Des écoles qui tombent du ciel

Face à la pénurie de surfaces scolaires, la Ville de Genève a fait le pari de construire six bâtiments pour quatre sites d’écoles en moins de quatre ans. C’est Pont12 architectes qui a la charge de cette réalisation. Mais l’exercice n’est-il pas un peu trop rapide?

Date de publication
30-04-2024

Le nombre d’élèves bat des records dans les écoles genevoises. C’est ce que titrait l’été dernier la Tribune de Genève, alors que 82 000 jeunes s’apprêtaient à faire leur rentrée, soit 2000 de plus que l’année précédente. Face à cette augmentation des effectifs scolaires et parascolaires, la Ville de Genève souhaite réagir vite – et bien. Les containers entassés à la hâte sur les parkings des écoles ont fait leur temps: la Ville entend adopter une vision à plus long terme, qui réponde aux nouvelles exigences énergétiques, même dans le cas de locaux provisoires, et qui s’intègre avec cohérence à l’existant afin de favoriser l’acceptation de ces interventions par la population.

En 2021, la Ville organise donc un appel d’offres en procédure ouverte, remporté par Pont12 architectes, et dont le mandat de réalisation a été décroché par l’entreprise Erne. L’objectif? Réaliser en trois ans quatre écoles temporaires sous la forme de modules, dotées d’une autorisation provisoire de dix ans. Les deux premières sont sorties de terre durant l’été 2023; les deux suivantes sont en train d’être édifiées au moment où nous écrivons ces lignes.

Préfabrication optimisée

Sortir de terre n’est pas l’expression la plus adéquate pour définir ce chantier : en réalité, les modules qui composent les nouvelles écoles sont tombés du ciel. Afin de raccourcir au maximum les travaux sur site, le choix de la Ville s’est porté sur un système tridimensionnel préfabriqué, développé et réalisé par l’entreprise générale Erne, spécialisée dans la construction bois, qui a proposé son découpage et des détails pour obtenir l’image finale décrite en appel d’offres. Ce type de construction représente l’avantage indiscutable d’être mis en œuvre partiellement en atelier et donc de s’affranchir des conditions météorologiques. L’entreprise a déterminé les dimensions optimales de ces modules (module type classe: 2.90 × 8.60 m) et leur mode constructif. Les porteurs verticaux sont en bois, les dalles en bois-béton. 

Tous les modules ont été préfabriqués à Stein (AG), dans les ateliers de Erne. L’entreprise dispose d’espaces de production si grands que les modules ont pu être entièrement construits en intérieur, fenêtres comprises, en continuité, avant d’être transportés et assemblés dans la foulée sur le chantier, pour éviter de bloquer les lieux trop longtemps pour le stockage des éléments. Les installations sanitaires et les radiateurs sont également posés en atelier, puis reliés sur place.

Pour Pont12 architectes, cette confrontation à la préfabrication tridimensionnelle était une première, comme nous l’explique la cheffe de projet Noémie Wesolowski lors de la visite des écoles réalisées. Un soleil presque printanier traverse les arbres majestueux du parc de Trembley, où s’est établie la première intervention. 

Le travail des architectes va bien au-delà du simple dessin de l’esthétique des modules préfabriqués: la réelle plus-­value des interventions repose sur la lecture fine que l’équipe de Pont12 a faite des lieux sur lesquels elle intervenait.

Trembley – s’inscrire dans un contexte

Le groupe scolaire du parc de Trembley est inauguré en 1950 dans le quartier du Petit-Saconnex. De type pavillonnaire, il est le premier de ce genre à Genève et a été dessiné par l’architecte zurichois Roland Rohn. Il s’implante dans la partie basse d’un domaine acquis par la Ville dans les années 1930 et prend la forme d’une série de bâtiments longs et bas reliés orthogonalement.

Le projet de Pont12 architectes s’inscrit sur la partie est du site, dans le secteur de l’école enfantine. Le préau couvert existant, parallèle à la route, forme une colonne vertébrale à laquelle les bâtiments se greffent perpendiculairement. Poursuivant la logique de ce système, les nouveaux modules préfabriqués ont été glissés entre les arbres et ancrés dans le sol sur des pilotis par un système ponctuel (vis Krinner), permettant la ventilation naturelle. Deux bâtiments ont été réalisés: un réfectoire de 90 couverts, intercalé entre deux pavillons existants, et un nouvel édifice de deux étages comprenant 11 classes et une salle des maître·sses, situé à l’extrémité du préau prolongé.

Le plan de ce dernier est composé de deux trames de modules décalées. La circulation verticale se situe dans le prolongement du préau couvert et au cœur du dispositif en baïonnette. Pour répondre aux normes d’accessibilité universelle, un monte-personnes a été installé en relation avec le noyau des sanitaires. Le projet n’est pas labellisé, mais répond aux exigences THPE.

Comme nous sommes dans du provisoire, certaines dérogations ont été obtenues pour réduire les coûts en condensant les espaces au maximum, en s’efforçant toutefois de ne pas perdre en qualité spatiale ou atmosphérique: les salles font 70 m2 au lieu des 80 m2 réglementaires à Genève, mais les généreux rangements situés dans les murs de séparation permettent aux maîtres·ses d’organiser leur classe au mieux; les fenêtres toute hauteur, composées d’un verre fixe et d’un ouvrant derrière un claustra, viennent compenser la hauteur sous plafond réduite. Dehors, la vue se déploie sur la végétation qui frôle les façades, tandis qu’à l’intérieur les surfaces de bois permettent l’affichage des dessins des tout-petits, en conférant aux locaux un aspect chaleureux.

Les Allières – travailler sur un plateau

De l’autre côté de la ville, dans le quartier des Eaux-Vives, l’école des Allières édifiée en 1970 accueille des élèves de tous les degrés sur un site plutôt exigu. Malgré sa silhouette massive en béton préfabriqué, elle n’était plus assez grande pour accueillir les effectifs de l’école. Depuis la rentrée 2023, six nouvelles classes ont pris place sur le toit du bâtiment principal, afin de ne pas impacter les espaces extérieurs déjà réduits. Noémie Wesolowski ne veut pas parler de surélévation ici, mais plutôt d’un «plateau» sur lequel les architectes ont travaillé. «L’horizon de temps était très contraint, l’objectif était d’aller vite, de répondre par des modules à ce besoin de surfaces. D’ordinaire, concède-t-elle, on est plus sensible au bâtiment existant.»

Les architectes ont en effet travaillé ici par juxtaposition plus que par continuité. Le volume perché, entouré d’arbres, est incongru, mais l’extension n’en reste pas moins fascinante : on accède à cette nouvelle partie de l’école non pas par un prolongement de la cage d’escalier intérieure, mais par un vertigineux escalier en acier galvanisé qui escalade la façade nord-est, puis par une plateforme suspendue qui offre une vue époustouflante sur Genève. La façade grisée en bois contraste avec le béton rugueux du bâtiment existant. À l’intérieur, on retrouve les couleurs chaudes et l’atmosphère chaleureuse et familière de l’école de Trembley. Entre Trembley et les Allières, les détails sont identiques, mais la disposition différente. Étonnant qu’un même module puisse provoquer des sensations spatiales si contrastées.

Pourra-t-on aller toujours plus vite?

Deux autres sites seront ouverts d’ici l’été 2024 : le plus grand, celui de l’école de Vieusseux (11 salles de classe, un réfectoire, une salle de jeu, une salle des maître·sses et une salle d’appui) et celui de l’école des Franchises (deux bâtiments de six salles dont une salle des maître·sses).

Le projet n’est pas terminé que déjà de nombreuses questions surviennent : avec un coût bien plus élevé aux Allières qu’à Trembley, est-il vraiment pertinent de s’obstiner à faire du «transitoire»? N’aurait-il pas été plus pertinent de concevoir directement une surélévation adaptée et durable?

Alors qu’il est bien connu que, partout, les délais de production réduits péjorent la qualité, les architectes en charge du projet alertent ici sur les limites de l’exercice. En effet, estime Noémie Wesolowski, deux écoles en deux ans, c’est rapide – et cela pourrait inspirer à d’autres l’idée que c’est normal. Or prendre le risque d’accélérer encore le rythme actuel mettrait en péril une profession déjà fragilisée. 

En augmentant les droits à bâtir de certains quartiers, les élu·es semblent parfois oublier que nouveaux et nouvelles habitant·es riment aussi avec nouveaux enfants, donc nouvelles écoles, révélant un déficit criant de vision politique. Le recours au temporaire est alors une manière de répondre aux besoins sans vraiment prendre de décision. Dix ans plus tard, toutes et tous sont mis·es devant le fait accompli.

Ne risque-t-on pas de se retrouver durant les 50 prochaines années avec des écoles provisoires conçues trop rapidement, selon des standards de confort dérogatoires, mais qui, avec le temps, sont condamnées à devenir définitives et à se fondre dans le décor – comme les containers verdissants de l’école de Trembley?

Écoles modulaires préfabriquées, Genève (GE)

 

Maître d’ouvrage
Ville de Genève, Direction du patrimoine bâti (DPBA), Département de l’aménagement, des constructions et de la mobilité

 

Architecture
Pont12 architectes

 

Entreprise générale 
Erne Holzbau

 

Ingénierie CVS
Weinmann Énergies 

 

Appel d’offres
2021

 

Réalisation
2023

 

Capacité
39 équivalent classes (y c. para­-s­colaire, sans salle des maître·sses, salle de jeu ou réfectoire)

 

Coût pour les quatre sites (CFC 1-4, y c. honoraires)
31.59 mio CHF

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