de style assyro-babylonien que la toute récente restauration n’a en rien entamé. Il y a celle d’Austerlitz qui, en raison de sa faible fréquentation, prête son élégance désuète à des événements « culturels » ; il y a toutes celles où s’expose de la photographie. Un inventaire de cette consanguinité serait fastidieux.

A Lausanne, l’anamnèse révèle un inconscient impérieux ; n’a-t-on pas envisagé au 19e siècle d’établir la gare centrale soit au bord du lac, soit sur le cours du Flon, en arrière de la moraine de Saint-François, avant de se résoudre au site malcommode de la Razude ? 19e et 21e siècle, gare et musée, la question se pose de savoir si on ne s’est pas soumis aux mêmes déterminismes inconscients, aux mêmes résignations.

Quoi qu’il en soit, l’option « moyenne » retenue pour la gare centrale nécessitera, pour s’intégrer au tissu urbain, des aménagements conséquents, indispensables pour valider le choix initial. Diverses variantes sont étudiées, les avenues de la Gare et de Ruchonnet seront tracées, prolongées par celles du Théâtre et Montbenon. En 1903, le pont Chauderon sera lancé sur la vallée du Flon pour parfaire le dispositif.

De part et d’autre de la gare CFF – celle que nous connaissons est édifiée entre 1911 et 1916 –de vastes zones se préservent de la vie urbaine ; elles sont vouées au service du domaine ferroviaire. A l’est, elle se déploie en aval et par remblai, le quartier de l’avenue Tissot sert d’itinéraire de dégagement pour les attelages qui ne peuvent franchir la pente trop prononcée de l’avenue d’Ouchy dans sa partie supérieure. A l’ouest, elle se creuse au nord en une enclave à la fois hostile, on craint les fumées des locomotives, et hermétique, parce qu’inscrite dans la pente.

Le choix de joindre à Lausanne le destin de la gare centrale et celui de ses principaux musées repose aujourd’hui en profondeur les questions urbaines qu’avaient affrontées les planificateurs du 19e siècle. L’espace de la remise des locomotives, désormais dévolu aux musées, a fait l’objet d’un échange dont il n’est pas interdit de penser que CFF immobilier se félicite. Ses experts savaient que l’effet cul-de-sac de cette parcelle serait difficile à surmonter et que la rente foncière s’en ressentirait. Il incombe maintenant à la Ville de Lausanne, partenaire public de cet échange, d’obvier à ce handicap. Il est permis de penser qu’elle y parviendra, reste à savoir à quel prix.

L’opération sera en effet beaucoup plus difficile qu’au 19e siècle. En raison de la complexité réglementaire dont le plan d’aménagement concerté gare donne une idée ; en raison de la multiplication des intervenants « intéressés au dossier » et qui peuvent légitimement opposer des droits, des objections ou des intérêts à chacune des mesures qui sera prise. Elle le sera ensuite en raison de l’énorme chantier qui, d’est en ouest, va modifier considérablement l’emprise de la gare elle-même, celle des circulations des voyageurs, et qui durera de 2017 à 2025 si tout va bien. Ce tableau déjà passablement chargé sera contrarié, comme par-dessus le marché, par la modification des axes de transit centraux occasionnée par la fermeture du Grand-Pont au trafic automobile et le percement du « barreau Vigie ».

Les grands chantiers sont certes devenus des attractions touristiques. Ici et là, on paie pour voir de purs monuments du génie civil, mais c’est peu dire qu’il faudra au personnel des musées à construire une flamboyante énergie, une ingéniosité et une patience à toute épreuve pour parvenir à se faire voir et à se faire aimer au-delà du labyrinthe des palissades de chantier qui les attendent.

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