Un mu­sée, des ar­chi­tec­tures

Quelle architecture possible pour un musée? Le résultat du concours portant sur la deuxième tranche du futur pôle muséal à Lausanne réunit 17 propositions de grands noms de l’architecture. Elles reflètent deux familles de réponses possibles pour la réalisation d’un espace d’exposition contemporain. L’approche des concurrents fait appel à deux modèles très différents. Les uns monumentalisent l’objet architectural et renvoient à la tradition typologique du palais, d’autres désacralisent l’enveloppe architecturale en s’inspirant de lieux plus curieux: le squat, le shopping mall ou le belvédère.

Publikationsdatum
18-11-2015
Revision
04-12-2015

L’inflation muséale qui se propage inexorablement dans les villes européennes touche aussi la Suisse. Et la métropole vaudoise jouera sa partition en parfaite symbiose. La dernière pièce du puzzle du pôle muséal implanté sur la friche ferroviaire des CFF est enfin dévoilée. Les opportunités d’imaginer autrement l’espace d’exposition en ville, de réfléchir à la difficile mixité des usages dans les quartiers monofonctionnels ou encore d’anticiper les lendemains incertains des bâtiments qui abritent aujourd’hui les trois institutions muséales se résorbent définitivement dans deux parallélépipèdes simples. Face à la future barre rectangulaire du mcb-a du bureau Barrozi/Veiga viendra s’implanter le monolithe des frères Francisco et Manuel Aires Mateus abritant le Musée de l’Elysée et le mudac.

Le palais


Le projet lauréat «Un musée, deux musées» fait preuve d’une belle réduction de moyens pour répondre aux contraintes du site et aux exigences du programme. Le bâtiment forme un cube en béton poli divisé en deux parties par une faille brisée sur tout le volume. L’étage supérieur abrite le musée du design, le sous-sol le musée de la photographie. Au rez-de-chaussée, enserré entre les deux plateaux d’exposition, se déploie un espace d’accueil entièrement dégagé. Les espaces administratifs et les annexes sont renvoyés aux deux étages insérés dans l’épaisseur du talus et éloignés du bâtiment principal par une étroite galerie à ciel ouvert. La concision conceptuelle dont font preuve les deux architectes portugais donne naissance à une forme architecturale avec une forte identité visuelle: «une icone»2. Cette «simplicité expressive», tant appréciée par le jury, dissimule des références architecturales très singulières. La géométrie carrée du plan, le rez-de-chaussée entièrement dégagé ou encore le dispositif d’éclairage du niveau bas par une cour enterrée sont autant de dispositifs architecturaux qui rappellent fortement ceux de la Neue Nationalgalerie à Berlin. Les architectes reconnaissent volontiers cette filiation typologique1. Cependant, la pertinence de la comparaison s’arrête là: la légèreté et l’intelligibilité constructive chères à Mies van der Rohe sont troquées à Lausanne contre un monolithe plein qui semble léviter au-dessus du sol. Ainsi, à l’espace générique et ouvert du musée berlinois s’oppose un espace spécifique et contraint pour le projet de Lausanne. Cette idée d’une masse pleine qui se creuse pour générer des vides habitables se manifeste explicitement dans le rendu du concours lauréat avec les dessins pochés noir et blanc. Les frères Aires Mateus mélangent astucieusement deux modèles architecturaux à priori contradictoires: le plan libre, chef-d’œuvre du maître de la modernité architecturale, et le monolithe massif creusé, signature qui a fait la renommée du bureau portugais. Avec leur projet lausannois, les architectes confirment leur maîtrise d’un langage formel simple mais qui produit une architecture avec effet direct et primaire chez le regardeur: «Un signal fort»4. Cette séduisante évidence formelle plébiscitée par le jury du concours dénote peut-être une conception rétinienne de l’architecture muséale qui la rapproche du modèle historique du musée palatial.

Le deuxième rang a été attribué au projet «Seepeople-move» de l’architecte Valerio Olgiati. Le jury utilise ­l’expression de «Kaaba culturelle hiératique»5 pour décrire le cube de béton brut de décoffrage qui abrite les salles d’exposition des deux musées et leur hall d’accueil. Le bâtiment principal est situé sensiblement au même emplacement que le bâtiment du projet lauréat, mais au lieu d’être confinés dans le talus, les services annexes sont contenus dans un parallélépipède fin, disposé face à la longue barre du mcb-a. L’ensemble des trois bâtiments crée ainsi une «piazza»6 ouverte au sud. Sur la place, un porche monumental en forme de triangle rectangle annonce majestueusement l’entrée du musée. A l’intérieur, un vide tridimensionnel de géométrie pyramidale et atteignant les quatre niveaux du bâtiment dessine un immense hall d’accueil. Le porche monumental et le hall pyramidal sont autant «d’archétypes réduits à leur valeur de signe»7 : des éléments de langage architectural qui font penser à ceux d’un palais moghol8.

La métaphore palatiale, sous-jacente dans le projet lauréat et plus explicite dans le projet de Valerio Olgiati, devient littérale dans le projet du bureau Caruso St John classé au troisième rang. Le bâtiment principal comprend deux étages de programmes communs, et au-dessus, autant d’étages d’exposition. L’accès aux espaces muséaux se fait par deux tubes en béton contenant les escalators qui démarrent dans le pavillon d’accueil détaché. Une bonne partie des programmes annexes sont répartis dans des niches voûtées et creusées dans le talus. Avec une nette intention mimétique, celles-ci reproduisent la même forme et le même appareillage de pierre que les arcades existantes sur le coteau nord. Pour les espaces d’exposition, les architectes usent du modèle architectural de l’usine pour proposer ce qu’ils appellent des «plans libres»9 adaptables à la scénographie d’exposition des œuvres. Pour ce projet, les références historiques ne s’arrêtent ni au mimétisme dans le traitement des arcades – historicisme que l’on pensait être réservé à des styles architecturaux définitivement révolus – ni à la métaphore industrielle. En décrivant eux-mêmes leur projet comme une agglomération d’objets non hiérarchisés et équivalents, les concepteurs font référence au modèle architectural de «Kasbah»10. Quoi de plus évocateur que ce terme – qui signifie citadelle ou palais en arabe – choisi par les architectes anglais pour décrire leur projet; un musée imaginé comme un palais oriental. 

Les trois projets lauréats partagent une simplicité expressive qui suscite une émotion primaire qui a visiblement conquis le jury. D’autres projets rendus font appel à des imaginaires architecturaux plus nuancés et peut-être plus complexes. 

Le squat, le shopping mall et le belvédère 


Le 4e rang revient au projet des Ateliers Jean Nouvel «La place des trois musées». Le sol haut au niveau de l’avenue Ruchonnet et le plateau ferroviaire bas sont reliés par un grand escalier qui termine une diagonale longeant le futur mcb-a et les deux nouveaux musées. Les espaces d’exposition sont situés de part et d’autre de cette traversée urbaine dans deux halles aux formes irrégulières. Le sol haut, plié à la manière d’un origami, couvre les espaces muséaux qui se façonnent au gré des accidents géométriques du terrain et de la toiture. La forme du projet n’a pas l’aspect d’un bâtiment aux contours clairement saisissables, mais s’apparente bien plus à une infrastructure «ouverte à des usages libres»11. Le jury reconnaît à cette proposition les qualités d’un «squat»12, soit une forme d’occupation d’un lieu pour un usage qui ne lui est pas a priori destiné. En travaillant avec les accidents du site qu’il reconnaît implicitement comme générateurs des espaces du projet, Jean Nouvel insuffle une dimension critique à son intervention. Sur les traces d’une friche industrielle, il propose un squat ouvert à la culture urbaine comme espace de contestation à la typologie du musée des beaux-arts.

Le 6e et dernier rang est attribué à l’autre bureau lauréat du Prix Pritzker ayant concouru, Sanaa. Le projet des architectes japonais est le seul, parmi les primés, à proposer un bâtiment distinct pour chaque institution. Les volumétries rectangulaires des deux nouveaux musées dialoguent avec la forme allongée du mcb-a et délimitent une place ouverte sur le paysage ferroviaire au sud. Des terrasses en cascade permettent de relier le niveau haut du site et la plateforme ferroviaire basse. Aux extrémités ouest de chacun des deux parallélépipèdes, des noyaux de circulation efficaces et réduits à leur surface minimale distribuent des plateaux libres servant d’espaces d’exposition. Pour le jury du concours, ce parti pris de distribution et d’agencement des espaces évoque des «shopping malls»13. En effet, les gabarits des immeubles aux proportions et dimensions proches de ceux des bâtiments environnants et le dessin presque banal des espaces dédiés aux expositions montrent chez les architectes une volonté « de désacraliser la consommation de la culture»14. En proposant des volumes et des espaces intérieurs presque banaux, les architectes japonais ne cherchent nullement à magnifier l’architecture muséale qu’ils proposent. Celle-ci apparaît presque comme ordinaire. 

Le bureau Lacaton & Vassal avec son projet nommé «Rose», aurait certainement mérité, autant que les deux Pritzker, de figurer sur la liste des propositions classées. Parmi l’ensemble des propositions, c’est la seule qui conserve le talus existant à l’ouest du terrain. Les architectes disposent les volumes consacrés aux expositions et aux programmes annexes dans un bâtiment fragmenté qui épouse le relief du talus existant sans y toucher. Le lieu le plus important du projet est situé au-dessus du bâtiment à proprement parler. Un jardin terrasse sur lequel se pose un pavillon largement vitré ouvre des vues sur le lac et les montagnes. Les architectes affirment vouloir s’inscrire dans le « système de belvédères publics et jardins, (…) caractéristique de la géographie de Lausanne»15. Ce désir de travailler à partir de l’existant est renforcé dans le projet par la volonté de préserver le patrimoine végétal présent et de rénover et réutiliser les deux maisons existantes sur le site pour des activités annexes aux musées. Lacaton & Vassal revendiquent ainsi une architecture qui se dessine à partir de ce qui est déjà là, d’en chercher les qualités et de les renforcer. Le prestige qu’implique à priori un programme pour un musée ne semble pas les séduire outre mesure et ils y opposent une réponse d’une remarquable modestie. Ils affirment vouloir plutôt «faire attention à la butte et préserver la vue»16. Mais cette attitude empreinte de retenue et d’attention à l’existant dans l’intervention proposée n’a visiblement pas séduit les membres du jury, plus attirés par la monumentalité des trois premiers projets primés.

Des palais et des friches 


En observant les panneaux rendus pour le concours, on oublierait presque que le futur pôle muséal effacera définitivement les traces de la friche urbaine sur laquelle il va s’implanter. Ce domaine délaissé recèle une multitude d’empreintes bâties et végétales que les trois projets squat, shopping mall et belvédère réactivent en partie ou complètement. Leurs concepteurs projettent ainsi une architecture muséale qui se défait de son contenant pour proposer des espaces d’expositions qui tentent de répondre à la question d’un projet culturel contemporain. A contrario, les projets que nous avons réunis sous le titre de palais monumentalisent l’objet muséal en exaltant son contenant dans un rapport très rétinien à l’architecture. Plus ou moins explicitement, ils renouent ainsi avec la typologie du musée des beaux-arts. Alors que la seconde famille de projets fait appel à un imaginaire de lieux qui contestent la tradition palatiale du musée, les premiers viennent au contraire la glorifier. Le jury a été visiblement plus sensible à cette posture.

 

Notes

1. Rapport du jury.    

2. Ibid.

3. Correspondance électronique avec le bureau Aires Mateus en novembre 2015.

4. Rapport du jury.

5. Ibid.    

6. Planche de concours Valerio Olgiati.

7. Rapport du jury.

8. La « Iconographic autobiography » de Valerio Olgiati recèle de nombreuses images de l’architecture de l’empire moghol et notamment Fathepur Sikri et le Taj Mahal.

9. Planche de concours Caruso St John.

10. Ibid.

11. Rapport du jury.    

12. Ibid.

13. Ibid.

14. Ibid.

15. Planche de concours Lacaton & Vassal.    

16. Entretien téléphonique avec le bureau Lacaton & Vassal en novembre 2015.

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